La date est symbolique : le 17 octobre 1961, environ 200 Algériens étaient assassinés par la Préfecture de police alors qu’ils manifestaient contre un couvre-feu imposé aux « français musulmans d’Algérie ». Ce 17 octobre 2020, les sans-papiers défilaient dans Paris pour défendre leurs droits. Partis le 19 septembre de Marseille et Montpellier et le 3 octobre de Lille, Le Havre, Rennes et Grenoble, les collectifs de sans-papiers se sont à nouveau mis en route ce samedi pour la dernière étape de la marche des solidarités. À quelques mètres du stade de France, devant un parterre de tentes, le cortège nord s’est ébranlé aux alentours de 10 h 30 pour entrer dans Paris. Première étape : porte de la Chapelle, où 250 paniers-repas préparés par l’association des femmes de Plaine Saint Denis ont été distribués. À peu près au même moment, deux autres cortèges entraient à leur tour dans Paris, à l’est par la porte de Montreuil, et au sud par la porte d’Italie.

Cette entrée simultanée dans la capitale est le fruit d’une coordination millimétrée entre les différents cortèges, et de la solidarité des collectifs locaux. « À chaque étape, on a été accueillis par des associations qui nous ont nourris et guidés vers des hébergements citoyens. Sinon, ça n’aurait pas été possible », détaille Alioume, qui a participé à l’organisation de la marche au départ de Montpellier. La veille, les marcheurs de Marseille et Montpellier ont été accueillis par le collectif de sans-papiers de Vitry-sur-Seine, tandis que les marcheurs du nord ont passé la soirée à Aubervilliers dans les locaux du collectif Schaeffer.

Des devoirs, mais aucun droit

À mesure que la marche au départ de Saint-Denis progresse vers la place de la République, le dispositif policier s’épaissit et les chants s’intensifient : « Sans papiers : mal payés, mal logés, mal nourris », scandent les manifestants. Ils réclament la régularisation de tous les sans-papiers, la fermeture des centres de rétention administrative et l’accès à un logement décent pour toutes et tous. Hichem brandit un drapeau jaune marqué de l’inscription « Free Chti » en référence à l’entreprise de livraison de repas à domicile Frichti, pour qui il a travaillé pendant un an. « J’étais payé 50 centimes le sac et 80 centimes le kilomètre. J’ai travaillé pendant le confinement, pendant les grèves, et je déclarais mes revenus à l’Urssaf », raconte-t-il. Il y a quatre mois, il a été « remercié » par l’entreprise. Motif : son passeport algérien ne lui permettait plus de travailler pour eux.

Derrière une banderole « Régularisation free chti abandonnés », des dizaines d’autres hommes sont dans le même cas qu’Hichem. « Quand t’as pas de papiers, les patrons le savent et ils en profitent. Tu n’as le droit à rien », détaille Mohamed. Arrivé en France à 16 ans, il a travaillé trois ans comme charpentier, puis pour l’enseigne KFC pendant 8 mois. Lorsqu’il s’est rendu à Marseille pour y prendre le départ de la marche, c’était la toute première fois qu’il quittait la région parisienne. « On participe à l’économie, on l’a montré pendant le confinement, mais on n’a pas le droit au chômage. On a des devoirs, mais aucun droit. C’est un cercle vicieux, car pour travailler dans de bonnes conditions on nous demande des papiers, mais pour obtenir des papiers, on nous demande des fiches de paie », abonde Alioum, qui a participé à l’organisation de la marche partie de Montpellier.

Il explique que les travailleurs et travailleuses sont alors forcés de se rabattre sur le travail au noir ou d’emprunter les papiers d’une autre personne pour pouvoir travailler. « Deux personnes peuvent par exemple travailler avec le même numéro de sécurité sociale pour obtenir des fiches de paie et ensuite être régularisées ».

« On n’a rien à perdre »

Même cercle vicieux pour accéder à un logement. « Sans papiers, ils ne peuvent pas faire de demande de logements sociaux. Du coup, ils n’ont accès qu’à des hébergements d’urgence ou à des résidences sociales, où les redevances sont beaucoup plus chères », regrette Fanny, militante au DAL (Droit au logement).

En tête de cortège et armé d’un tambourin, Massimiliano a fait le déplacement depuis Palerme pour venir soutenir la marche : « les sans-papiers sont les plus exclus de la société, ils n’ont rien à perdre. Le changement ne viendra pas de l’intérieur du système, mais d’eux, c’est une énergie importante qu’il faut soutenir ». « Nous sommes constamment en danger. Quand on va travail ou à la boulangerie pour acheter une baguette, on risque de croiser une voiture de police et d’atterrir en centre de rétention administrative. C’est pour ça que nous avons déjà bravé l’interdiction de manifester du 30 mai, et que l’interdiction de la marche d’aujourd’hui ne nous a pas fait reculer. On ne sait pas quelle sera la réponse des pouvoirs publics, mais on n’a rien à perdre », poursuit Alioum.

Malgré un mois de marche dans toute la France et deux mobilisations en mai et en juin, le gouvernement est jusqu’alors resté silencieux. Loin de s’en contenter, les collectifs à l’origine de l’organisation se réunissent ce dimanche en assemblée générale pour prévoir de nouvelles actions et des occupations.