La notion de violence dépend du ressenti de chacun·e, en fonction de ses expériences, ses valeurs, ses convictions. La distinction entre violence et non-violence est donc totalement flottante. Se revendiquer « non-violent » n’a aucun autre sens que celui de chercher une forme de légitimité auprès de celleux que nous déclarons combattre. Comme le fait de prôner le changement individuel comme moteur d’un changement global (coucou les colibristes), prôner la non-violence c’est rendre service aux véritables responsables.

Qu’il soit vécu comme violent de voir des gens répondre physiquement à la répression policière, détruire des symboles du capitalisme ou prôner la révolution est compréhensible.
D’ailleurs, pour d’autres, le simple fait de participer à une manifestation non déclarée, d’occuper un centre commercial ou un boulevard, ou même de bloquer ne serait-ce que quelques instants une assemblée considérée comme lieu de la démocratie, est vu comme une violence.
Dans un autre sens, ne peut-il pas être vécu comme terriblement violent de mettre des autocollants par-dessus des stickers antifascistes, d’effacer des tags en hommage à des enfants tués par la police, ou de déclarer publiquement que les forces de l’ordre ne sont pas des adversaires, quelques jours après un nouveau meurtre policier dans un quartier populaire ?

Si le capitalisme est mondialisé, sa résistance ne peut que l’être également. Si nous subissons moins en occident qu’ailleurs les ravages du capitalisme, c’est pourtant bien ici qu’il est le plus stratégique de détruire ceux qui l’entretiennent, le protègent et en bénéficient. Refuser de mettre en œuvre tout ce qui est en notre pouvoir pour le détruire est une violence inouïe envers celleux qui en meurent, jours après jours, pendant que nous refusons le conflit par principe.

Prôner la non-violence peut être totalement contre-productif, voire dangereux.
Car si le curseur entre violence et non-violence dépend de chacun·e, il est surtout placé par celleux qui détiennent le pouvoir politique, médiatique et répressif, celleux qui sont donc nos adversaires politiques, à travers des déclarations semblables à celle de Mme Royal, à travers un matraquage médiatique pour dénoncer toute action radicale, et par les organisations, collectifs, associations et syndicats dont le but semble finalement être plus de se faire bien voir que de mener des actions stratégiques et efficaces avec des objectifs politiques clairs.

Il y a quelques années, José Bové et ses ami·e·s avaient démonté entièrement un restaurant McDonald’s, ou fauché un champ d’OGM. Ces actions étaient alors vues comme non-violentes.
Aujourd’hui, un tag sur une banque est considéré comme contraire à un pseudo consensus de non-violence par le groupe écolo le plus médiatisé.
Alors que le capitalisme n’a jamais été aussi violent et dangereux pour l’humanité entière, à commencer par les populations qui sont le moins fautives et ont le moins de pouvoir de réaction, celleux qui s’affichent comme des résistant·e·s, des « rebelles », n’ont jamais été aussi pacifiques, aussi passif·ve·s. S’obligeant à être inefficaces pour faire plaisir à celleux qui détruisent, ces collectifs, mouvements et associations sont finalement des pions, des outils des politiques capitalistes et impérialistes, qui se frottent les mains en voyant le peu de réaction que suscitent l’accroissement des destructions du vivant et des inégalités.

Car pendant qu’on pose la non-violence comme un dogme à ne pas dépasser et qu’on refuse de voir la police, l’armée et l’État de manière plus générale comme des ennemis, ce sont bien ces entités qui, pour défendre le capitalisme et les puissances impérialistes, répriment les peuples et les résistances, des ZAD au Rojava, de l’Equateur au squat du bout de la rue, des quartiers populaires nantais à Hong-Kong, d’Exarcheia aux Gilets Jaunes. Le tout évidemment – et il est primordial de le noter et de ne pas comparer l’incomparable – dans des mesures et des façons très différentes. Mais partout, ce sont les mêmes mécanismes qui se mettent en place. Nous devons y résister, apporter tout notre soutien à celleux qui luttent parce qu’iels n’ont pas le choix.

La question qu’il faut se poser est donc exclusivement celle de la légitimité et de la pertinence d’une action, en fonction du contexte et des objectifs fixés. Ce n’est pas de savoir si elle va être vécue comme violente par celleux que nous combattons : bourgeois, politiques, agents de police, détenteurs du pouvoir économique, politique, médiatique, répressif.
Est-il légitime et pertinent de faire sauter un pont parce qu’un type qu’on n’aime pas trop est dans le train qui arrive ? Bien sûr que non.
Est-il légitime et pertinent de faire sauter un pont pour ralentir l’avancée de l’armée allemande dans un contexte de Résistance face au régime nazi ? Bien sûr que oui.
Est-ce que c’est violent de faire sauter un pont, en soit ? Aucune idée. On s’en fout. Ce n’est pas la question.
Est-ce que c’est violent de péter une vitrine de banque, de résister activement à l’action répressive de la police, d’occuper un centre commercial, de faire des tags, de participer à une manifestation non déclarée, de bloquer un carrefour, de faire du sabotage industriel, de participer à la création d’une ZAD ou de coller des affiches ? Aucune idée. On s’en fout. Ce n’est pas la question. La seule question qui importe, c’est de savoir si l’action en question est légitime et pertinente, à l’instant T, dans un objectif de révolution anticapitaliste.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. S’il peut être pertinent, quand on a de revendications, de rester bien vu par les personnes à qui ces revendications sont adressées, il ne s’agit plus désormais, dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité, d’attendre quoi que ce soit de quiconque ayant du pouvoir. Il s’agit de les renverser. Et aucun mode d’action ne doit être rejeté a priori.

Pour compléter, deux citations pour symboliser l’impasse politique que représente la non-violence dogmatique :

« La résistance passive non-violente est efficace tant que notre adversaire adhère aux mêmes règles que nous. Mais si la manifestation pacifique ne rencontre que la violence, son efficacité prend fin. Pour moi, la non-violence n’était pas un principe moral mais une stratégie. Il n’y a aucune bonté morale à utiliser une arme inefficace. […] « C’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé qui détermine la forme de lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas d’autre choix que de répondre par la violence. » – Nelson Mandela

« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’Hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. » – Don Helder Camara, évêque brésilien ayant lutté contre la pauvreté

Bref, la paix est un objectif, pas un mode d’action. Nous sommes dans une situation d’oppression globalisée, et il est de notre devoir d’en renverser les coupables.
Prôner ou revendiquer la non-violence, c’est être un·e adversaire politique de la révolution, qui est inévitablement nécessaire.