Des deux côtés de l’Atlantique, des statues de racistes, de colons ou d’esclavagistes sont déboulonnées lors des manifestations. Et à Nantes ? En vous promenant, si vous observez bien, vous trouverez des souvenirs de l’esclavagisme un peu partout gravés dans la pierre du centre-ville. La bourgeoisie nantaise commerçante s’est enrichie par le commerce triangulaire. Les bâtiments de l’ile Feydeau et du quai de la Fosse sont notamment érigés par des familles bourgeoises avec l’argent de l’esclavage. Nantes a été le premier port esclavagiste de France, devant Bordeaux : plus de de 500 000 esclaves noirs d’Afrique sont envoyés vers les possessions françaises par des armateurs nantais, 1 744 expéditions. Ce commerce d’êtres humains aura des impacts économiques importants : en plus d’enrichir les familles de vendeurs d’esclaves, les navires reviennent des Indes avec des produit de luxe, et les capitaux des grandes familles sont investis dans des hôtels particulier, des entreprises, l’achat de terres … Si Nantes n’a pas, à priori, de statue à la gloire d’un esclavagiste, passons en revue les restes de cette histoire locale peu glorieuse :

– Plusieurs rues de Nantes portent des noms vendeurs d’esclaves. La plus célèbre, en plein cœur de la ville, est la rue Kervegan. Kervegan, négociant nantais, homme politique local, contribua massivement au commerce triangulaire. Par ailleurs, il réprima, pendant la Révolution, un soulèvement paysan. Sous Napoléon, Kervegan va « défendre les intérêts du commerce nantais », contribuant à faire rétablir l’esclavage aboli par la Révolution. Autre nom de rue esclavagiste : Guillaume-Grou, armateur richissime enrichi sur la traite négrière. Il a fait construire un hôtel particulier quartier Feydeau. La rue Montaudouine près du quai de la Fosse est baptisée ainsi en hommage à une famille de vendeurs d’esclaves, les Montaudouin. Enfin, Nantes compte, comme d’autres villes, une rue Colbert, esclavagiste notoire et rédacteur du « Code Noir ».

– Les mascarons : regardez attentivement les immeubles du Quai de la Fosse ou du quartier Feydeau : il y a sur certains vieux immeubles, des sculptures qui ornent les façades. Des visages sculptés font références aux femmes esclaves africaines ou autochtones d’Amérique, qui sont représentées de façon caricaturale. Il s’agit de « mascarons », des sculptures volontairement grossières, souvenirs du passé négrier de Nantes.

– Un général colonialiste dans la cathédrale. Le général Lamoricière nait à Nantes en 1806. Il participe à la campagne d’Algérie, où l’armée française s’illustre à partir de 1830 par ses atrocités contre les populations locales. En France, il participe activement à l’écrasement de la Révolution de 1848. Un grand tombeau honorifique de cet homme est installé dans la cathédrale. On y trouve une inscription en latin : « En Afrique, son habileté lui permit d’élargir et de renforcer de son bras les frontières de la patrie […] il combattit énergiquement les rebelles criminels. Il protégea jusqu’au bout le Saint-Siège». En 2009, la statue de marbre blanc représentant ce général a été souillée de peinture rouge avec l’inscription : « Passant, n’oublie pas qu’au nom de la bourgeoisie de France, j’ai commandé le tir contre la population algérienne puis contre les ouvriers parisiens ».

– Mellinet : ce militaire nantais a donné son nom une des plus grandes places de Nantes, qui comporte une statue à son effigie. Pur produit de St Cyr, il participe à la conquête sanglante de l’Algérie, et supervise la répression. Sa nécrologie dans Le Figaro du 22 janvier 1894 explique qu’il a « traversé de longues années de garnison, sans coup de fusil, et ce ne fut qu’en 1840 que M. Mellinet fut nommé chef de bataillon; mais comme il fut aussitôt envoyé en Algérie, où l’insurrection était à l’ordre du jour, il rattrapa bien vite le temps perdu».

– Un militaire d’extrême droite Place de la Bourse : juste derrière la Place du Commerce, dans le petit square un peu abandonné, on trouve la statue de Villebois-Mareuil. Il mène l’essentiel de sa carrière dans les colonies d’Afrique. Il participe à la campagne de Tunisie avant d’être nommé chef d’état-major de la division d’Alger. En France, il publie des essais militaires et se lance en politique. Séduit par les idées de Charles Maurras, il est alors l’un des fondateurs du groupe d’extrême droite l’Action française. Il meurt en combattant avec les colons d’Afrique du Sud.

– La Colonne Louis XVI. Dernier vestige réactionnaire qui trône au cœur de Nantes, une statue à l’effigie du dernier roi de France. L’idée de construire une colonne à la gloire du roi à Nantes émerge en 1788. La révolution éclate, le plan est transformé : on veut faire un monument à la gloire de la Liberté, l’architecte tient compte de l’évolution politique. Sous Napoléon, c’est un aigle, symbole de l’Empire, qui est installé sur la colonne. Finalement, la statue de Louis XVI est montée en haut de sa colonne lorsque la monarchie est restaurée. Cette colonne sera l’objet de controverses pendant des décennies. La statue s’abîme, et sa tête va même tomber à cause de l’usure ! Les statues de Louis XVI sont rarissimes en France, et Nantes est la seule grande ville avec une telle colonne, symbole d’une empreinte royaliste locale. Aujourd’hui encore, tous les ans, les royalistes viennent se recueillir autour de la colonne.