Bonjour

L’Observatoire Zététique vient de se rendre compte que dans le cadre de l’Année Mondiale de la Physique, les intervenants de la table ronde « science et vérité » du 12 mai appartiennent pour la majorité à l’UIP, l’Université Interdisciplinaire de Paris, et ce jusqu’au modérateur lui-même, Jean Staune.
Il s’agit d’une forme d’entrisme assez grave, lorsque l’on connaît les visées de cette structure qui, en lieu d’une ronflante université, est une simple association,- aussi vais-je procéder à un petit récapitulatif succinct et certainement incomplet sur la question avant de proposer quoi que ce soit.

L’UIP n’est pas réellement une université, mais une association, très active. Elle est une reprise en main de l’Université Européenne de Paris, elle-même anciennement Université Populaire de Paris qui organisait il y a plus de vingt ans des conférences publiques sur le paranormal, la parapsychologie, l’ésotérisme, l’astrologie etc.. Son objectif est de montrer par toutes les manières que la Science mène de façon naturelle à un retour au religieux. Aussi mobilise-t’elle ses ressources (importantes) pour parvenir à une convergence entre science et foi (le titre de leur revue est, en l’occurrence, Convergences).

L’UIP est fondamentalement anti-matérialiste. Elle a d’ailleurs reçu une bourse de 10 000 dollars de la fondation Templeton « pour le progrès de la Religion ». Mais là où l’on sent les spectres nous gratter la nuque, c’est lorsqu’on apprend que, conséquence de cet anti-matérialisme, elle est aussi anti-darwinienne ! Pas créationniste, elle se veut évolutionniste, mais d’un évolutionnisme compatible avec la foi religieuse, où l’Homme reviendrait au centre d’un Univers ayant évolué vers lui, et dont il est le dessein. Resucée du si seyant principe anthropique, et exemple parfait de raisonnement panglossien (effet bipède de Broch, pour les connaisseurs). Alors, pour mener sa quête de sens, l’UIP prône la réintroduction de la spiritualité comme objet d’étude, dans tous les aspects de la science, et avec moult moyens – notamment financier (Assystem, Auchan, France Télécom, Nature & Découverte, Salustro Reydel (Audit et Conseil), mais aussi politiques – Luc Ferry, et médiatiques, – Lecointre nous explique que Libération, sous l’action de la journaliste Dominique Leglu, a longtemps fait de la publicité pour les colloques de l’UIP jusqu’au printemps 1999 où le journal mit un terme à son partenariat. La Recherche, sous l’impulsion d’Olivier Postel-Vinay, directeur de la rédaction, a publié depuis 1995 un nombre impressionnant d’articles portant sur les chercheurs membres permanents de l’UIP ou sur leurs recherches. J’ajouterais que Jean-Marie Pelt, chroniqueur régulier sur France Inter, ou Trinh Xuan Thuan, nouvelle égérie scientifique française, sont des viatiques bigrement intéressants sur les ondes.

Car qui sont les membres de l’UIP ? Serez-vous surpris ? De Jean-Marie Pelt à Trinh Xuan Thuan , on passe par Christian de Duve, feu Marcel-Paul Schutzenberger, Ilya Prigogine, Bernard d’Espagnat, Anne Dambricourt-Malassé… Une bonne part de ces personnages commettent d’ailleurs régulièrement des articles à forte teneur en New Age dans la faramineuse revue Nouvelles clés de Patrice Van Eersel et Marc de Smedt, anciens collaborateurs de Planète de Louis Pauwels (Nouvelles Clés formant désormais une nébuleuse Casgha-Bogdanof-Van Eersel-Pelt-Van Cauwelaert-Chauvin, à laquelle l’Observatoire Zététique eut l’occasion de se frotter lors de l’une de ces grandes pompes annuelles du festival Science Frontières, entre astrologie et vente de cactus pour repousser les ondes néfastes des ordinateurs (technique brevetée D. Van Cauwelaert).
Bref, ces incontournables de la science médiatisée servent d’appât. Car la technique la plus aboutie de l’UIP est la participation ou l’organisation d’une kyrielle de conférences, en compagnie d’éminences-autorités scientifiques, ceci afin de se faire une carte de visite et un site indéniablement damasquinés… et quitte à en « berner » certains! Lecointre :

