L’épidémie actuelle est venue suspendre, fragiliser ou même bouleverser une multitude de mondes. Evidemment, la crise n’aura pas été subie de la même façon selon que l’on habite dans une cité du 93 ou que l’on se retranche dans sa résidence secondaire en bord de mer. Mais comment a-t-elle été vécue dans des endroits aussi peu gouvernables que la ZAD de Notre-Dame des Landes ? Si des précautions on été prises, le confinement n’a pas grand sens dans des communautés dont l’activité nécessite des liens et des déplacements quotidiens. Il devenait même absurde quand il exigeait la fermeture des marchés paysans au profit de la grande industrie. Comment ce qui reste une zone d’expérimentation inédite, en rupture avec le capitalisme, s’est elle organisée en temps de COVID-19 ? Quelles formes de solidarités ont-elles été mises en place dans le sillage de celles qui existaient déjà ? Nous leur avons aussi demandé si de tels mondes étaient plus à même de résister aux désastres qui s’accumulent. « Sans doute, mais ça ne saurait suffire », nous ont-ils répondu. Pour eux en tout cas, avec le déconfinement qui vient, il est inenvisageable de « relancer à plein régime l’intoxication du monde ». Au contraire ils voient dans la suspension vertigineuse de la nocivité capitaliste « une opportunité historique de décider ce qui devrait se remettre en route ou non ». Ils préparent en ce sens un appel invitant les habitants des villes et campagnes à déterminer localement les secteurs qui leur semblent le plus évidemment toxiques en vue d’une première série d’actions simultanées le 17 juin. A suivre donc.

Un entretien avec des habitants de la ZAD. A lire !

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RDLR : Il y a maintenant un peu plus de deux ans, l’État lançait une expulsion militaire de la Zad de Notre-Dame des Landes. Des dizaines de cabanes et de lieux de vie étaient détruits. Mais il s’agissait aussi d’une opération de communication visant à faire croire au grand public que le ménage avait été fait et que l’ordre avait été restauré. Pourtant il continue bien de se passer quelque chose à Notre-Dame des Landes. Mais quoi ? Où en êtes-vous aujourd’hui ?

En effet le printemps qui suivit l’annonce de l’abandon fut le théâtre d’une opération militaire inédite. L’État français voulait se venger de l’humiliation que lui avait infligée la ZAD pendant dix ans. Des milliers de gendarmes sont venus pour raser et anéantir définitivement toutes les formes d’habitat et d’autonomie qui s’y expérimentaient. Ils ont échoué, même si cette rude épreuve ne nous a pas laissé indemne. Nous avons résisté physiquement, derrière les barricades et nous avons mis en œuvre une stratégie collective d’autodéfense administrative.

Au final, l’articulation de ces deux stratégies nous a permis de sauver plus de la moitié des lieux de la zone. Deux objectifs étaient au cœur de notre autodéfense territoriale : que les formes de vies en présence sur la ZAD ne soient pas exterminées, laissant derrière elles un désert, et que les terres agricoles que nous venions tout juste de sauver de la destruction ne retournent pas à des formes d’agriculture industrielle. Aujourd’hui, une soixantaine de lieux de vie collectifs sont encore debout et nous sommes plus de 150 habitants à peupler ce bocage. Nous continuons de construire des cabanes et de retaper des anciens corps de ferme.

Nous continuons de réinventer des manières d’habiter en commun à milles lieues des solitudes métropolitaines et du cadre familial traditionnel. Nous continuons de nous réapproprier et de transmettre des techniques et des savoirs-faire pour l’autonomie, notamment via des chantiers-école. Nous continuons de nous organiser en assemblée avec des habitants et des paysans de la région.

Nous avons sauvé environ 370 hectares de terres de l’agriculture intensive. Nous avons donc presque doublé les surfaces de terres prise en charge par le mouvement depuis l’abandon. Nous sommes signataires de baux de fermage de neuf ans, renouvelables automatiquement et qui nous prémunissent de toute expulsion. A coté de paysans individuels en bio, plusieurs collectifs y expérimentent des formes d’agriculture anticapitaliste. Celles-ci se caractérisent par le travail en commun, le soin au bocage et le fait qu’une part significative de nos productions ne soit pas vouée à l’économie de marché mais à notre autonomie alimentaire et à la solidarité avec les luttes en cours dans notre région.

