Squatter, ça veut dire vivre dans un bâtiment abandonné sans avoir demandé d’autorisation à personne. C’est refuser de payer un loyer à un propriétaire qui possède plus d’un logement quand d’autres n’en possèdent aucun. Certains squats se revendiquent militants et/ou culturels, d’autres sont juste des lieux d’habitation. De fait, tout squat est une affirmation de la primauté du droit au logement sur le droit à la propriété privée.

La France compte 2,8 millions de logements vacants en 2017 auquel on peut rajouter plus de 10 000 logements « occasionnels »] et dans le même temps, on dénombre plus de [140 000 SDF-W] en France, dont plusieurs milliers à Montpellier [. La moitié des appels émis vers le 115, le numéro d’hébergement d’urgence, restent sans réponse, tant et si bien que les services sociaux redirigent parfois les sans-domicile vers… les squats. De son côté, la mairie de Montpellier s’acharne à construire des dispositifs anti-SDF. En juillet 2017, Emmanuel Macron a juré qu’il n’y aurait bientôt « plus personne à la rue » et en janvier 2018, l’ancien préfet de l’Hérault Pierre Pouëssel a promis de « permettre à des personnes mal-logés ou sans logement d’accéder à un vrai parcours résidentiel ». Pour accélérer l’accès à ce « parcours résidentiel », suivez cet étapes :

1) Repère la cible

Avec des amis fiables, faites du repérage de bâtiments vides, inhabités, non-meublés, si possible appartenant à une autorité publique (ça tombe bien, il existe une liste des cessions immobilières de l’État). Avoir des bricoleurs dans la bande n’est pas inutile. Le repérage se fait le plus discrètement possible, de préférence la nuit. Plusieurs indices peuvent vous aider à reconnaître le bon bâtiment : volets fermés, boîte aux lettres pleine de vieilles pubs, tas de feuilles mortes devant la porte, jardin en friche, etc. Plus ça a l’air abandonné depuis longtemps, mieux c’est. Une fois le bâtiment choisi, il faut s’assurer qu’il n’y ait plus de passage. Pour cela, vous pouvez placer un bout de papier dans l’embrasure de chaque porte et portail et vérifiez régulièrement s’ils sont toujours là. Ça marche aussi en mettant un petit bout de bois dans les serrures.

Pensez, lors de ces repérages, à bien observer les entrées possibles pour la première visite (porte, lucarne, garage, velux, soupirail, volet et autre fenêtre mal fermée…) et imaginez de quel matériel vous aurez besoin. Vous pouvez prendre des photos du lieu, ça permet de pouvoir observer le bâtiment de chez vous et ça permet de vous faire passer pour un photographe amateur au cas où un voisin s’étonnerait de vous voir roder dans le quartier. En complément des repérages sur place, pensez à utiliser la vue du ciel de Google Maps pour avoir une autre vision du bâtiment et repérer des détails qui vous auraient échappés. La meilleure cible, c’est un bâtiment public [ou pas…] abandonné depuis longtemps et en bon état.

2) Rentre dans le bâtiment et barricade toi

Une fois que vous vous êtes mis d’accord sur le bâtiment à occuper, réunissez vos potes avec qui vous souhaitez investir le lieu et faites vous un récapitulatif collectif, histoire d’être sûr que tout le monde a les mêmes informations. Mettez des outils de côté : marteaux, tournevis plats et cruciformes, pied de biche, vis, serrures, clous, perceuse sans fil, ciseaux à bois, mètre, chaine, cadenas… Prévoyez aussi de quoi tenir quelques jours : vêtements chauds, couvertures, eau, bouffe, bougies, allumettes, jeux de cartes, etc. Regroupez vous par binômes et répartissez vous des rôles pour l’ouverture : les guetteurs planqués dans la rue, ceux qui vérifient le rez-de-chaussée, ceux qui montent au premier étage, ceux qui trimballent le matériel, etc. Pour minimiser les risques de se faire griller, mieux vaut rentrer la nuit. Sonnez avant d’entrer, avec une excuse bidon au cas où vous tombiez sur des habitants (vous auriez alors vraiment mal fait le repérage). Soyez silencieux en rentrant et n’éclairez pas les fenêtres (servez-vous d’une lampe frontale à lumière rouge pour progresser).

Si vous vous rendez compte que vous êtes dans un logement meublé, habité à l’année : partez ! L’idée, ce n’est pas de se loger en délogeant un autre. Si les toits, les murs et les planchers sont trop délabrés, partez aussi. Une fois ces vérifications faites, ne perdez pas de temps. La priorité, c’est de verrouiller toutes les entrées. Pendant qu’un binôme pose des verrous, un autre peut chercher s’il n’y a pas une boite à clés. Réparez le plus vite possible tout éventuel dommage matériel, en particulier ceux causés aux portes et fenêtres pour amoindrir les risques d’un flagrant délit d’effraction. Une fois le barricadage effectuée, envoyez le binôme de guetteurs vérifier qu’il n’est effectivement pas possible de rentrer. Si c’est le cas, vous avez alors accès au niveau 3 : le sous-marin.

