On aura été des milliers de personnes à manifester pour ne pas travaillez plus longtemps et pour une allocation retraite digne. Mais, quelle est cette frontière magique qui retient cette grève à mettre en discussion le temps de travail tout au long de la vie et le montant de l’allocation chômage ? Ne pas travaillez plus longtemps, n’est-ce pas aussi travaillez moins. Il serait donc utile de parler de la réduction du temps de travail et du partage du travail. Lutter pour une allocation de retraite digne, n’est-ce pas aussi lutter pour une allocation digne quand on ne travaille pas ? Pourquoi ne parle-t-on pas de l’allocation chômage, de minima sociaux, voir même d’un revenu minimum ?

Étrange frontière encore, entre la volonté de “ne pas travailler plus longtemps” et l’absence de la critique de la valeur travail. Quand des milliers de personnes luttent pour ne pas travailler plus longtemps, c’est donc que travailler, ce n’est peut-être pas si bien que ça, que le travail comme centralité se discute et que peut-être, il serait bon d’en parler. Étrange frontière aussi, entre la volonté de “ne pas travailler plus longtemps” et l’absence de critiques des formes que prend le travail.

Si beaucoup ne veulent pas travailler plus longtemps, n’est-ce pas aussi parce que leur travail n’a pas beaucoup de sens ou que la forme dans lequel il s’exerce – salariat, autoentrepreneur… – n’est peut-être pas très agréable, ou que leur travail est tout simplement pénible, nul, bête.

Bref, c’est assez étrange cette grève massive sur les retraites sans que partout ne se multiplient des meetings sur le travail et sa place dans nos vies. C’est aussi à ça qu’on mesure la richesse d’un mouvement dans sa capacité à faire avancer le dit “progrès social”. En quoi les centrales syndicales sont-elles réellement débordées par la grève en cours ? En presque rien. Car rien ne vient dans ce mouvement déborder le mouvement – non pas seulement au niveau des actions – mais au niveau des énoncés. Et ce faisant la maîtrise reste toujours du côté du gouvernement. C’est lui, qui continue d’imposer les sujets, les énoncés. Et notre imaginaire n’aura pas beaucoup bougé. Et on aura sans doute gagner à travailler moins longtemps mais on travaillera toujours davantage, et ainsi, ce qui aura été gagné là, aura immédiatement été perdu ailleurs.

Alors, toi qui dépend financièrement d’une allocation chômage ou du RSA, toi qui ne veux pas construire ta vie autour de ton travail, toi qui envisage la richesse autrement qu’en monnaie… Rejoins la grève et fais ce lien entre le montant des retraites et le montant des allocations chômage, des minima sociaux. Toi qui est en surcharge de travail, rejoins la grève et fais ce lien entre travailler moins longtemps et travailler moins. Réduire le temps de travail, augmenter les allocations, questionner le travail, questionner le revenu en dehors du travail, c’est le sujet de cette grève.

Prendre le gouvernement à contre pied, sur l’une de ces réformes, c’est l’enjeu d’une lutte. Politiser la retraite c’est déborder les centrales syndicales et se ré-approprier la grève et la lutte sociale. Et quand on aura fait le chemin qui va de la retraite à l’allocation chômage et de l’âge de la retraite à la réduction du temps de travail et qu’on sera tout aussi nombreux et peut-être même plus, alors le caractère plan plan des manifs sera bien secondaire, au regard de ce qu’on aura réussi à énoncer collectivement et à hisser à l’ordre du jour.

Gagner, c’est faire la connexion entre la retraite et le chômage. Gagner, c’est faire la connexion entre travailler moins longtemps et travaillez moins tout court. Gagner, c’est connecter ce qui est tenu séparé. C’est conquérir des droits.