Après avoir arraché une victoire historique contre l’aéroport, nous avons constitué une base arrière pour les luttes du grand ouest. Une force matérielle avec ses ateliers de production, ses capacités d’accueil et de projection en ville (ravitaillement, sonos et tracteurs pour renforcer les manifs nantaises). Sans parler de toutes nos activités non agricoles (construction, bibliothèque, radio, sérigraphie…).

 

Aujourd’hui, même si des discussions sont en cours sur des formes propriété collective inaliénable ou de baux de longue durée, nous sommes toujours  »squatteurs » de nos propres maisons et les négociations pour nous régulariser se révèlent être un véritable casse tête chinois pour les bureaucrates du département et de la préfecture. Nous avons maintenu un rapport de force qui démontre en quoi la ZAD reste ingouvernable, bien que ce soit d’une manière différente qu’avant l’abandon. Le 21 octobre dernier, nous avons organisé une prise de terre collective sur les parcelles d’un agriculteur intensif. Nous avons obtenu un bail sur ces terres. Le 17 janvier dernier, sans attendre l’autorisation de quiconque, nous avons levé une charpente pour reconstruire l’un des corps de ferme détruit par le projet d’aéroport. Ce chantier se poursuit et constitue sans doute l’acte 1 des reconstructions.

Quoi que puissent en dire certains puristes, spécialistes en leçons de radicalité sur internet, la ZAD reste le lieu d’une expérimentation inédite en terme d’auto-organisation, de rupture avec l’économie capitaliste et la pseudo-démocratie qui nous gouvernent. Il suffit de venir nous rendre visite pour en avoir le cœur net !

 

RDLR :  Si l’accumulation des désastres constitue la norme de nos sociétés industrialisées et connectées, capitalistes en un mot, le coronavirus nous a tous pris de cours : crise sanitaire inédite, mesures liberticides et confinement généralisé. Comment se passe le confinement dans le bocage ?

 

On pourrait répondre d’abord que pour nous le confinement n’a pas produit une modification radicale du quotidien. Pourtant, on a regardé attentivement l’évolution mondiale de l’épidémie et comme tout le monde on a décidé de renoncer à certains événements qui devaient rassembler beaucoup de monde sur place. Très vite nous avons ressenti le besoin de nous retrouver pour parler de la situation, essayer de faire la part des choses entre ce qui relève d’un mouvement de panique du pouvoir qui de toute évidence avait quelques trains de retard sur la situation et ce qui nous semblait indispensable à mettre en œuvre pour éviter que le virus touche les plus vulnérables d’entre nous. Faire la part des chose ça pouvait vouloir dire regarder avec autant de sérieux l’existence de l’épidémie en france d’un coté, et le développement soudain des privations sociales liées au confinement strict imposé par le gouvernement de l’autre.

Ici la notion de confinement ne nous est pas tout à fait étrangère. A deux reprises dans les 10 dernières années (2012 et 2018) nous avons vécu pendant plusieurs mois une forme de confinement assez particulière puisque la zad était encerclée par plusieurs milliers de gendarmes qui cherchaient à détruire nos maisons et cabanes. La circulation était devenue très difficile et en même temps absolument indispensable pour éviter l’isolement dans lequel l’Etat cherchait à nous contenir.

Avec ces deux expériences on a appris à se déplacer sans être vu sur la zad, on a trouvé des manières de se voir pour organiser la résistance aux expulsions, et cette capacité à habiter ce territoire, à s’y déplacer discrètement à utiliser les haies les bois, à maîtriser la géographie d’un bocage ou chaque champ se ressemble et ou l’absence de relief rend très difficile l’orientation. Cette capacité a très largement contribué à mettre en échec les tentatives d’anéantissement dont nous avons été les sujets. Alors avec le surgissement du covid-19 et les mesures de confinement prises en france on pourrait dire que certains réflexes de cette époque ont été remis au goût du jour même si la pression policière est bien moindre aujourd’hui.

Mais au-delà de cette expérience singulière, réside par ici une manière d’habiter (dans) ce territoire que nous avons défendu qui conjure structurellement les aspects les plus enfermants du confinement.

Difficile en effet de confiner au sens strict plusieurs communautés de vie reliées pour la plupart à des activités et des pratiques qui nécessitent quasi quotidiennement d’aller dans d’autre fermes, d’autres lieux, pour récupérer un tracteur, aller chercher le pain, changer une roue de bagnole.

