Il est important de noter qu’une manifestation telle qu’elle se déroule dans le cadre de ce mouvement (mais aussi dans toute manifestation teintée de violence) présente de nombreux facteurs de risque de développer ce que l’on appelle un syndrome de stress post-traumatique (SSPT).

Quand nous parlons de traumatisme, nous ne parlons pas de l’événement en lui-même mais des effets psychologiques de celui-ci ce qui induit un facteur de variabilité subjective. Tout le monde ne vivra pas le même événement de la même façon, les effets psychologiques seront donc différents. Il est néanmoins possible de repérer les facteurs de risques qui rendent un événement particulièrement traumatogène. Parmi ceux là, nous pouvons relever :

– le caractère soudain de l’événement (impact particulièrement présent chez les personnes qui manifestent pour la première fois et qui ne s’attendent pas à la violence qu’elles y rencontrent)

– les stimulations intenses (bruits pénétrants des grenades de désencerclement ou des cris, sensation d’étouffement ou perturbation du champs de vision liées au gaz lacrymogène, bousculades…),

– la confrontation à la réalité de la mort via le danger d’atteinte à son intégrité physique (répression violente, être nassé sans possibilité de fuite, être blessé ou témoin de blessures graves, sentiment d’être menacé par un agent de police armé…)

– le caractère intentionnel et humain de ces actes destructeurs (porté par le discours du gouvernement qui légitime la répression policière là où la police est d’abord associée à la protection du citoyen)

– la sensation d’être humilié ou dénigré (qui peut d’ailleurs être la cause de l’engagement dans la lutte sociale)

– le sentiment de perte de sens de l’action (qui peut être présent quand la lutte est longue où sans résultat satisfaisant)

– la vulnérabilité physique et/ou psychique (que l’on retrouve chez des manifestants récurrents qui peuvent être fatigués, voire déjà traumatisés ce qui réactualise le trauma en permanence)

Il est important de différencier le « choc psychologique » du syndrome de stress post-traumatique. Avoir subi un choc psychologique est néanmoins un facteur de risque de développer un SSPT.

Une personne confrontée à un événement traumatogène (autrement dit soudain, violent et qui le confronte à la réalité de la mort) peut subir un choc psychologique qui prend la forme d’une sidération, d’un black-out durant lequel la personne ne pense plus, n’a plus ni d’émotions ni de sensation et reste tétanisée. Cet état est transitoire mais peut durer de quelques secondes à quelques heures. La personne choquée peut fonctionner en pilote automatique et rentrer chez elle par exemple. Cet état de choc peut donner à la personne la sensation d’avoir vécu une petite mort, une expérience qui la sort de l’expérience commune des autres humains. Elle peut donc se sentir en dehors de la réalité commune et se vivre ainsi rejetée, exclus.

Si cette personne choquée peut verbaliser très rapidement son vécu, ce qu’elle a vu, ce qu’elle a pensé, ce qu’elle a ressenti, ce qu’elle a fait dans un espace où elle se sent entendue, reconnue, ré-inclue, le choc peut s’estomper. Il est donc primordial qu’après une manifestation, les personnes qui ont été choquées puissent être entourées.

En revanche, si le choc est trop intense, si l’individu a la sensation d’être isolé, seul avec son vécu différent, s’il ne se sent pas compris, s’il est culpabilisé de ce moment de vulnérabilité ou de s’être ainsi exposé, s’il a un sentiment de perte de sens d’autant plus grand, s’il ne prend pas le temps de reposer avant de se confronter à nouveau aux même stimulations (retour en manifestation ou regarder des images qui réactualise l’état de choc), il risque développer un SSPT.

Le SSPT peut se déclarer de différentes façons (également à retardement) mais on repère toujours :

– des réminiscences (flash-back et/ou cauchemars incontrôlables qui tournent en boucle. La personne peut même avoir l’impression de revivre l’événement traumatique et déclarer des attaques de panique)

– des troubles de la mémoire (souvent avec une amnésie de certains éléments et une hypermnésie d’autres moments qui reviennent à l’esprit de manière très détaillée)
état d’hypervigilance (la personne est toujours sur ses gardes et se sent menacée en permanence. Par exemple, elle sursaute au moindre son soudain ou inhabituel, elle a des réactions de défense ou de fuite si on la touche ou si elle voit un agent en uniforme…)

On peut également repérer d’autres signes du SSPT comme :

– un évitement de tout ce qui peut éveiller les réminiscences (souvent l’individu évite de retourner sur les lieux des manifestations, de regarder des images qui les lui rappelle ; elle peut même arrêter la lutte)

– un détachement émotionnel partiel (associé à l’événement traumatique qui est banalisé) ou total (l’impression d’être vide et de ne plus rien ressentir).

Si cet état perdure dans le temps, il peut avoir des conséquences sur l’humeur (agressivité, angoisses permanentes, développement de phobies, dépression…), sur la sphère cognitive (trouble de la concentration et de l’attention) et sur la sphère sociale (méfiance, rejet des autres, sentiment d’être incompris). Cette contamination peut ainsi envahir tous les pans de la vie de la personne que ce soit sur le plan professionnel, relationnel ou émotionnel.

Il est donc important de garder à l’esprit que participer à des manifestations au climat violent est un facteur de risque de développer un trouble psychique envahissant et ce, même si la personne n’est pas blessée elle-même. Néanmoins, il est possible de prévenir ce risque en créant un groupe uni, bienveillant et à l’écoute qui va conseiller à la personne de faire une pause dans sa confrontation au risque le temps qu’elle se rétablisse pour éviter d’aggraver son anxiété et ce, sans culpabilité. Certaines personnes auront pour cela besoin de se sentir utile dans la lutte par le biais d’autres tâches concrètes moins exposantes afin de ne pas se sentir exclus. Enfin, dans le cas où la personne développe les symptômes d’un SSPT, il est important de ne pas laisser le trouble et la souffrance s’enkyster au risque que cela ne s’ancre plus profondément dans la personnalité et l’existence de la personne. Pour cela, consulter un professionnel du soin s’avère être nécessaire. L’entourage aura dans ce cheminement un rôle primordial de déculpabilisation et d’accompagnement car lutter peut être associé à  »être fort » et donc à  »ne pas être vulnérable » ce qui n’est pas toujours la réalité émotionnelle du militant de terrain.

Pour aller plus loin :