« L’UIP enrôle en douceur. Staune va chercher aux USA des professeurs d’universités et des Nobels ayant des choses à révéler sur Dieu (l’UIP est le principal partenaire du Center for theology and natural sciences à Berkeley, Californie). On imagine mal à quel point ils sont nombreux, dans un pays où le fondamentalisme protestant est un des plus puissants au monde et où son militantisme est actif jusqu’au cœur des universités. Staune prend pour un signe des temps les errements de l’association américaine pour l’avancement des sciences (celle qui édite le journal Science) qui organise des colloques sur les « questions cosmiques » et fait ses unes sur le « réchauffement science-religion ». S’est-il seulement demandé s’il fallait importer en France les conséquences sociales d’une Amérique non laïcisée ? Fort de l’argument d’autorité du grand-frère américain, et accompagné d’une brochette de Nobels, Staune ira inviter les scientifiques vedettes de notre hexagone, pour causer humanisme. On vous flatte, et vous vous trouvez pris au piège sur la « photo de famille ». Votre nom servira au crédit que d’autres porteront au prochain colloque. En 1992, André Adoutte et Pierre-Henri Gouyon, tous deux alors Professeurs à l’Université de Paris XI, se sont fait piéger en allant contre-argumenter les propositions de l’UIP au Sénat. Ils ne sont pas particulièrement enchantés de voir figurer leur nom sur la cassette vidéo. La formule semble bien fonctionner. Le colloque du mois d’avril 1999 était honoré de la présence de nouvelles personnalités comme le Directeur du Muséum National d’Histoire Naturelle de l’époque, Henry de Lumley, et la série de conférences « Science, conscience et sens » de Jean-Didier Vincent, Antoine Danchin et Jean-Marc Lévy-Leblond.
Parmi ceux-ci, les deux derniers ont témoigné de leur surprise lorsqu’un article (Lecointre, 1999a) relata leur participation, et dirent s’être fait piéger. L’UIP piège donc, mais certainement pas tout le monde. Les nouveaux-venus ou les occasionnels côtoient ainsi les scientifiques permanents de l’organisation, Bernard d’Espagnat, Christian de Duve, Jean-Pierre Luminet, Ilya Prigogine, Anne Dambricourt-Malassé, Trinh Xuan Thuan, Jean-Marie Pelt… Les nouveaux scientifiques (ou assimilés comme tels) français du cru 2000 sont Jacques Vauthier, Bruno Guiderdoni, Dominique Laplane, Philippe Pignarre, Basarab Nicolescu, Antoine Andremont, Tobie Nathan, Philippe Queau. Dans le milieu de la philosophie et des sciences humaines, l’UIP va ratisser dans le camp opposé à celui de Alan Sokal et Jean Bricmont. En philosophie, elle importe ce qu’il y a de plus médiatique, Luc Ferry et André Comte-Sponville (pour plus de détails, voir le livre récent de Jean-François Raguet : De la pourriture, Ed. L’insomniaque). Bruno Latour viendra porter la lumière relativiste sur tout ça. (…).
L’Académie des sciences a perdu toute vigilance (Lécuyer, 2000). Elle publie les travaux de A. Dambricourt, dont « l’attracteur harmonique » n’est formalisé dans aucune de ses publications, et de J. Chaline dont le programme de recherche complètement téléologiste (Lecointre, 1999b) est soutenu par les académiciens Dorst et Dercourt (Dorst qui participait en 1991 au dossier de Staune). Le secrétaire perpétuel de l’Académie, François Gros, présida même à l’automne 1997 une rencontre à Houlgate réunissant tout le gratin de l’UIP! »