3) Attend le passage des flics et des huissiers

Auparavant, après 48h de squat, la police ne pouvait légalement plus vous expulser, sauf si une effraction avait été constatée. Mais une nouvelle loi votée le 16 septembre 2020 permet désormais aux propriétaires de maisons secondaires et occasionnelles de saisir le préfet pour une expulsion accélérée, sans passage par une décision de justice, y compris après 48h d’occupation, comme la loi le permettait déjà pour les résidences principales. Mais pas de panique : il y fort à parier que dans les faits, cela concernera les maisons secondaires non-abandonnées, et comme dit précédemment, mieux vaut de toute façon occuper un bâtiment abandonnée depuis longtemps. La règle des 48h est donc touchée, mais pas coulée.

Mettez un nom (vrai ou faux) sur la boite aux lettres et faites vous envoyer une enveloppe timbrée et datée pour prouver que vous êtes là depuis plus de 48h et éviter une procédure de l’huissier par requête anonyme. Seul le passage de la police ou d’un huissier enclenche à coup sûr l’ultimatum des 48h. Si les policiers et les huissiers ne passent pas le même jour, considérez que l’ultimatum commence à partir du deuxième passage. Un choix possible, dès 48h ou dès que vous êtes bien barricadés, c’est d’appeler vous mêmes la police, par exemple en se faisant passer pour un voisin ayant constaté l’occupation. Cela permet de choisir quand l’arrivée des policiers et de ne pas vivre dans l’attente de leur passage pendant plusieurs jours. D’autres préfèrent restez discrets le plus longtemps possible, c’est à vous de voir. Quoiqu’en dise la loi, la réaction des autorités reste dure à prévoir et vous n’êtes jamais à l’abri d’une opération ninja d’une équipe de la BAC en manque d’action. La barricade est donc votre seule amie.

La règle absolue en cas de passage d’un huissier, de la police ou du propriétaire, c’est de ne pas leur ouvrir. Parlez-leur depuis une ouverture en hauteur ou envoyez quelqu’un de l’extérieur leur parler sur le trottoir. Précisez que la maison était ouverte et que vous êtes là depuis plus de 48h, ce qui fait du bâtiment votre domicile principal. Le bluff est de mise : dites que vous avez un avocat, qu’il s’agit d’une opération d’ouverture de squats dans le cadre d’une campagne nationale contre le mal-logement, que des militants sont en train d’arriver, etc. Divulguez le moins d’informations possible, y compris aux voisins curieux. Trois ou quatre jours après le passage des policiers et/ou des huissiers, vous pouvez considérer qu’aux yeux de la loi, vous êtes chez vous.

Ecrivez alors ce message et collez le à la porte :

« Ce lieu est notre domicile ainsi que notre résidence principale. En tant que résident-e-s de l’immeuble, nous sommes protégé·e·s par la loi. Agir hors du cadre procédural, c’est heurter un des principes du droit français, l’inviolabilité du domicile. Selon l’article 432-8 du Code pénal, ‘‘Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, de s’introduire ou de tenter de s’introduire dans le domicile d’autrui contre le gré de celui-ci hors les cas prévus par la loi est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.’’ D’après l’article 226-4-2 du Code pénal, ‘‘le fait de forcer un tiers à quitter le lieu qu’il habite sans avoir obtenu le concours de l’État dans les conditions prévues à l’article L153-1 du code des procédures civiles d’exécution, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contraintes, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.’’ Il ne peut y avoir d’expulsion sans décision exécutoire du tribunal ».

4) Remet l’eau et l’électricité

Pour l’électricité, commencez par vérifier l’état des prises, des interrupteurs et des câbles. Si les installations sont en bon état, vous pouvez tenter de remettre en route le disjoncteur différentiel, si possible en ayant baissé avant tous les fusibles. Si vous ne le sentez pas, mieux vaut appeler quelqu’un qui s’y connaît plutôt que de s’électrocuter ou de provoquer un incendie. Si vous voulez payer l’électricité, contactez EDF et donner leur le nom de l’ancien abonné (facultatif), le numéro du compteur et les chiffres de la consommation précédente. En cas de refus, mettez-leur la pression et rappelez-leur que le rôle d’EDF n’est pas de se substituer à la justice mais de fournir un besoin vital.

