Depuis deux semaines, je me sens coincé entre deux peurs. La peur du virus, bien sûr. Pas forcément la peur individuel, je suis jeune et en bonne santé et je compte bien lui survivre. Non, plutôt peur que pleins de gens meurent, que les hôpitaux soient saturés, peur que se soit en partie à cause de moi. Peur, que si je fais pas gaffe, ça peut blesser d’autres personnes.

Et puis la deuxième peur. Celle de la police, des nouvelles lois sécuritaires, du nouveau pas franchis vers une société toujours plus totalitaire. À un moment, tout se mélange dans ma tête. Je reste enfermé seul chez moi. Je ne sais plus moi-même si c’est à cause du virus ou à cause de la police.

J’ai commencé à me confiner samedi 14, au soir. Quand Macron a recommandé de rester chez soi. J’en ai rien à foutre de Macron. Mais je pense qu’il faut des mesures collectives. Des mesures qu’on applique tou.te.s pour s’en sortir ensemble. La période d’incubation semble durer environ six jours, avec peut-être une possibilité de monter jusqu’à 14 jours. Qu’est ce que c’est que c’est que 14 jours dans une vie ? Je me suis dit « ok », je reste confiné 14 jours. Ces 14 jours finissent samedi soir. Mais bon, le confinement est plus efficace si tout le monde le fait en même temps. Beaucoup de gens ont commencé seulement mardi, alors, je tiendrai jusqu’à mardi.

Mardi, j’arrête le confinement. Je ne suis pas médecin. Peut-être que 14 jours, c’est trop court. Peut-être qu’il faudrait plus. Mais je ne peux pas décider ça tout seul. Lundi dernier, Airbus a recommencé le boulot. J’ai jamais bossé chez Airbus. J’imagine que c’est un grand atelier. J’imagine que plus de cinq personnes travaillent en même temps dans l’usine. J’imagine qu’il n’y a pas des sanitaires persos réservés à chaque employé.e. Je comprend pas. Quelle urgence y a-t-il à construire des avions à un moment ou des gens risquent d’en mourir ? Pourquoi ne pas attendre, deux mois, trois mois ? Je suis personnellement prêt à ne plus prendre l’avion pendant 6 mois si ça peut sauver des vies !

Je ne suis, ni le patron d’Airbus, ni l’État qui l’a autorisé à rouvrir. J’ai du respect pour la vie humaine. Je vais continuer à ne pas m’approcher des autres humains, je ne vais pas rendre visite à des ami.e.s, je vais éviter d’utiliser des toilettes publiques.

Par contre, je n’ai pas de respect pour les fantasmes autoritaires de celles et ceux qui ont eux-même provoqué la crise sanitaire. Car oui, ils l’ont provoqué. En refusant d’arrêter le trafic aérien avant que le virus n’arrive dans l’hexagone. En laissant les hôpitaux publics se dégrader. En négligeant les stocks de masques. En n’anticipant pas le besoin de tests de dépistages. En forçant les ouvriers du bâtiment à reprendre le travail. En autorisant pleins d’autres usines à maintenir leur production.

Tant qu’Airbus fonctionnera, je sortirai de chez moi, je marcherai au soleil, j’irai dans les parcs et sur les plages.

Je sais qu’il y aura la police en face de moi, et qu’ils ne seront pas tendre. Je sais aussi que si je reste chez moi paralysé par la peur, je pourrais aussi bien en crever.