Le contexte répressif, s’aggravant de jours en jours, et les effrayantes dynamiques autoritaires qui se mettent en place, qui s’accélèrent et se consolident actuellement, doivent nous pousser à remettre en question nos manières d’agir.

Un constat, partagé par beaucoup, émerge depuis plusieurs mois: ni la manifestation ni l’émeute ne permettent aujourd’hui une véritable progression de nos idées, de nos revendications et de notre force collective. La manifestation, bien qu’enjolivée par la possibilité du black bloc et du cortège de tête, reste une expérience davantage existentielle que politique. Les victoires que nous y obtenons se limitent à faire reculer des flics ou détruire quelques biens, faire irruption un court instant là où on est indésirables. C’est une petite victoire, c’est vrai, celle de l’instant. Et ça fait du bien, c’est vrai, c’est un moment revendicatif fort. Mais à la fin de la journée, c’est toujours l’État qui gagne.

Nous rêvons d’insurrection, mais en plus d’une année d’émeutes, avec le mouvement des Gilets Jaunes, nous ne sommes pas parvenu-e-s une seule fois à faire durer l’émeute plus d’une journée, ni à la transformer en situation insurrectionnelle.
Et à quel prix? Le renforcement continuel de l’appareil répressif est devenu tel que manifester aujourd’hui relève du calvaire, si bien qu’on assiste à une véritable démobilisation au niveau des manifestations.
L’émeute et la casse, bien qu’essentielles, nous font le plus souvent sombrer dans la représentation et deviennent finalement stériles collectivement, car elles sont devenus routinières.
Il ne s’agit pas de dire n’allons plus en manif’ ou n’émeutons plus. Il s’agit de dire: adaptons-nous quand la stratégie ne paye plus et soyons capables de sortir de nos habitudes, de faire autre chose, de combiner des modes d’actions.
Continuer tel que nous le faisons, c’est perpétuer le cycle néfaste que nous vivons actuellement et dont nous peinons à nous sortir.

Dans le rapport de force qui nous oppose à l’État, reprenons l’initiative, et multiplions les offensives.

Si le mouvement des Gilets Jaunes a bien prouvé une chose, c’est que quand l’État tremble, il peut reculer. En Décembre 2018, l’émeute avait un sens. Elle était inattendue et spontanée, d’où sa force. Aujourd’hui, elle est attendue et donc contenue. Il faut trouver d’autres moyens.

On peut faire trembler les puissants autrement, par une action concrète sur le réel.
L’action directe permet cela. Elle est tout d’abord action physique sur du réel, elle impacte réellement, matériellement, l’état des choses. Contrairement à nos affiches, à nos tracts, à nos articles, à nos médias militants, l’action directe a un impact dans le quotidien «des gens», et ne touche pas que des «militant-e-s». Elle dépasse nos cercles habituels. De ce fait elle est pleinement politique.
Par ailleurs, elle permet de construire des dynamiques positives: une action réussie, c’est une victoire qu’on ne pourra pas nous retirer, ce qui est fait est fait. C’est un acquis. Construire des dynamiques positives, se sentir agissant sur le réel, c’est aussi créer des manières d’agir durables, car tenables psychologiquement. C’est tout le contraire des manifestations actuelles qui nous épuisent, car nous savons qu’elles sont stériles, en plus d’être devenues ultra dangereuses. L’action directe motive, car elle est une activité créative, une invention de tous les instants, et donne le sentiment de reprendre les choses en main.

A un niveau organisationnel, elle est peut-être le mode d’action offensif le plus simple à mettre en œuvre, et paradoxalement, peut-être le plus sûr. Pour réaliser un sabotage efficace, pas besoin d’être en nombre important, ni d’avoir une expérience particulière. L’action directe est à la portée de tous et toutes. Et très peu sont celles et ceux qui se font choper en réalité, car pratiquer l’action directe, c’est avoir l’initiative de l’action, c’est donc avoir un coup d’avance sur les forces répressives, pouvoir prévoir et anticiper, pouvoir se préparer. Il faut aussi absolument faire disparaître cette croyance répandue selon laquelle l’action directe est réservée aux militant-e-s aguerri-e-s, aux expert-e-s, à l’«avant-garde» du mouvement. Elle est à portée de n’importe qui, il faut l’affirmer.
Et faire une manif sauvage aujourd’hui implique plus de savoirs-faire et de risques qu’une action directe illégale.

Stratégiquement enfin, l’action directe est plus qu’intéressante. Elle permet d’attaquer concrètement nos ennemis, que ce soit le patriarcat, le capitalisme, le spécisme ou l’État. Elle permet d’infliger des dégâts réels, et de construire un rapport de force, notamment quand plusieurs actions ciblent les mêmes objectifs. Pour être efficace, l’action directe doit être répétée et permanente, c’est notre difficulté actuelle. Bien que presque tous les jours des actions de ce type soient menées, la stratégie de l’action directe peine à gagner du terrain et à s’étendre. Pourtant quand de véritables campagnes d’actions se lancent, et que des ennemis sont touchés à plusieurs reprises, nous reprenons le contrôle. C’est nous qui avons l’initiative et qui à partir de là pouvons faire craquer nos adversaires.
On peut prendre comme exemple la vague d’attaques de magasins spécistes qui a eu pour mérite de créer un véritable débat à l’échelle nationale autour de la question de l’exploitation animale. Quelques attaques de nuit qui ont eu plus d’impact que des années d’actions pacifistes ou de manifestations sur le sujet. On pourrait citer également la campagne d’attaques antifascistes visant le Bastion Social, et qui, engendrant la destruction de locaux ennemis, a provoqué un affaiblissement considérable du groupuscule fasciste, aujourd’hui démantelé. On peut évoquer l’importante campagne d’actions directes de soutien à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, qui a forcément pesé dans la décisions du gouvernement d’annuler le projet d’aéroport. Les exemples sont multiples, et les manières de faire diverses. Mais toujours, quand des actions directes sont coordonnées, ou simplement ciblent les mêmes objectifs, il y a des résultats probants, et un gain de temps et d’énergie énorme.

Surtout, au vu du contexte actuel encore une fois, il paraît urgent d’assumer une radicalisation de nos moyens d’agir et de nos volontés. Face à nous, le rythme s’accélère. Contre leur radicalisation vers plus de contrôle, plus d’autoritarisme, plus d’oppressions, comprenons que nous aussi nous devons aller plus loin pour pouvoir encore résister, et ne pas être balayé-e-s. Il faut faire acte de résistance, une résistance concrète, et pas seulement symbolique.

Il nous faut donc ré-interroger nos pratiques, ne pas se reposer sur nos acquis, et être conscient-e-s que nous sommes en train de perdre. Pratiquer l’action directe massivement, c’est développer un mode d’action qui peut nous faire reprendre l’avantage dans la guerre sociale actuelle, ou qui au moins, permet de créer des dynamiques positives et offensives, ce dont nous avons cruellement besoin.