Pour l’eau, regardez dans la maison, souvent dans la cave, s’il y a une vanne et un compteur (ou une plaque au sol, rectangulaire et en fonte, souvent amovible). Ouvrez la vanne et faites des tests avec les robinets. Si rien ne se passe, c’est probablement que l’eau est coupée depuis la rue. Cherchez alors des petites plaques en fonte à l’extérieur, généralement de 15cm de diamètre, ouvrez-les et tournez le robinet à l’intérieur. Parfois le robinet est enfoui à plusieurs mètres et il faut alors se dégotter une clé de fontainier pour pouvoir y accéder. Là encore, n’hésitez pas à recourir à des bricoleurs.

5) Prépare ta défense

Maintenant que vous êtes installés, restes à savoir ce que vous allez faire du lieu ! Combien de personnes peuvent être logées ? Est-ce juste un squat d’habitation ou souhaitez-vous aussi accueillir des réunions, des ateliers, des projections, des concerts… ? Quelles relations nouer avec les voisins et les commerçants ? Quels sont les travaux à réaliser ? Comment s’organiser en interne pour prendre des décisions collectives et les faire appliquer ? Quelle stratégie adopter face à la justice ? Etc. La plupart des problèmes soulevés par ces questions se résolvent au fil du temps, par l’action. Il ne sert donc à rien de tout vouloir régler à l’avance, mais il est toujours utile de savoir ce qui se fait déjà dans d’autres squats pour éviter de réinventer la poudre tous les quatre matins. (…)

La question judiciaire est plus complexe. Une procédure peut être lancée contre vous entre quelques heures, quelques mois et quelques années après votre arrivée officielle. Libre à vous d’ignorer la procédure et d’écrire des faux noms sur la boite aux lettres, mais sachez qu’assurer une défense devant un tribunal présente plusieurs avantages. Le principal, c’est que jusqu’à la décision du juge, vous êtes théoriquement à l’abri d’une expulsion. Se faire représenter permet aussi de tenter d’obtenir que la demande d’expulsion soit déboutée, ou de manière plus réaliste, d’obtenir les délais prévus par la loi, ce qui vous permet d’organiser sereinement votre départ.

Auparavant, les procédures pour squats dépendaient de la juridiction civile, c’est-à-dire d’un conflit entre deux parties où il n’y a pas de risque de prison. Mais l’article 58 ter de la loi Elan de septembre 2018 prévoit désormais une peine d’un an d’emprisonnement, 15 000€ d’amende et l’expulsion administrative pour l’occupation sans titre d’un local à usage d’habitation, soit la peine déjà en vigueur pour la violation de domicile. Dans les faits, Le Poing n’a pas eu l’écho de telles condamnations, et les procédures pour logement passent encore au tribunal administratif à Montpellier, et non au tribunal correctionnel. Si vous faites le choix d’une défense juridique, veillez tout de même à faire représenter devant la justice des personnes qui ne sont pas solvables. Préférez un avocat connu des milieux militants mais ne lui déléguez pas le travail : c’est à vous de bâtir votre stratégie de défense. Une aide juridictionnelle est prévue par la loi pour les pauvres, mais ses conditions d’attribution restent floues. Dans tous les cas, ce n’est pas parce que l’on se défend au tribunal qu’il faut négliger d’autres axes de résistance : pressions publiques, actions directes, manifs, communication sur le quartier.

Ressources

Le squat de A à Z

Référence absolue pour les apprentis squatteurs (l’article précédent s’inspire largement de cette brochure). Mis à jour plusieurs fois depuis sa première parution en 1999, « Le squat de A à Z » est un petit guide pratique et juridique qui donne quelques conseils pour ouvrir un squat et faire en sorte de ne pas se faire expulser trop vite. La dernière version a été rédigée en 2014 par des gens d’un peu partout, et notamment de Toulouse, de Lyon et de la banlieue parisienne.

Liste des cessions immobilières de l’État

Ce site gouvernemental recense par région et département tous les bâtiments publics abandonnés que l’État cherche à vendre.

Petit manuel d’électricité DIY

Un guide pratique qui s’adresse surtout à celles et ceux qui occupent des maisons vides, souvent restées à l’abandon depuis des années et avec des installations électriques vieilles et dangereuses, et plus largement à toute personne qui veut installer elle-même l’électricité dans sa maison.

Les secrets du crochetage

Ce manuel parle de la théorie du crochetage compris comme l’art d’exploiter les défauts mécaniques des serrures. Les premiers chapitres présentent le vocabulaire et les informations de base concernant certaines serrures et leur crochetage. Côté pratique, un chapitre est consacré à un ensemble d’exercices choisis avec soin pour vous aider à acquérir les tours de main et l’habileté nécessaire au tâtage et au crochetage. Le premier appendice décrit comment fabriquer soi-même ses outils de crochetage. Le second appendice quant à lui présente l’aspect légal en France.