C’est à peu près le bilan que dresse le documentaire Starbucks sans filtre, de Luc Hermann et Gilles Bovon, diffusé sur Arte en 2018. Le constat est toujours d’actualité et le film disponible sur le Net.

Une des règles d’or du capitalisme c’est que tant qu’il y a des con.ne.s pour acheter, il faut vendre. C’est bien l’avis de Céline Le Toux, nouvelle développeuse du centre-ville de Nancy, « le consommateur a aussi une responsabilité de savoir s’il va ou non chez Starbucks ». « Cette enseigne a aussi la liberté de s’implanter, de se développer et d’entreprendre de nouveaux projets », dit-elle en répondant en termes choisis aux esprits chagrins qui s’inquiètent de l’installation d’un deuxième Starbucks à Nancy et par la même occasion de la progression de la malbouffe et de la fraude fiscale. La liberté pour les entreprises et la responsabilité pour les gens : notons au passage un renversement qui en dit long sur la conception de l’humanisme d’une municipalité qui s’en gargarise à longueur de temps mais oublie d’offrir le gîte et le couvert aux migrant·e·s qui meurent aux frontières de l’union douanière.

Une autre règle d’or du capitalisme veut que ce soit ceux et celles qui ont du fric qui décident. Du fric, Kamel Boulhadid en a apparemment, puisque ce fringant entrepreneur est le patron du groupe KB (à ne pas confondre avec la marque de désherbant) qui va ouvrir le deuxième fast-food près de la gare à Nancy. Un grand pas, si toutefois il est fait du pied gauche, pour Nancy mais un petit pas pour lui qui a déjà ouvert plus de 70 franchises de diverses marques dans le Grand Est. Il en ouvrira peut-être un troisième d’ici quelque mois dans la cité ducale. Il réfléchit. On va à son rythme quand on est pédégé…

Comment lui en vouloir ? Après tout, dans ce monde de merde, un patron n’est pas là pour sauver la planète, la Sécu ou pour proposer des augmentations de salaires, il est là pour se faire un maximum de thunes, ça s’appelle le capitalisme.

 

Mais un maire, il paraît que c’est quelqu’un qui est proche de la population, qui lui est entièrement dévoué. Tous les sondages le disent en chœur : les maires sont les piliers de la démocratie.

On aurait donc pu espérer que Laurent Hénart, maire de Nancy, intervienne dans cette installation, voire s’y oppose pour défendre la morale, le droit, la planète, la République, la patrie en danger, enfin tous ces concepts dont il rebat les oreilles de qui veut l’entendre.

Il est bien intervenu… mais pour jouer le rôle de commercial de Starbucks en faisant du placement produit sur Twitter.

On rappellera pour mémoire le tweet du 8 février 2019, sur le compte de la mairie de Nancy.

 L’ouverture d’un deuxième Starbucks à #Nancy est prévue en mai 2019, dans les locaux de l’immeuble Foch. Les amateurs pourront profiter de boissons et plaisirs sucrés-salés dans une ambiance à la fois contemporaine, Art Nouveau et Art Déco…??????Avec les précédentes arrivées de Vapiano et Søstrene Grene, l’immeuble est désormais entièrement réinvesti Métropole du Grand Nancy et Agence Scalen

Et celui de la veille, sur son compte personnel :

 [COMMERCES] [VIDEO]????????Un second café Starbucks va ouvrir en mai 2019 dans l’immeuble Foch, avec une terrasse arborée ????Après Vapiano et Søstrene Grene, ce magnifique immeuble de notre centre ville est désormais entièrement repris ????Bravo à Sylvie Petiot, aux services de la Ville de Nancy et de la Métropole du Grand Nancy, et à l’agence Scalen pour ce remarquable travail de fond, emblématique de notre stratégie de développement commercial !

C’est quand même plus cool de tweeter ça que d’envoyer des messages contre la fraude fiscale ou pour lutter contre le diabète ! Et puis, surtout, ça évite les jalousies mesquines, car après avoir fait la promo de l’escroc fiscal Google, qui soigne son image en implantant un magasin de farces et attrapes rue Saint-Dizier, il fallait que Laurent Hénart montre qu’il était le maire de toutes les entreprises.

Oui mais la presse ? Le quatrième pouvoir ?
On n’y croyait pas et on n’a pas été décu·e·s.

L’Est républicain, grand pourfendeur des gilets jaunes qui gênent le commerce et les annonceurs, a été à la hauteur. Dans son édition électronique du 28 juin 2019, le journal offrait un reportage photo détaillé sur « l’ouverture d’un second “salon” Starbucks à Nancy ». « Salon » !? On appréciera au passage la reprise des éléments de langage de l’entreprise par le journal. La déontologie, c’est décidément l’ADN de L’Est républicain ! Le lendemain, 29 juin, un second article enfonçait le clou, avec en sus une interview de Kamel Boulhadid, qui avait fait le déplacement à Nancy pour affirmer que son groupe de franchises paye ses impôts en France. Rassuré, le grand reporter de L’Est républicain a rapporté scrupuleusement ses propos. Que les franchisés Starbucks fassent de l’argent en vantant les mérites d’un des plus gros escrocs de la planète et en se servant d’une notoriété construite grâce aux milliards que Starbucks vole en ne payant pas ses impôts n’inspire rien (et surtout pas une question) au journaliste. On avait vu les journalistes du même quotidien plus versé.e.s dans la morale et le civisme quand les gilets jaunes manifestaient. Le groupe KB (à ne pas confondre avec le marchand d’engrais pour rosiers) n’est peut-être pas avare de pages de publicité dans les médias du groupe EBRA.

 

–  Mais, décidément, comment en vouloir à ces nains que sont Laurent Hénart, le patron de KB (à ne pas confondre avec le géant de l’insecticide) et L’Est républicain, quand on se souvient qu’Obama, lui-même, du temps qu’il était président des USA, faisait de la publicité gratuite pour Starbucks sur YouTube.

  •   C’est ainsi : grâce à un modèle économique d’une ingéniosité extraordinaire, une mise de fonds astronomique et un cynisme hors-norme, Starbucks a, pour sa stratégie de communication, du petit personnel partout dans le monde. Et celui-ci fait si bien le boulot que Starbucks a des dizaines de millions de client·e·s décomplexé·e·s du bulbe, qui font la queue pour voir leur prénom inscrit un gobelet.

Certes, il faut une bonne dose de renoncement, de bêtise, d’inconscience et/ou de cynisme pour fréquenter Starbucks. Mais ce n’est pas en boycottant ou en changeant le petit personnel chargé de la com’ qu’on empêchera que l’avenir de l’Humanité se résume, pour les plus nantis, à manger de la merde dans un « salon » Starbucks climatisé, en regardant par la fenêtre ou sur une tablette les pauvres crever dans leur misère et la vie sur la planète agoniser sous un soleil couleur de plomb fondu.

C’est en renversant le système qu’on y arrivera. C’est la seule alternative.