Dans un tchat avec des camarades, j’ai dis où j’en était vis-à-vis du confinement : « Pour ma part, je sors toujours, pas encore de contrôle de police pour moi, toujours à voir mes ami·e·s ici et là, chez moi ou chez elleux, certain·e·s avec qui on respecte le truc de distanciation sociale, d’autres non »
Quelqu’un a répondu : « et toujours en train de tuer des gens »

D’habitude ce genre de trucs n’a pas d’effet sur moi parce que ça arrive tout le temps. Mais cette fois ça m’a fait mal, parce que je ne pensais pas que ça pouvait arriver avec des camarades.

J’ai bien envie de creuser le sujet, mais je ne pense pas qu’on puisse discuter de ça correctement si des gens commencent à m’insulter en public. Je pense pas que ça soit juste, ni ouvert d’esprit, ni respectueux.

Mais bref, un truc qui me vient c’est que c’est vraiment facile de dire ça, de me faire culpabiliser, alors que sur ce terrain on pourrait facilement répondre « mé toi aussi t’es un meurtrier : t’as un smartphone, t’utilises de l’électricité et du pétrole, tu vis en ville, et 1000 autres trucs ». Mais bon, sur le moment j’y ai pas pensé.

C’est sûrement une bonne idée de préciser dès maintenant que je suis en France, dans une ville de ~400 000 habitants, seule dans un petit appart’ rempli des affaires de la personne qui m’y accueille.

Après la phrase m’accusant d’être une meurtrière y’a eu d’autres trucs, puis une personne qui dit « J’ai l’impression que cette épidémie a mis en lumière à quel point les valeurs de la gauche et des groupes autonomes sont vides »
C’est teeellement méprisant de dire ça. Qui a « les valeurs parfaites et correctes » que la gauche et les autonomes n’ont pas ? J’ai loupé quelque chose?
Déso mais j’en ai ras-le-bol.

Ras-le-bol qu’on me dise quoi faire sans avoir une once de chance d’ouvrir ma gueule, d’être écoutée, dans une situation qui est terrifiante principalement parce que les gouvernements n’en ont rien à faire des gens et prennent des décisions qui sont valables pour les « gens normaux » et celleux qui sont réellement effrayé.e.s (et qui peuvent avoir de bonnes raisons pour ça, que je respecte).

Pourquoi les gens meurent? Parce que les gouvernements n’en ont rien à carrer et parce que mourir c’est la vie. Pas parce que je suis vivante.

Un peu plus tard j’ai eu droit à : « ne pas prendre ses responsabilités personnelles et collectives, et les déléguer à l’état est quelque chose de très dur pour moi à supporter »

Ça c’est hardos. Je suis sdf (pas seulement par choix) et j’ai aucun revenu perso depuis deux ans et demi; qu’est-ce que vous voulez que je foute? Vous voulez me faire dire au monde entier « Ah oui, une épidémie? Oui je vais me trouver une maison, y rester kéblo afin que le reste du monde soit ok. » ? NON. On a jamais arrêté la planète pour les gens qui crèvent en hiver, dans les mines ou parce qu’iels ne sont pas « normaux ». Et vous voyez très bien c’que j’veux dire.

Je NE suis PAS responsable de la merde des gouvernements.

J’ai besoin d’être avec mes potes.
J’ai besoin de les voir, les toucher, les embrasser, fumer avec elleux, chiâler dans leurs bras et rire très fort sur le balcon.
J’ai besoin d’aller faire de la rékup’ avec mes potes.
J’ai besoin de les aider autant que j’ai besoin de leur aide.

J’ai besoin de ne pas arrêter de vivre. Enfin pourquoi pas, mais pour le moment j’ai d’autres projets.

Et ma vie est beaucoup plus simple que plein de gens, je sais. Mais je vois que là où je suis, les gens qui bougent et voient d’autres gens sont majoritairement des pauvres et/ou des personnes qui subissent plusieurs oppression. Ce dont je suis. Celleux qui prenaient déjà des risques tous les jours avant le confinement semblent dealer plus facilement avec l’anxiété et le stress collectifs en place.

