C’est une lutte exemplaire. C’est une lutte pour la dignité. » La voix éraillée, Mouloud Sahraoui s’époumone. « Il y a ici des hommes qu’on a tout fait pour réduire en esclavage », poursuit, ému, le délégué syndical de Geodis, désignant l’entrepôt derrière lui.

Encadrées par quelques fourgons de CRS, quelque deux cents personnes sont venues ce jeudi 4 juillet soutenir les ouvriers de Geodis. Gilets jaunes, gilets noirs (des migrants en lutte) , salariés de Monoprix, d’Air France, postiers du 92 ou d’EDF tous sont venus soutenir un mouvement social qu’ils jugent emblématique.

Niché derrière le pont autoroutier, le site de Gennevilliers de Geodis, filiale privatisée de la SNCF, leader de la logistique en France – plus de 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires – est le théâtre d’un conflit inédit, porté depuis le début de l’année par le mouvement des gilets jaunes.

Il y transite jusqu’à 80 000 colis par jour. Du fait de sa situation géographique et parce que les travailleurs font de « l’express » – les colis restent très peu de temps dans l’entrepôt avant d’être redispatchés –, le site de Gennevilliers est l’un des plus rentables. Les conditions de travail y sont pourtant indignes, dénoncent les salariés.

Depuis janvier, les ouvriers de ce site ont entamé un mouvement de grève pour dénoncer leurs conditions de travail, le recours massif à l’intérim et des salaires bien trop bas. Pour étouffer le mouvement, Geodis a organisé le détournement des flux de colis sur d’autres sites du groupe. « C’est un genre de lockout logistique. Depuis des mois, Geodis est prêt à sacrifier son atelier le plus rentable pour écraser une lutte ouvrière », affirme le sociologue David Gaborieau.

La répression contre les salariés engagés dans le mouvement n’a pas tardé. Mouloud Sahraoui raconte qu’il est « convoqué pour la douzième fois en vue d’un licenciement ».Comme pour deux autres délégués syndicaux, l’inspection du travail a déjà refusé son renvoi. Mais ces dernières semaines, sur ce site où travaillent une centaine de personnes, sept salariés ont été licenciés pour faute avec des motifs qui laissent leurs collègues pantois. Mourad, un salarié récemment renvoyé, témoigne : « Moi, on me reproche d’avoir apporté un canapé en salle de repos. On accuse une salariée qui habite à Amiens de retards, alors qu’elle les a rattrapés. Kamel, lui, a été licencié pour inaptitude à son poste de travail…»

Avec la direction, le dialogue a atteint un point de non-retour. Peu mise en avant jusque-là, la question du racisme sur le site où, comme le souligne David Gaborieau, « la majorité des ouvriers sont racisés », est devenue centrale dans le conflit. Le 3 juin Hassan a une altercation avec un manager. « Devant témoin, il lui a lancé : “C’est pas les bougnoules qui font la loi !” » rapporte Mouloud Sahraoui qui décrit des scènes d’humiliation qui se répètent. « À un salarié noir qui vient de décharger plein de camions, l’encadrement lance : “Va-te laver si tu veux me parler, tu pues !” », raconte-t-il, lui qu’un manager a interpellé en lui disant que s’il continuait il allait « lui coller une fiche S ».