Cette spécialiste de la contrainte qui fait bien sûr office de psychologue s’appelle Sarah Laporte-Daube, et les conseils qu’elle prodigue en disent long à la fois sur sa profession, sur son sale travail de porte-parole du pouvoir et sur sa conception même du rapport aux enfants, à savoir comment les carotter en cachant l’autorité sous des aspects ludiques afin de les soumettre à ce qu’ils pourraient refuser net. Le temps n’est en effet plus au vieux « c’est comme ça, parce que c’est moi le chef », mais au plus insidieux « c’est toi qui va avoir l’impression de décider ce que je suis en réalité en train de t’imposer ». Une tendance managériale qu’on retrouve un peu partout, de la politique à l’entreprise, et à laquelle la famille moderne ne saurait échapper : l’auto-gestion de sa propre dépossession dans un cadre d’autorité, plutôt que l’auto-organisation pour détruire à la fois les rôles et toute autorité sur nos vies.
Ainsi, dans les propos de Laporte-Daube (au Huffpost, le 21/8), il n’est par exemple jamais imaginable de s’interroger si le port du masque quasi-permanent par des petits pourrait constituer une violence physique ou psychologique en soi, non, la seule question valable est comment le leur faire accepter. Pour elle, ce sont des individus dont l’autonomie, les sentiments et les désirs ne comptent en la matière que pour être soumis aux desiderata de leurs propriétaires, ces parents auxquels ils doivent obéissance, et qui vont leur imposer cette contrainte étouffante dictée d’en haut comme tant d’autres choses. Ils ne sont dans cette vision rien moins que les sujets d’une longue chaîne de formatage à l’autorité qui va de l’État à la famille, sans parler de l’école où tous deux convergent (du maître au foyer au maître en classe), et pour le plus grand bien des patrons.

Alors, comment notre psychologue de service propose-t-elle aux braves citoyens d’imposer le masque à sa progéniture ? Tout d’abord en l’étendant jusque dans sa chambre, histoire de s’entraîner : « pour les aider au mieux, les parents peuvent les inciter à le porter à la maison en leur apprenant à le mettre puis à le retirer ». Ensuite, en lui faisant rêver que cette soumission est en réalité une possibilité pour s’évader de l’écrasement quotidien : « Les super-héros auxquels se réfèrent souvent les enfants portent des masques. En montrant que ces personnages en ont un, l’enfant peut être encouragé à faire de même ». Puis en leur apprenant que pour espérer mieux vivre sa propre soumission, on peut toujours soumettre moins résistant que soi : « Pour faire comprendre à l’enfant qu’aujourd’hui c’est bien de porter un masque, il peut s’entraîner à le mettre sur son doudou ou à ses poupées. » Et enfin en lui proposant de repeindre la soumission à ses propres couleurs, pour qu’elle ne semble plus extérieure et imposée mais normale et volontaire  : « Ils peuvent également se tourner vers une activité manuelle pour leur faire décorer. De cette manière, le masque avec leur touche personnelle peut les aider à l’ancrer dans leur routine et sentir que cet accessoire est vraiment le leur ». Et pourquoi seulement 6 ans, d’ailleurs, et pas avant tant qu’on y est ? Eh bien, parce qu’à partir de cet âge les enfants seraient « moins dans l’impulsivité et donc ils peuvent plus respecter des règles un peu contraignantes pour eux”, assure notre impétueuse amie de l’ordre et des règles bien ordonnées.

C’était quoi déjà, la spécialité de la psychologue Sarah Laporte-Daube ? Ah oui, la maltraitance des enfants, la prise en charge des victimes de violences familiales en associant la thérapie comportementale et cognitive. Tout ça pour ça ? Mettre son expérience au service des parents en leur transmettant l’art de manipuler les mômes pour leur faire introjecter la soumission, plutôt qu’au service de ces derniers pour résister et survivre aux injonctions de l’autorité, dont l’abus n’est que la manifestation la plus douloureuse ? On l’aura compris, dans ce domaine comme d’autres, la douloureuse expérience de l’autonomie individuelle reste souvent indispensable, y compris contre tous les spécialistes au service de la domination (ici des adultes sur les enfants).

Mais au fait, puisqu’il ne semble jamais assez tôt pour porter un masque, pourquoi ne serait-ce alors pas le cas pour jouer avec des allumettes ? En jouant par exemple dès 6 ans –avec ce qu’il te reste d’impulsivité non domestiquée– à Robin des Bois et ses flèches enflammées contre tous les shérifs de Nottingham, ceux qui te disent quoi faire, quoi penser et quoi dire…

Un enfant terrible