Toute ma vie on me dit de me taire et de me cacher, parce que je suis pauvre et que j’ai l’air pauvre (selon le référentiel français), parce que je suis une meuf avec une barbe et une voix grave. Et on est PLEIN dans cette situation, à qui on dit de fermer sa gueule, se cacher et crever, tout le temps, juste parce qu’on est ce que l’on est. Et c’est de la grosse merde et personne n’a jamais arrêté la planète pour ça.

Un autre truc : j’ai entendu plein de gens dire « si tu sors, t’es validiste ». Ça aussi c’est de la merde. Me dire de rester « à la maison » (hmpfr, SDF, ça vous dit ketchoz?) et seule c’est AUSSI validiste. Je ne vais pas aller voir des gens qui ne le veulent pas. Je vais pas m’approcher de quelqu’un·e qui ne veut pas. Je m’assurerai d’avoir pleinement leur consentement avant de me rapprocher à moins d’un ou deux metres. ÉVIDEMMENT.

Un truc qui m’a été dit en mode conseil dans cette discussion, c’est de « limiter de nombre de contacts ». Je pense que ça pourrait être une bonne stratégie, mais je pense que c’est pas si simple. Certain·e·s potes qui respectaient de ouf le confinement commencent à péter des câbles, donc iels ont envie de voir leurs potes pour survivre. Mais parfois leurs potes sont dans des situations de confinement super fort parce qu’iels taffent avec des personnes âgées ou fragiles physiquement. Donc iels peuvent voir du monde, mais seulement à 2 mètres. Et après quand moi je vois ces potes, on essaie de faire attention, mais on ne pas faire plus que ce qu’on peut faire, ça me semble évident. Dans tous les cas, mes potes ont d’autres ami·e·s et les voient, et tou·te·s ne sont pas potes entre elleux.

Donc, concernant la manière dont je gère la prise de risque : les gens que je vois et moi-même on fait bien attention aux risques que l’on prend et on les accèpte pour nous-mêmes. C’est une chose assez importante je pense.
L’autre truc, c’est que quand mes potes viennent là où je vis en ce moment – où je suis depuis le 15 mars et jusqu’au 15 mai, lol, depuis juste avant le confinement (la chance?!) et jusqu’à avant la fin de celui-ci – iels doivent se laver les mains et boire dans leur propre verre, la plupart du temps. On essaye de réduire les risques, mais juste, on peut pas tous les éliminer. Pareil quand je vais chez elleux. Pareil quand je reviens à l’appart’, je me lave les mains, je lave mes clés, les poignées de mon vélo, etc.
Voyez, je fais de mon mieux. Pas besoin de m’insulter.

Ah et dernière chose : la « culture de la Vie » c’est quelque chose que je ne partage pas avec la plupart des gens. Je ne suis pas de celles-ci. Ça me le fait si ma maman chérie (que j’aime pour de vrai, pas comme mon père) meurt. Bien sûr je serai triste. Mais c’est la vie. Les gens meurent. Tout le temps. Et je ne vais pas essayer de sauver des gens qu’en ont rien à faire des opprimé·e·s ou juste qui profitent de leur supériorité de classe, ni de celleux qui me disent que ça leur fait de prendre des risques.
Je sais bien que sortir augmente le risque d’avoir un accident et de prendre une place à l’hôpital. Ouais. Pareil si je reste chez moi tsé. Et je vais pas me sacrifier pour « l’humanité », no way, j’ai déjà donné.

Aussi je sais bien que ma situation est spécifique à ma situation, mais aussi, au pays où je suis et plein d’autres trucs. Je sais que j’ai aussi des privilèges ici, de l’eau potable partout, des ami·e·s pour m’accueillir si j’ai besoin, des potes docteur·e·s, et un bon système immunitaire. Je ne suis pas en train de dire un truc du genre « tout le monde devrait faire comme moi ». Je fais ce que je fais pour ne pas m’enfoncer toujours plus dans un état mental dangereux pour moi.

Merci d’avoir pris le temps de lire. Je suis aussi deg parce que moi je dois me justifier, mais les gens qui m’insultent sans chercher à comprendre n’ont même pas à prendre cette peine, puisque l’état se charge de le faire pour eux. Je serai contente de discuter de tout ça et d’entendre ce que vous en pensez, si je sens que je ne suis pas insultée, que mon avis a de la valeur et vaut le coup d’être écouté.

Crève la bourgeoisie (ouais, la petite bourgeoisie aussi)