Cette réalité que les autorités ont fini par tolérer dès l’instant ou la zad a perdu sa place centrale dans l’actualité du pays brise presque automatiquement le caractère profondément biopolitique du confinement. D’autant que l’on a la chance d’avoir de grands espaces de plein air pour se concerter. Par ailleurs, avec les précautions que nous avons pu choisir de prendre, il était clair que les activités paysannes, le soin des bêtes et des champs n’allaient pas s’arrêter ainsi qu’un certain nombre de constructions en cours. On a notamment pu, avec l’aide de camarades d’écoles autonomes de charpente ou de philosophie rester confinés ici, finir la construction d’un nouvel espace d’accueil dans la ferme de bellevue pour les visiteurs, évènements et formations. Il faut préciser aussi que quand on vit dans des collectifs de 10 ou 15 personnes comme c’est le cas de beaucoup de lieux ici, on ne se retrouve pas isolé et individualisé dans une période comme celle-là. Vivre confinés pour nous c’est continuer de vivre quasi normalement sur la zad et de surcroît c’est aussi étendre les techniques de déplacement sous les radars pour aller voir ce qui se passe en ville, y retrouver certains camarades de lutte et tenter de comprendre avec nos maigres moyens à quoi ressemble le tunnel dans lequel des milliards d’êtres humain sont aujourd’hui contraint de s’engouffrer (1).

RDLR : Vous avez publié un texte récent dans lequel vous contestez non pas le bien-fondé du confinement, mais l’une de ses modalités d’application, à savoir la fermeture des marchés paysans de plein air. Est-ce que vous pouvez nous rappeler les raisons qui vous ont poussé à vous opposer à une telle mesure ? Vous évoquiez alors la possibilité pour les agriculteurs locaux d’assurer la distribution malgré tout et de braver l’interdiction. C’était l’une des rares critiques d’une des formes du confinement qui s’accompagnait d’une critique en acte. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

C’était assez emblématique du type d’orientations scandaleuses qu’a pu prendre ce gouvernement face à la pandémie, alors qu’on est en plein éclatement de la bulle de déni sur les contingences biologiques dans laquelle s’est retranchée le monde moderne. Le confinement débute tout juste et là il appelle publiquement d’un côté à ce qu’une « armée de l’ombre » soit levée, pour soutenir les fermes industrielles dépourvues de leur main d’œuvre détachée pour les récoltes du printemps. De l’autre il ferme les marchés de plein air, alors que c’est notamment là qu’on peut trouver les produits d’une d’agriculture qui priorise encore le soin des populations et des terres. Ce sont des espaces qui pouvaient tout à fait s’adapter à la pandémie, surtout dans les villes vidées de leurs circulations habituelles. Mais non! dans cette situation, le gouvernement préfère encore faire un cadeau à la grande distribution, à l’agro-industrie et renforcer leur hégémonie. Il se trouve qu’un certain nombre de paysans de la zad étaient concernés comme d’autres par l’interdiction des marchés. On est parti de là. On a passé des coups de fils et en deux jours on a pu compter sur les réseaux paysans avec lesquels on s’est lié pendant le mouvement anti-aéroport pour sortir un premier appel à enquêter sur les situations des uns et des autres et à faire front contre les interdictions, y compris avec l’organisation de marchés sauvages si nécessaire. On a pas du tout été les seuls à agir à ce sujet. Il y a eu un tas de protestations locales sur les mairies, les appelant à faire des dérogations. Assez vite un grosse partie des marchés ont réouvert, à part à Nantes notamment. Après ce dont on s’est rendu compte une fois de plus c’est qu’on vit dans un coin où subsistent des solidarités paysannes assez formidables. Et là où certains marchés demeuraient fermés, les paysans concernés se sont vu invités à rejoindre des amaps, des ventes hedomadaires à la ferme ou des magasins de producteurs. En réalité, le confinement a plutôt été un moment où il y eu un gros renforcement de la demande sur ces lieux là.

Difficile dans un premier temps de faire l’analyse de cet afflux soudain, beaucoup dans ces réseaux espéraient un peu naïvement la fameuse « prise de conscience » de la population sur la question de la production agricole mais assez vite on a pu constater que d’un point de vente à l’autre, pour un certain nombre de personnes dépourvues pendant des semaines de leur lieux de sociabilité, la ferme ou le magasin de producteur offraient un cadre significativement plus agréable pour se retrouver que n’importe quel rayon de supermarché. Aussi, aux longues files d’attentes à l’entrée des fermes s’ajoutaient des grappes de personnes qui restaient parfois deux ou trois heures pour discuter, se raconter le quotidien transformé et partager les dernières vidéos sous confinement.
La survie et le développement des circuits court tient dans un paradoxe assez cruel depuis plus de 30 ans. Comme le rappelait un vieil ami paysan, chaque crise sanitaire, alimentaire ou économique produit dans ces réseaux de distribution un regain de participation et à défaut de renverser la vapeur face à l’agro-industrie, il permet à chaque fois à cette forme locale de distribution de renforcer un peu ses assises. La crise comme moteur de transformation des habitudes sur ce plan, ça peut laisser quelques sueurs froides mais c’est ainsi que les choses fonctionnent depuis longtemps. S’il est trop tôt encore pour mesurer les effets à moyen et long terme de l’épisode covid-19 sur la question agricole on peut tout de même pressentir que les choses vont se tasser un peu et que les habitudes d’avant vont reprendre le dessus.

