Des jours, des semaines de trains bondés, de voies vides, de gares désertées et de routes saturées, de voies rapides remplies, rouler au pas comme marcher vers sa propre potence. Ce n’était pas mieux avant, avant la grève. Même salaire de survie, d’ennui et d’absurdité. Même connerie, des tâches à faire, des mauvaises idées des chefs, de la fatigue accumulée. Et du manque d’amour.

La retraite pour celles et ceux qui tiendront jusque-là. Ou peut-être pas, il n’y aura plus rien, ou sûrement pas assez. Les techniciens tiennent le manche, expliquent, dissertent, reviennent encore, un peu plus de condescendance. D’autres s’engouffrent, répondent point par point, comme un joueur de fond de cour. On pourrait bien apprendre comme un enfant jusqu’à 20 ans, être en formation jusqu’à 30, travailler jusqu’à 40 et être enfin en retraite à ce moment-là, ça ne serait pas assez. Le mode de production, et sa finalité en resteraient le même avec son goût de mort et d’abdication, de saloperie et de soumission. Tout ce qui irrigue et fait battre les veines et le cœur du capital.

 

Se rejoue aussi la mascarade des délégations. Des états-majors syndicaux, qui n’ont plus que leur rôle institutionnel à monnayer. Le point critique entre les intérêts des institutions de représentations, comme les syndicats, et le refus des conditions de survie toujours dégradées a déjà été atteint depuis longtemps. Reste à savoir comment le mouvement peut balayer ces pions, par sa seule force et sa conscience.

 

L’escroquerie de la recomposition de la gauche peine à se mettre en marche. Mais elle est bien là, malgré les luttes de pouvoir intestines qui la freinent encore. Encore prompt, tapis dans les calculs et les chimères militantes d’un programme qui ne sera bon qu’à faire accepter la défaite.

 

Les manifestations tout aussi énormes soient elles, et le comptage des participants ne peut suffire. Il faut y trouver un au-delà, pour que la lutte se constitue, détermine sa propre forme, sa propre cadence. Les piquets sur les dépôts, les assemblées, de fin de manifs de quartier ou d’interpro sont les premiers espaces que le mouvement s’est ouvert. Autant de tentatives à reprendre, d’enseignements des dernières luttes à partager.

 

Interroger la forme des luttes, c’est aussi interroger leur contenu. Et celui d’aujourd’hui aussi. Gagner un statut co sur un statut déjà maintes fois attaqué, pourquoi pas. Mais les corps restent usés par le travail, les médicaments, toujours le DRH le plus proche. Le temps ne fait pas que filer, il est dense, et ne permet pas de tenir sa propre vie. Payer une facture, trouver un job, tenir un taf, subvenir aux besoins nécessaires, préparer l’avenir, ou juste la semaine prochaine, tenir le coup et pas de place pour rêver. Juste regarder dégouliner le luxe et la technologie un peu partout. Reste de culpabiliser de ne pas pouvoir se payer un dixième de tout ça. Et pour le temps, il n’y en a pas puisqu’on le passe à survivre.

 

Enrayer cette folie, en refusant de rentrer dans le rang, par la grève, bloquer, détruire les outils de productions, rester dehors, saccager leurs milices. Rester ensemble. Survivre, encore, mais avec des solidarités qui réchauffent. Rester tout seul avec ses ambitions, ou rejoindre les autres, la lutte. Se remettre à imaginer.

 

 

Il faudra bien trouver autre chose, autre chose que la concurrence complète, partout, que la rentabilité et la productivité en toutes choses. Il y a bien de la place pour tout le monde, pour un peu que l’on essaye. Ne plus laisser le monde tel qu’il est. On peut même se surprendre de quoi on est capable.