Dans un article qui paraîtra ultérieurement dans le «Journal des psychologues» de France et que Sisyphe vous propose maintenant, le psychiatre et psychanalyste Maurice Berger analyse les conséquences de la résidence alternée (dite garde partagée 50-50 au Canada) pour les enfants de moins de 6 ans.

«Je précise, écrit le médecin, que ma position est essentiellement médicale, clinique, et ne se situe pas par rapport aux droits du père ou aux droits de la mère, ou par rapport à la loi actuelle, mais uniquement du point de vue du développement affectif de l’enfant. Depuis 1997, j’ai été saisi de plus de 150 situations dans lesquelles des enfants de moins de six ans présentaient des troubles importants. Ces symptômes, qui n’existaient pas avant la mise en place de la résidence alternée, étaient les suivants (Berger M. et coll., 2004):
– un sentiment d’insécurité avec apparition d’angoisses d’abandon, l’enfant ne supportant plus l’éloignement de sa mère et demandant à être en permanence en contact visuel avec elle;
– un sentiment dépressif avec un regard vide pendant plusieurs heures, et parfois un état de confusion, des troubles du sommeil, de l’eczéma, de l’agressivité, en particulier à l’égard de la mère considérée comme responsable de la séparation;
– une perte de confiance dans les adultes, en particulier dans le père, dont la vision déclenche une réaction de refus, etc… – chez certains enfants plus grands, un refus de suivre la moindre contrainte (scolaire ou familiale) venant de l’extérieur.

Le principe de précaution dans la résidence alternée ou la garde partagée

«Je ne suis pas au courant de toutes les situations qui vont mal, ni de toutes celles qui vont bien. Mais il faut dire clairement que dans un raisonnement médical, si la résidence alternée était un médicament, en raison du principe de précaution, elle n’obtiendrait pas d’autorisation de mise sur le marché chez l’enfant petit du fait de ses effets secondaires possibles, ou alors elle serait au tableau A, prescrite dans des indications précises et avec un suivi très attentif. D’autant plus qu’on sait que ces troubles peuvent s’installer de manière durable jusqu’à l’adolescence et se retrouver à l’âge adulte sous la forme d’angoisse et de dépression chroniques. Ces effets peuvent être extrapolés à partir des nombreuses études concernant des enfants qui se sont trouvés séparés de leur mère de manière répétitive dans d’autres contextes.

«En 1999, trois ans avant la loi de 2002, dans des recherches longitudinales très précises commanditées par le Programme de recherche de santé chez l’enfant aux Etats- Unis, Solomon et George, deux chercheurs réputés, montrent, sur 145 enfants âgés de 12 à 20 mois, puis revus de 24 à 30 mois, que les deux tiers des enfants de parents divorcés qui passent régulièrement une ou des nuits avec leur père ont des comportements qui traduisent la constitution d’un mode d’attachement beaucoup plus insécurisé que les enfants de parents divorcés qui ne passent pas de nuits chez leur père, et que les enfants de couples non divorcés. Ces nourrissons présentent des moments d’hypervigilance, d’agrippement, d’agressivité, d’hypersensibilité à toute séparation potentielle ou réelle d’avec la mère. Ils ne parviennent à être bien ni au moment des séparations, ni au moment des retrouvailles, et ils ne considèrent pas que leurs parents soient capables de les aider dans ces circonstances. Et en conclusion, « les tribunaux ont à accepter que le divorce crée, au moins temporairement, une situation dans laquelle le meilleur intérêt du petit enfant n’est pas synonyme d’équité pour les deux parents » […]».

Perspective déformante des groupes d’hommes divorcés

Selon le Dr Maurice Berger, «beaucoup de travaux ont été déformés et tronqués par certaines associations de pères», qui veulent mettre l’accent sur la souffrance des pères séparés de leurs enfants. «Les conditions dans lesquelles la loi de Mars 2002, qualifiée de « Loi SOS papa » par une association de pères, a été conçue et votée posent le problème de la relation entre les pouvoirs exécutifs, législatifs, judiciaires et le lobbying», poursuit le pédopsychiatre.

L’enfant est perçu comme l’objet de ses parents, dit-il, et «il existe le fantasme qu’une mère sans homme est potentiellement dangereuse pour son enfant. Ceci n’est pas dit tel quel, mais j’ai été frappé par la manière dont les résultats de la période d’essai de résidence alternée décrite dans la loi (art. 373-2-9) ont été déformés par certains magistrats, heureusement pas par tous. Ainsi, si à l’issue de cette période, une mère se montre inquiète face aux symptômes que présente son enfant depuis la mise en place de ce dispositif, il en est conclu que l’enfant présente des troubles non pas parce qu’il ne supporte pas la discontinuité de son mode de vie, mais parce que sa mère est angoissée. On arrive alors à une inversion de l’origine des symptômes. De plus, il faut ajouter que quand une mère voit son bébé aller mal et qu’elle ne peut rien faire pour lui, elle se met à aller mal elle aussi, si bien que certains enfants ne peuvent se sentir bien ni avec leur père ni avec leur mère […]».

