POUR QUE CE 1ER MAI  NE SOIT PAS LA FÊTE DE L’ALIENATION…

Le 04 mai 1886 un rassemblement a lieu à Haymarket à Chicago. Quelques jours plus tôt, le 01 mai, alors qu’un anarchiste, Auguste Spies vient de terminer une prise de parole lors d’un meeting pour la journée de 8 heures, la police charge. Le bilan est lourd : un mort et une dizaine de blessé-e-s. Ce type de massacre est alors courant contre un mouvement ouvrier naissant, influencé par l’anarchie.  Des milices patronales ou la police protègent par la violence et l’intimidation les intérêts de la bourgeoisie et de l’Etat. Quelques jours plus tard un rassemblement de soutien est appelé à Haymarket pour protester contre la tuerie. Alors qu’une bonne partie de la foule s’est dispersée, les flics chargent de nouveau, mais cette fois quelques révolté-e-s choisissent de répondre par le feu et envoie une bombe sur les cognes. Il y a aura 7 morts chez les flics et des dizaines de blessé-e-s sous les coups de la police. Quelques têtes connues des services de police, 8 en tout, dont August Spies sont arrêtées et pendues pour l’exemple après une parodie de procès.

De la commune de Paris à la tuerie de Fourmies, la bourgeoisie a démontré à maintes reprises qu’elle ne rechignait pas à avoir recours à la violence  pour mater ceux et celles qui s’oppose à ses intérêts. Elle a toujours trouvé des larbins—flics, mercenaires ou militaires – pour accomplir cette sale besogne. En 1871, les troupes de Thiers font déborder les caniveaux du sang des communards. A Fourmies, le 01 mai 1891, la troupe tire sur les manifestant-e-s. En quelques secondes, la foule est  terrassée. On dénombre 8 morts et plusieurs dizaines de blessé-e-s.  Quand on ne tire pas, on sabre, comme les « dragons » du début du vingtième siècle, chargeant à cheval les manifestations, les piquets de grèves, les soupes communistes ou les émeutes. Plus tard, CRS ou les gendarmes mobiles poursuivent ce petit jeu de massacre en brisant les cranes ou on jetant des grenades offensives.  On rechigne encore moins à tirer sur quelques indépendantistes comme à Sétif ou à jeter à l’occasion quelques algérien-ne-s à la Seine comme en Octobre 1961.
 
Et la répression continue aujourd’hui…

Aujourd’hui, l’Etat tire rarement sous nos contrées à balle réelle sur les manifestante-s. Il se contente « juste » de mutiler, d’éborgner, d’instiller la peur. Sa justice condamne à la pelle : gilets jaunes, révolté-e-s, antinucléaires, zadistes, etc. Certains à Caen croupissent depuis de trop longues semaines et pour bien trop longtemps encore derrière les barreaux. Et maintenant, avec la loi anti-casseurs et les zones interdites de manifestation, il s’agit d’étendre le spectre de la répression et d’éteindre les derniers foyers de révolte. L’Etat poursuit la même besogne de maintien de l’ordre que jadis. Ce n’est pas Macron et sa clique qu’il faut abattre, mais l’Etat, le capital et l’ensemble des rapports de domination et d’exploitation que ce monde charrie. Il n’existe pas d’Etat ou de capitalisme juste !

Caen est l’un des laboratoires de cette justice de classe d’exception. Les peines y sont particulièrement lourdes : 3 ans pour deux détenus, plus de deux ans pour d’autres,  et des tas d’arrestations, des tabassages,  des convocations à la pelle. Une justice d’abattage. Et malheureusement, ici comme ailleurs, force est de constater que même s’il n’a pas eu raison du mouvement qu’il tente de museler, le gouvernement a tout de même réussi à réduire notre capacité de nuisance. Nous n’avons été localement que trop rarement en mesure de porter le moindre coup au pouvoir depuis janvier. Plus de blocages économiques, peu de sabotages. Les flics réussissent à nous confiner là où ils le désirent. Sans dommages pour leur monde de marchandises et les intérêts qu’ils protègent. 

La peur qui nous traverse légitimement tous et toutes n’est sans doute pas étrangère à la situation. Mais elle n’est pas seule à nous paralyser. Nous n’avons pas réussi à étendre le mouvement, notamment dans les grands centres industriels par la grève. Certain-e-s, et mêmes quelques « radicaux-ales »  ont  comptés sur les syndicats pour étendre ce mouvement. Il fallait être aveugle, idéologue ou bien naïf pour ne pas comprendre que les bureaucraties syndicales, à l’image des Partis politiques, défendent leurs intérêts propres : ceux de leur intégration au jeu capitaliste.  Nous ne pouvons compter sur la gauche politique et syndicale qui ne cesse de creuser sa tombe et la notre dans le même mouvement. Mais ce qui nourrit également notre découragement c’est que plus nous avançons dans ce mouvement plus devient flou la manière dont nous pouvons auto-organiser la lutte. Les directions syndicales le 19 mars ont organisés des simulacres de blocages, le SO, en toute complicité avec les flics, a accompagné l’interdiction de manifester en centre-ville décrétée par le préfet le samedi 13 avril.  A chaque fois nous nous sommes laissés dépossédés de notre révolte.  A chaque fois le même jeu de pacification sociale qui, comble de ridicule, n’évite même pas les arrestations. Le pouvoir a décidé d’écraser toute contestation , même les plus douces. Fini pour le moment le temps de la cogestion. 