Ce qu’il a manqué certainement pendant l’épisode fermeture des marchés, c’est une montée au front du monde paysan contre les grandes surface qui dès à présent dans la campagne ligérienne cherchent à engloutir la production locale en proposant de vendre les produits dans leurs rayons. Organiser des marchés sauvages, porter en ville la bataille sur cette question aurait pu constituer des tentatives importantes dans un moment ou tout était fragilisé. Mais l’effet de sidération des premières semaines et le volte-face du gouvernement sur la question des marchés aura eu raison de cette possible levée de conflictualité dans le monde agricole.

A ce titre, on va rentrer dans une période où deux modèles vont être en confrontation d’autant plus violente avec la crise économique, possiblement alimentaire, qui s’annonce et un resserrement autour des besoins fondamentaux et donc aussi de l’accès à la terre. La FNSEA a commencé ces dernières semaines à augmenter la pression pour qu’on lâche encore plus les brides à la voie intensive et à l’accaparement foncier par des méga-fermes. De l’autre on peut espérer un renforcement des réseaux paysans, des jardins partagés, de nouvelles vocations et installations, et l’ouverture d’un nouveau cycle de luttes foncières.

 

RDLR : Des réseaux d’entraide et de solidarité fleurissent un peu partout. Dans beaucoup de cas, il s’agit de groupes préexistant à la crise actuelle dont le but n’est pas de pallier les manquements de l’État mais de s’organiser en dehors de lui et contre lui. Autour de vous, il y a le « réseau de ravitaillement des luttes ». Comment est-il mis à contribution en ce moment ?

 

Un mot d’abord sur la texture des réseaux d’entraide à Nantes. Il faut ici saluer le boulot énorme du collectif l’Autre Cantine. Celui-ci existe depuis plusieurs années. Il est né dans le sillage des campagnes de réquisition de locaux vides pour et avec les exilés. A cette occasion le château d’un ancien négrier au cœur du campus de la FAC de Nantes ou encore un EHPAD abandonné avaient fait l’objet d’occupations. Suite aux expulsions, les exilés avaient monté un campement au cœur du centre ville. L’autre cantine s’est constitué à ce moment là et n’a cessé de gagner en consistance depuis, servant environ 500 repas par jour avec et pour les exilés de Nantes. Comme dans d’autres villes, la mairie et les institutions en déroute sont acculées à lui déléguer de plus en plus de responsabilités dans l’entraide et le soutien aux personnes en galère. Le pouvoir croit en tirer parti mais au fond, il se fourvoie.

La période actuelle renforce l’auto-organisation à la base. Elle démontre aux yeux de tous la supériorité de ces pratiques par rapport à la gestion verticale et bureaucratique des pouvoirs publics.

Concernant la Cagette des Terres, le réseau de ravitaillement des luttes du pays nantais, la période nous a profondément déboussolé. Depuis plusieurs années nous ravitaillons les luttes sociales et écologiques avec les produits de paysans locaux solidaires : bouffes pendant les manifs, sur les blocages et les piquets de grève ; distribution de cagettes garnies aux grévistes de longue durée,etc. Or le confinement a marqué un coup d’arrêt brutal aux luttes en cours. Plus de possibilité de se réunir, de tenir assemblée pour s’organiser. Interdiction des rassemblements et des manifs. Enfermement de chacun chez soi. Abolition de tout espace public en dehors de la virtualité numérique. Constatant que nous n’avions pas les forces de fournir le boulot d’urgence et d’entraide extraordinaire déjà fourni par l’Autre Cantine à Nantes, le réseau s’est concentré sur le maintien des liens et de la composition à même d’engendrer une reprise des hostilités, un retour des luttes et des prises de rue. Cela c’est notamment manifesté par des chantiers agricoles collectifs pour que les confinés aient une autre possibilité que de s’enrôler pour l’agriculture industrielle estampillée FNSEA.

