Discours par le collectif antiraciste et féministe RACINES, au mémorial de l’abolition de la traite négrière à Nantes :

 » Nantes La Négrière, c’est sur le sang et l’exploitation de nos ancêtres que tu as bâti ta richesse, ton attractivité, et ton identité ! C’est d’ici même, de tes quais fleuris et de ton port ouvrier, que sont partis tes milliers de navires, marchands de mort et d’indignité, qui ont déporté plus de 600 000 êtres humains. Ces 600 000 vies ont été détruites, elles ont été vendues aux enchères place de la Bourse, renommées « esclaves », « marchandises », et déchues de leur statut d’être humain, pour enrichir tes habitants blancs !!! Pour toi, ces vies noires alors ne comptaient pas, elles ont été sciemment détruites pour te construire. Des centaines de milliers d’êtres humains, des personnes, des gens !!!
Encore aujourd’hui, tu exaltes ta réussite dans tes quartiers aux beaux immeubles et aux vastes demeures, construites par tes grands bourgeois esclavagistes, quand nos communautés noires sont toujours à la rue, sans papier, discriminées, exploitées, entassées dans tes quartiers isolés et mal desservis, et tuées par ta police.
Nantes La Négrière, tu voudrais te faire oublier, en te vendant comme une ville ouverte, écologique et culturelle. Tu assures ta performance avec ton festival de jazz, ton hangar à bananes où la jeunesse dorée vient se divertir le week-end, et ton mémorial dédié non pas aux victimes de ton trafic, mais à notre grande stupeur, à ta propre gloire, celle de ces puissants français qui finirent par céder devant la lutte pour la fin de l’esclavage, et par abolir ce dernier, après l’avoir accepté et cautionné pendant des années.
Ce mémorial, clé de voûte de ta politique touristique, devant lequel nous nous tenons à présent, devait être la première pierre à l’édifice de la reconnaissance de ta responsabilité envers nos populations noires. Il devait marquer dans l’espace l’espoir de réconciliation et d’égalité qui nous a été promis. Mais Nantes la menteuse, tu n’as pas tenu ta promesse ! Avec ce mémorial, tu revêts la parure du progressisme et de l’anti-racisme, et tu crées ton discours pour les touristes, mais, Nantes la violente, tu continues à tuer et à parquer les Noir-e-s ! C’est ta police qui a tué Aboubacar Fofana il y a deux ans, ce sont tes services qui ont refusé d’accueillir les personnes sans papiers et les ont obligé à monter un camp de fortune en centre-ville, Square Daviais, près d’ici! Et c’est ta même police et ce sont tes mêmes services qui organisent les expulsions des refuges des personnes sans papiers! Ce mémorial n’est pas le pont qu’il devait être entre le passé et le présent, ce mémorial est devenu le tombeau de notre mémoire collective !
Malgré cela, tu persistes à essayer de redessiner sans cesse ton image, et tu prétends être la Cité des Ducs de Bretagne, Nantes l’Audacieuse qui fait l’éloge du pas de côté, Nantes la Révoltée, où il fait bon vivre et danser. Mais cette face colorée et souriante que tu présentes au monde n’est qu’une parure mensongère, le même masque que l’Etat français, soit-disant pays des droits de l’Homme, arbore sur la scène internationale tout en faisant soigneusement disparaître les traces honteuses de son passé ! Nous, on ne l’oublie pas ! Nous, on ne peut pas l’oublier, car ce passé n’est pas mort, ce passé survit et influence chaque minute de nos vies !
En colère et épuisées, nous réclamons de pouvoir vivre et respirer, nous sommes les descendant-e-s d’esclavagisé-e-s, déporté-e-s et colonisé-e-s, sur lesquels pèsent les conséquences matérielles, physiques et psychologiques de ces décisions politiques. Des enfants d’immigré-e-s qui devons encore prouver chaque jour notre humanité et notre appartenance à la société française.
Il est indigne que Nantes persiste dans cette voie raciste tracée par l’Etat français. Que dire d’une ville qui ne tient pas ses promesses politiques de respect, d’égalité et de dignité pour toutes ses populations ?
Et nous déplorons que face à ces violences et ces discriminations racistes, beaucoup trop de silence complice, d’hypocrisie et d’indifférence traverse la société nantaise blanche, qui bénéficie pourtant de cet héritage colonial tout en se prétendant une ville de gauche. Que penser d’une société témoin de ces injustices et contribuant de fait à la stigmatisation et à la marginalisation de nos communautés ?
Face à la montée des discours fascistes et nationalistes qui ciblent les populations non blanches en les accusant d’insécurité, de clandestinité et de communautarisme, il est urgent de réagir !
Nous considérons qu’il est grand temps pour la ville de Nantes et sa population nantaise, de prendre pleinement leurs responsabilités. Nantes doit agir activement pour les populations noires, sans mise en scène, sans posture, mais par des mesures concrètes pour améliorer nos conditions de vie et lutter contre le racisme dans le respect de nos personnes: est-il normal que de nos jours, certains manuels scolaires fassent encore l’éloge de la colonisation, tandis que le travail de mémoire sur l’esclavage et les horreurs de la dite colonisation est réduit à presque rien ? Quelle empathie pensez-vous pouvoir développer envers nos vies noires, quand dès les bancs de l’école, les enfants n’apprennent que le roman national de la grandeur passée de la France, et aucune mention n’est faite de ses brutalités ? Pourquoi aucun chapitre sur la Françafrique et la politique impérialiste actuelle de l’Etat français ? Le devoir de mémoire, exige un travail minutieux et permanent, et le devoir d’apprentissage de la tolérance et de l’égalité exige une connaissance de la réalité aussi déplaisante soit-elle.
Face à son passé, Nantes doit donc devenir une terre d’accueil pour les populations africaines et afrodescendantes, et œuvrer sans relâche à leur intégration complète, dans la dignité et l’acceptation, et non pas dans l’assimilation et la demande tacite d’oublier leurs origines afin d’embrasser le roman national français !
La justice et la réparation sont des étapes vers la paix et la réconciliation.
La vie des Noir-e-s compte.
Face à celles et ceux qui voudraient nous voir mort-e-s, rabaissé-e-s, déshumanisé-e-s, voire rémigré- e-s, plantons nos racines et apprenons à vivre ensembles, dans le respect et la compréhension mutuelle ! Ensembles, retrouvons notre dignité !
Nous sommes le collectif Racines, merci au collectif Black Lives Matter de nous avoir accordé ce temps de parole. «