«Partons des deux questions suivantes: pourquoi les pères membres d’associations veulent-ils si tôt une place égale à celle de la mère auprès de l’enfant petit, alors que beaucoup d’autres pères en cas de divorce investissent leur bébé mais ne se sentent pas effacés ou dépossédés par le fait que la mère ait une place plus importante au départ? Et pourquoi vouloir que ce partage soit réalisé à la minute près? Je précise que certaines mères présentent aussi des problèmes psychiques impliquant leur enfant, mais elles utilisent beaucoup moins la « solution militante » dont je vais parler.

«Mes constatations, à partir des écrits des associations de pères et des rencontres que j’ai eues avec ces pères lors de consultations ou d’expertises, c’est que ces demandes sont une tentative de trouver une solution, inadaptée, à une souffrance personnelle ancienne qui trouve son origine bien avant la rencontre avec la compagne future mère. Cette souffrance n’est pas la même pour tous les pères.

«Certains ne supportent absolument pas la séparation du couple, et leur demande de résidence alternée est une manière de faire souffrir leur ex-compagne là où ça fait le plus mal, c’est-à-dire dans la relation de la mère avec son bébé. D’autres pensent qu’une mère ne sert à rien, et on apprend que dans leur histoire, leur mère ne s’est pas occupée d’eux, ne les a pas investis, les confiant à quelqu’un d’autre, une grand-mère par exemple.

«D’autres ont une image de mère dévorante, une ogresse, elle ne veut l’enfant que pour elle, dans une sorte de parthénogénèse. Ces hommes n’ont aucune confiance dans la fonction paternelle, dans le fait qu’un père puisse être attirant, intéressant pour son enfant, même petit. Là encore, que s’est-il passé dans leur histoire pour qu’il en soit ainsi? En tout cas, selon eux, il faut donc faire le plus rapidement possible une place au père, afin d’éviter que les mères « possessives » n’exercent trop d’emprise sur l’enfant. Mais c’est le résultat inverse qui se produit souvent […]. C’est ainsi qu’en voulant gagner quelques mois de présence paternelle plus intensive, on perd des années de sécurité interne pour l’enfant et on augmente sa dépendance à l’égard de sa mère.

«Surtout, et c’est le plus intéressant, il y a des pères qui nient qu’il puisse y avoir une différence entre un père et une mère du point de vue de l’enfant […]. Ces hommes veulent avoir un enfant, un point c’est tout, certains me l’ont dit tel quel, et peu importe que ce soit avec cette femme-là ou avec une autre. Et la femme est utilisée comme une mère porteuse, mais elle ne le sait pas; elle, elle veut un enfant avec cet homme-là, et elle ne réalisera à quoi elle a été utilisée qu’au moment de la naissance ou peu après. La bête noire de ces hommes, c’est l’allaitement, parce que là, la différence est irréductible. Pour ces hommes, un père peut suffire, ils préféreraient en fait être seuls à élever l’enfant, mais ils savent que cela ne sera pas accepté socialement et judiciairement, alors ils demandent la résidence alternée qui pour eux est un moindre mal.

«Quelles que soient les raisons de cette souffrance, la solution est toujours la même, à savoir mettre ces souffrances d’homme ensemble et escamoter leur dimension personnelle liée à l’histoire de chacun pour en faire un problème de société, une revendication groupale concernant le droit des pères, on ne reconnaîtrait pas aux pères la place qui devrait être la leur. Ces pères sont prioritairement identifiés à l’enfant qui souffre en eux mais pas à leur enfant réel même s’ils parlent sans arrêt d’intérêt de l’enfant. Ils se soignent ainsi, ils sont dépendants de ce combat, c’est pour cela que leur demande concernant l’enfant ne sera jamais réglée, il en faudra toujours plus comme le montrent les demandes récentes de pères anglais et québécois qui ont fait un procès pour interdire à leurs ex-compagnes d’avorter de l’enfant qu’elles attendaient d’eux. Cette revendication n’aura jamais de fin. Tous les moyens seront utilisés, avec ténacité, pour attirer les médias, pour harceler les parlementaires. Les associations de pères guettent le maillon faible politiquement, c’est-à-dire un changement de ministre, de conseiller, pour trouver la faille. Alors que dans le même temps, tous les pères qui trouvent des aménagements d’hébergement souples n’éprouvent pas le besoin de faire parler d’eux, même s’ils souffrent comme la plupart des adultes dans une situation de divorce. Comment tenir compte de leur expérience? […]

Pour lire et télécharger la version complète de l’article du Dr Maurice Berger, voir Sisyphe:

La résidence alternée, une loi pour les adultes?

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