Grâce à ces moyens (financiers, scientifiques, politiques et médiatiques) nous avons ainsi en France le déplaisir souvent renouvelé de lire et d’entendre le message de l’UIP, mais également de voir la sphère politique s’incliner doucement. Il y a 5 ans, par exemple, sous le haut patronage de Jacques Chirac et sous la présidence de Federico Mayor, Directeur général de l’UNESCO, le congrès de l’UIP s’intitulait « Un siècle de Prix Nobel : science et humanisme ». titre passe-partout pour qui n’a pas connaissance du passé et des écrits des membres de l’UIP, mais surtout un sujet médiatiquement très « sexy » pour les journalistes. D’ailleurs, l’UIP l’a bien compris et ratisse large dans son champ d’expertise : à Grenoble, dans quelques mois, il s’agira de rien moins que « Science et Vérité ». Et les journaux adorent ce genre de choses : le concordat science-religion, en même temps qu’une impasse épistémologique (pour paraphraser Bricmont, la science et la religion ne peuvent pas entrer en conflit ni en convergence parce que l’une s’occupe de jugements de fait, l’autre de jugements de valeur) fait un excellent marronnier : il suffit pour s’en rendre compte de regarder le nombre de journaux qui titrent sur la question (ce mois -ci par ex., Dieu et la science : le nouveau choc Le Nouvel Observateur – 23 décembre 2004 au 5 janvier 2005 N°2094-2095).

L’Observatoire Zététique a déjà pris contact avec les organisateurs de l’AMP pour les avertir des visées de l’UIP, et un processus a commencé, bien que les programmes soient déjà imprimés en plaquette. L’Observatoire se réunit vendredi à Grenoble pour discuter de la meilleure stratégie à développer pour contrer cette intrusion spiritualiste. Mais nous pensons que ce serait une excellente occasion d’opposer un front à cette association qui, en plus de nourrir des positions philosophiques et épistémologiques réactionnaires, emploient des méthodes discutables et misent sur la crédulité des gens.
En attendant, nous en appelons à toutes les volontés, associatives ou personnelles, qui souhaiteraient d’une manière ou d’une autre contribuer à l’arasement de ce terrain vague spiritualiste et de moins en moins laïque qu’est devenue la science médiatique. Si vous souhaitez, de prêt comme de loin, nous soutenir, vous pouvez contacter l’Observatoire Zététique directement par mon intermédiaire Richard.Monvoisin@observatoire-zetetique.org .

Merci d’avance

Richard Monvoisin
Conseil d’Administration de l’Observatoire Zététique

Refs :
Pour les travaux de l’UIP http://www.uip.edu/fr/
Pour le manifeste de la Transdisciplinarité de Nicolescu, invité à la table ronde http://nicol.club.fr/ciret/vision.htm
Pour une vision des axes de l’UIP, à travers son secrétaire lui-même http://www.staune.fr/

Pour une critique de l’UIP :
Science & Pseudoscience http://www.pseudo-sciences.org/uip.htm
Charlie Hebdo, 517, Guillaume Lecointre, 15 mai 2002, p. 14 « La science bigote » http://pro.wanadoo.fr/tansen/bioethics/society/ferry.htm
Union Rationaliste http://perso.wanadoo.fr/union.rationaliste44/Cadres%20Livres/Intrusions%20spiritualistes.htm)
Pour une critique du concordat science-religion : http://atheisme.free.fr/Contributions/Science_religion_1.htm
Pour montrer que les inquiétudes sont syndicales, en plus d’être scientifiques http://www.sudeducation.org/archive/journal/03mars/religi_4.html
Pour une critique du « postmodernisme » et du spiritualisme caché en science, «ss/ Dubessy & Lecointre, intrusions spiritualistes en science » coll Syllepse, mais aussi Sokal & Bricmont « impostures intellectuelles » Odile Jacob 1997