De « l’humour » en milieu libertaire
22 octobre 2019 par Floréal

L’existence de ce que certains appellent la « police de la pensée », qui traquerait et dénoncerait tous azimuts les propos jugés inadmissibles ou scandaleux, voire condamnables, dans ces domaines devenus particulièrement « sensibles » que sont le racisme, le féminisme, la religion et le sexisme, génère des réactions variées.
Il y a ceux qui approuvent pleinement, souvent qualifiés d’adeptes du « politiquement correct », regroupés à chaque « dérapage » dans une dénonciation véhémente de ce qu’ils estiment être intolérable, avec parfois des accents de procureurs staliniens.
A l’opposé, il y a ceux qui, sans approuver les écrits ou propos « limite », estiment tout aussi exagérées les réactions qu’ils suscitent, arguant du libre recours à l’humour teinté de provocation, et qui, à choisir, optent, non sans un certain malaise, pour l’excès plutôt que pour la censure. Mais il y a aussi ceux pour qui cette « police de la pensée », réelle ou supposée, est une aubaine qui leur permet, en réaction, d’opter pour une surenchère exacerbée qui, sous couvert d’anticonformisme, ne fait que révéler une profonde médiocrité. Si cela peut parfois se faire avec drôlerie, force est de constater que dans les domaines du féminisme ou du sexisme, en particulier, la provocation portée à son paroxysme verse le plus souvent dans un « humour » de chambrée de caserne, plus proche d’un Bigard que d’un Raymond Devos, sans compter une misogynie bien réelle. Dans les domaines du racisme et du politico-religieux mêlés, le plaisir de choquer entraîne aussi trop souvent ses adeptes à marcher sur le fil du rasoir avec, d’un côté, le mauvais goût lourdingue et, de l’autre, le franchement dégueulasse.
Pourquoi cette (relativement) longue introduction ? Eh bien, parce qu’il existe, sur Radio-Libertaire, une émission « rigolote », très ancienne, « De la pente du carmel, la vue est magnifique », qui fut il y a longtemps impertinente et drôle, et qu’on n’aimerait pas voir dériver vers un « comique » malodorant, plus proche celui-là d’un Dieudonné que d’un Desproges et tentant de se camoufler derrière un pitoyable « c’est de l’humour ». Condamner des déclarations ignobles en ayant recours à des propos odieux, des libertaires devraient savoir qu’une pincée d’éthique doit nous en épargner. Mais l’éthique, pour reprendre leur vocabulaire, sans doute que dans « La pente… » on s’en branle… Tenté par des propos, écrits ou actes vaguement ou franchement nauséabonds, « un homme, ça s’empêche », disait Albert Camus. Mais Camus, hein, une fois par semaine, le lundi soir, « on s’en branle ! »….
Voici donc, ci-dessous, la retranscription intégrale du petit discours tenu à l’antenne le lundi 23 septembre dernier :

« Bon, j’vais m’faire un rabbin !
– Ah ! Quand même !
– Ouais, parce que là-bas, chez les youp’… euh, chez les juifs, le ministre de l’Education est rabbin. Je le dis au passage pour ceux qui veulent défendre encore l’Etat d’Israël. Enfin c’est pas celui qu’on a connu, c’est pas l’Israël des kibboutz, hein, c’est des fachos. Le ministre de l’Education est favorable aux thérapies de conversion. Mi-juillet, les déclarations télévisées du ministre de l’Education, Raffi Peretz*, ont suscité une polémique de grande ampleur, ben oui mon neveu. A une question sur l’efficacité ou non des thérapies de conversion pour les LGBT+, l’homme politique et rabbin a répondu par l’affirmative, arguant qu’il avait lui-même déjà suggéré à un étudiant de suivre une thérapie. Cette déclaration a été condamnée jusqu’aux plus hautes instances, notamment par Bibi Netanyahou. Même lui, tu vois, c’est pour te dire. « Ces propos ne sont pas acceptables et ne reflètent pas la position du gouvernement que je dirige », dit-il. L’ancien officier a fini par revenir sur ses propos, quand même, en disant : « Je réalise que cela suscite de la souffrance plus que de l’aide. » Alors moi je veux la mort pour tous ces gens-là, oui, oui… enfin… la mort… je sais pas… ou du Zyklon. »

Qu’est-ce qu’on se marre ! Dans un avenir proche, au sujet des saloperies émises sur les LGBT+ dans les pays arabes ou d’Afrique noire, sans doute doit-on s’attendre à voir les fins plaisantins du « Carmel » reprendre à leur compte les termes vulgaires et xénophobes désignant les habitants de ces contrées, et leur souhaiter de passer à la gégène ou d’être expédiés chaînes aux pieds et à fond de cale vers les champs de coton d’Alabama, puisque « c’est de l’humour » on vous dit, et chez les libertaires on n’est quand même pas chez les fachos…

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* Là, l’animateur prononce le nom du ministre avec l’intonation juive séfarade, façon « La vérité si je mens ». Hilarant, non ?