Les commissions chargées de mettre en application les orientations décidées collectivement en Assemblée se sont depuis de nombreuses semaines autonomisées de celles-ci.  Il y a tout d’abord ce SO autoproclamé, monté pour certain-e-s avec les meilleurs intentions du monde en vue de protéger la manif des bagnoles et pour d’autres un désir de contrôle sur la manifestation. Ce qui est clair c’est que cette sécu n’a jamais eu aucun mandat, et que le seul vote à son égard qui ait eu lieu proposait sa dissolution. Ce dernier fût remis en cause faute de participant et sous l’intimidation de certain-e-s de ses protagonistes. Nous découvrons également des listes de revendications qui n’ont jamais été actées, souvent tirées de Facebook ou de commissions qui ne font pas part de leurs propositions en Assemblée.  Les jonctions avec les syndicats ou des collectifs sont décidées de la même manière. Notre « démocratie » ne vaut parfois guère mieux que la leure. Une bureaucratie est en train d’émerger de fait,  parfois pavée de bonnes intentions, parfois portée par des intérêts partisans ou des appétits de pouvoir.  Les commissions sont d’ailleurs des espaces ou s’affrontent souvent de manière stérile une volonté de démocratie directe, et une volonté de diriger la lutte. Soit la situation évolue et nous nous réapproprions nos moyens de lutter, à travers des assemblées à même de décider de nos grandes orientations communes et uniquement d’elles, soit il faudra considérer les décisions des commissions pour ce qu’elles sont  :  des directions illégitimes.

Maintenant, quelles perspectives ?

Plus que jamais ce 1er mai, nous apparaît être l’occasion de matérialiser en parole et en gestes des perspectives révolutionnaires et anticapitalistes, et de renouer avec ce que le vieux mouvement ouvrier portait de plus subversif. Nous appelons donc à la constitution d’un Cortège autonome contre le capital, l’Etat, toutes les dominations et l’exploitation lors de la manifestation du 1er mai. 

D’ici là et à cette occasion il nous semble nécessaire de braver collectivement dans la mesure de nos possibilités l’interdiction de manifester décrétée par le pouvoir.  Nous ne pouvons nous laisser dicter nos manières de lutter et de porter atteinte aux intérêts de ceux et celles qui nous exploitent et nous répriment.  Cette répression nous est opposée parce qu’une bonne part du mouvement refuse de jouer le jeu des manifs traines-savates, du débat bidon et des seules actions symboliques, et renoue avec l’action directe au grand jour ou de manière plus discrète. 

Tout cet arsenal qui s’étend au quotidien vise à nous faire peur, nous écraser, nous isoler et à éteindre ou plutôt garder sous contrôle toute velléité de révolte. Nous visons donc à opposer  au rôle de victimes isolées, impuissantes et résignées dans lequel cet arsenal cherche à nous maintenir, notre solidarité collective.  Il nous apparaît primordial de maintenir l’entraide collective pour tou-te-s les engeôlé-e-s, en soutenant les différentes caisses anti-répression, mais en exprimant également notre solidarité lors des procès à venir ou en maintenant le lien avec les compagnon-ne-s tombé-e-s.  Mais la solidarité peut aussi s’exercer contre l’administration répressive du monde, en combattant les nouveaux plans de constructions de taules qui ne serviront à  rien d’autres qu’à enfermer les plus pauvres et les plus rebelles. L’administration pénitentiaire s’inquiète déjà de la présence importante de Gilets jaunes derrière les barreau. C’est un truc à faire émerger des révoltes ou des mutineries derrière les murs ! Pour marquer notre solidarité et combattre ce délire répressif nous pouvons organiser des manifs de solidarité, des parloirs sauvages… et lutter contre tous les enfermements, les technologies de surveillance, les techniques qui visent à traquer tous nos gestes pour les rendre rentables et contrôlables, etc. 

Enfin une dernière perspective pourrait être de perturber le jeu électoral.  Nous ne détestons pas seulement la police et la justice, nous détestons également ceux et celles qui prétendent nous représenter, même lorsqu’il s’agit de Gilets jaunes. Imaginez que pour pouvoir tenir leurs élections nos chers élites soient contraintes de protéger les isoloirs avec des flics et des militaires. Si nous décidons de perturber leurs élections, ils seront contraints de montrer le véritable visage de leur démocratie protégée en arme.
 
Des anarchistes,

Caen, avril 2019

localapache@riseup.net