RDLR : Je crois que vous avez d’autres propositions ?

Depuis quelques temps et malgré le confinement, des formes d’organisation et de discussions se sont trouvées avec des gilets jaunes, des syndicalistes, des étudiants, des écologistes et des paysans. Et ça fait du bien ! Face au caractère totalitaire de certaines dispositions de l’État d’urgence sanitaire, qui viole les règles constitutionnelles les plus élémentaires de nos prétendues démocraties, il eut été catastrophique de ne pas parvenir par différentes formes adaptées à la situation à tenir des assemblées. Alors, nous avons pris cette liberté. Plusieurs hypothèses ont émergé de ces assemblées confinées. Pour l’instant, nous nous contentons de les faire exister dans le paysage, de sonder les gens un peu partout, le temps de voir ce qui résonne et de scruter les appels publics à redescendre dans la rue qui commence à émerger dans le département comme partout ailleurs.

La première tentative semble être de se retrouver le 11 mai au soir devant le CHU de Nantes pour rendre hommage à toutes les professions nécessaires. Le tout masqués (bien sûr!) et en gardant nos distances.

Avec la fin du confinement total, le gouvernement voudrait que l’on ne puisse sortir de chez nous que pour travailler et consommer. Il va devoir se faire à l’idée que nous ne nous contenterons pas des applaudissements aux balcons.

Dès que possible, nous allons redescendre dans la rue pour qu’il octroie aux soignants ce qu’il leur a refusé durant leur grève qui a duré des mois. Et au-delà des soignants, pour que les caissières, pompiers, routiers et autres smicards indispensables voient leur salaires augmenter sur le champ. Pas question que « l’argent magique » existe pour Air France et Renault, sans que les smicards et chômeurs n’en voient la couleur !

D’autres idées circulent à plus ou moins longue échéance… Par exemple, une fête de la musique le 21 juin en hommage à Steeve, tué par la police l’an dernier, en étant inventif sur les formes. Au train où vont les choses, nous sommes persuadés qu’en septembre, il sera trop tard et qu’il faut relancer une dynamique de lutte avant l’été. Parce que nous refusons de nous laisser imposer la gestion désastreuse du virus par le gouvernement. Parce que seule l’émergence d’un mouvement puissant peut nous permettre de résister aux chocs de la crise économique qui commence .

Enfin, le parti présidentiel, LREM a annoncé la tenue de son université d’été en septembre à Nantes. En 2016, le gouvernement socialiste à l’agonie avait eu la même idée. Face à l’organisation d’un abordage de l’évènement, il avait pris peur et tout annulé. Nul doute que Nantes saura – une fois encore – tenir son rang. Celui d’une ville révoltée, un cimetière des éléphants où les partis gouvernementaux à bout de souffle viennent mourir !

 

RDLR : On pourrait penser que ceux qui s’étaient attachés à faire vivre d’autres mondes au sein de l’atomisation et de la misère marchande sont finalement mieux préparés pour résister à ce genre de situation en termes de moyens matériels et de liens. Sans vous faire endosser aucune responsabilité historique, est-ce que vous pensez que c’est l’une des solutions face aux désastres présents et futurs ?

C’est sûr que la séquence historique qui vient de s’ouvrir nous a plus que conforté dans nos choix de rester vivre sur la zad et d’y construire une pratique des communs qui se constitue dans une attention particulière au vivant. On n’aurait pas défendu ce morceau de bocage aussi âprement si l’on était pas persuadé que le type d’enracinement et d’auto-organisation qui s’y était constitué pendant le mouvement anti-aéroport n’était pas à la fois ce que nous désirions vivre et une des formes d’appui nécessaire pour le développement d’un mouvement révolutionnaire. Ceci dit une enclave plus libre n’est évidemment jamais une solution à de quelconques désastres globaux si elle reste isolée et repliée sur sa propre existence. Se pose alors la question des moyens de diffusion d’expériences d’emprise territoriale désirable que ce soit en ville ou dans les campagnes. On peut espérer que la vague de luttes territoriales qui continue à se développer face à des projets destructeurs, parviennent d’un part à réellement mettre ces projets en déroute puis, c’est le défi le plus complexe, à se maintenir sur les espaces concernés pour y ancrer dans la durée des formes d’autonomie. C’est le type d’enjeux auxquels doivent faire face des terres récemment sauvées comme celles de Gonesse ou des Lentillères avec qui nous avons été heureux de partager de nouveaux toasts de victoire lors du banquet des deux ans de l’abandon de l’aéroport le 17 janvier dernier. Après avoir dû nous concentrer sur la bataille foncière à l’intérieur de la zad après l’abandon, on compte bien en tout cas appuyer dans les mois à venir la possibilité de mouvements de prises de terres à l’extérieur du bocage. Par ailleurs, on ne croit pas que faire face au désastre puisse essentiellement reposer sur l’essaimage de formes de « communes libres », aux perspectives forcément limités et menacées tant que ne surgissent pas des ressorts plus profonds de bouleversements. Cela ne va pas en tout cas sans se donner les moyens d’accroître le conflit direct avec ce qui empoisonne le monde.

