Il n’est pas d’existence ordinaire qui ne détienne secrètement un trésor. Il nous échappe le plus souvent quand s’égare la clé des rêves avec laquelle joue notre enfance. L’âge adulte la perd délibérément, tant l’éducation s’emploie à nous la dérober. Il faut que l’histoire nous secoue pour que soudain, nous la retrouvions.

L’histoire personnelle de Diego s’est heurtée à l’histoire faite par tous et contre tous. Il y était préparé. Son rêve s’appelait révolution. C’était une idée qui, bien sûr, flottait dans l’air du temps. Mais ce temps était immémorial et l’idée s’était coagulée dans une réalité où soumission et insoumission se chevauchaient dans un tumulte incessant.

Ce que le feuilletoniste Eugène Sue avait appelé Les Mystères du peuple avait sa source dans une fatalité où depuis des millénaires les opprimés rampaient terrorisés par les maîtres, eux-mêmes rongés par la peur d’une révolte toujours imminente. Diego a vécu, comme des millions d’autres, cette existence laborieuse immensément lasse et si débordante de désirs qu’à portée de la main une vie nouvelle devenait tangible.

Le cours anecdotique du quotidien mérite une analyse que lui refuse une histoire plus intéressée par le relevé des événements que par la genèse de leur accomplissement. Dans le constat, ce qui est fait est fait et appartient au passé, dans la genèse quelque chose n’a pas fini de naître, il est de nature à troubler le présent, il constitue une menace pour l’ordre des choses, il dérange l’appareil économique et étatique qui réifie le présent, l’empaquette comme une marchandise et oublie que ce qui est vivant brise aisément un tel emballage.

C’est de l’existence toujours délabrée, toujours reconstruite que naît la vraie révolution, j’entends celle qui fait d’une vie vécue sans contrainte, sans hiérarchie, sans bureaucratie la base d’une société humaine. Les collectivités libertaires de la révolution espagnole de 1936 ont eu le temps de démontrer qu’une telle société était possible. L’insurrection de la vie qui monte en France, en Algérie, au Soudan, au Mexique, au Rojava est issue de la mémoire du vécu dont la pensée dissipe les cauchemars et, sous les apparences du futile, éveille à la réalité des rêves.

En parcourant ces pages, il m’est revenu un propos de Diego. Lui qui avait senti sur sa nuque l’acier froid du pistolet d’un tueur phalangiste aimait répéter : « J’ai pris le fusil mais je n’ai jamais tué personne. » J’aime à penser qu’il y a dans cette énergie vitale, qui l’a toujours guidé et dont nous sommes dépositaires, une puissance qui avance sur tous les fronts, ne tue pas et ne cède pas d’un pouce.