A ce titre on a le sentiment qu’il y a une masse d’analyses très justes sur la crise en cours et l’absolue nécessité d’en tirer des conséquences. Mais une difficulté inversement proportionnelle à retrouver un élan d’action approprié. Il y a plein de raisons à cela dans un contexte aussi anxiogène et incertain. Et pourtant, c’est aussi la première fois dans nos existences que l’on voit la machine infernale s’arrêter réellement, aussi massivement en tout cas.

C’est la première fois depuis le début de l’ère industrielle que la nocivité globale des activités humaines chute de manière drastique, à un moment où tout le monde sait que la planète est au bout du rouleau, que l’on a bousillé les possibilités de continuer à l’habiter pour la majorité des être vivants.

Même pour nous qui habitons un coin de campagne plus préservé qu’ailleurs, ce n’est pas la moindre des émotions, après s’être battu pendant des années contre les avions et leur monde, de ne plus les voir strier le ciel au-dessus de nous depuis deux mois, avec tout ce que ça implique en terme de chute des gaz à effet de serre. Cette suspension vertigineuse, on devrait la considérer comme une opportunité historique de décider ce qui devrait se remettre en route ou non. On se dit en tout cas, comme plein d’autres, que ce n’est absolument pas envisageable qu’on laisse après ça les types aux manettes relancer à plein régime l’intoxication du monde – tout en maintenant par ailleurs une majeure partie de la population isolé.es et contrôlé.es dans des cellules numériques, coupé.es de ce qui fait le sel et la matérialité de l’existence. Et pourtant le gouvernement n’a même pas attendu la fin du premier round de confinement pour autoriser des déversements de pesticides à plus faible distance encore des maisons, pour relancer la construction d’avions ou l’extraction minière en guyane…. Et comme on ne croit pas une nanoseconde que la multiplication des appels solennels et indignés d’un brochette de stars clinquantes les implorant une fois de plus à opérer un tournant vertueux va changer quoi que ce soit à la logique économique démentielle dans laquelle ils sont confinés, on repart de la base sans laquelle on sait ici qu’on ne peut les arrêter : l’action de terrain.

Avec divers autres groupes à travers le pays, on s’est donc lancé cette semaine dans l’élaboration d’un appel invitant les habitant.es des villes et campagnes à déterminer localement les secteurs qui leur semblent le plus évidemment toxiques – cimenteries, usines de pesticides ou productions de gaz et grenades de la police, construction de nouveaux avions ou de plates-formes amazon sur des terres arables, unité d’élevage industriel, destructions de forêts et prairies en cours… L’idée est d’inviter chacun.e localement à dresser de premières cartographies concrètes de ce qui ne doit pas redémarrer, de ce qui doit immédiatement cesser autour d’eux, en s’appuyant là où c’est possible sur les luttes existantes avant le confinement.

Puis nous voulons convier à une première série d’actions simultanées le 17 juin : rassemblements et blocages sur une série de sites, mais aussi des occupations de terres dans et hors des villes pour des productions vivrières, ou de lieux pour y stabiliser des réseaux de redistribution et d’entraide…

Là encore on veux prendre date maintenant pour marquer une première étape. Il s’agit de sortir d’un certain état d’effarement et de se donner des signes que l’on rentre de nouveau dans une phase d’action collective. Dans le monde matériel et pas seulement sur les réseaux sociaux. Avec toutes celles et ceux qui, comme nous, sont bouleversé.es par l’acuité renforcée que donne la pandémie sur ces « désastres présents et futurs », mais aussi sur les voies encore viables.

Des habitant.es de la zad.

 

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1) Pour en savoir plus sur ces questions, voir aussi ces deux textes capitaux :
https://lundi.am/ZAD
https://zad.nadir.org/spip.php?article6664

Pour avoir des nouvelles de la zad,  il est possible d’aller voir sur la page facebook
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