MANIFESTE D’UNE FEMME TRANS

Ce manifeste en appelle à la fin de tout ce qui partout déshumanise les femmes trans, les tourne en ridicule et les désigne comme boucs émissaires. Dans ce manifeste, le terme de « femme trans » s’applique à toute personne assignée garçon à la naissance qui s’identifie et/ou vit en tant que femme. Ni la capacité d’une personne à passer* en tant que femme, ni ses niveaux hormonaux ou l’état de ses organes génitaux ne devraient être des critères sélectifs délimitant le terme de « femme trans » – après tout, il est simplement sexiste de réduire n’importe quelle femme (trans ou non) à une quelconque partie de son corps ou d’exiger que son apparence corresponde à un quelconque idéal imposé par la société.

Les femmes trans constituent probablement la minorité sexuelle la plus incomprise et décriée. Notre communauté a été systématiquement pathologisée par le corps médical et psychiatrique, mise en scène et ridiculisée par les médias, marginalisée par les organisations lesbiennes et gaies mainstream*, exclue par certaines fractions du mouvement féministe et nous avons à de trop nombreuses reprises été les victimes de la violence des hommes qui nous considèrent quelque part comme une menace pour leur masculinité et leur hétérosexualité. Au lieu d’avoir l’opportunité de parler nous-mêmes de nos propres problématiques de vie, nous sommes davantage traitées comme des objets d’étude : les autres nous installent sous leurs microscopes, dissèquent nos vies et nous attribuent des motivations et des désirs censés valider leurs propres thèses et théories sur le genre et la sexualité.

Si les femmes trans sont ainsi ridiculisées et méprisées, c’est parce que nous sommes dans une position unique située juste à l’intersection de plusieurs formes d’oppressions basées sur la binarité de genre : la transphobie, le cissexisme* et la misogynie.

La transphobie est une peur irrationnelle, une aversion, une discrimination à l’encontre de toutes les personnes dont l’identité, l’apparence ou le comportement transgressent les normes sociales liées au genre. Par ailleurs, les personnes homophobes sont bien souvent simplement influencées par leurs propres tendances homosexuelles refoulées. De la même manière, la transphobie est surtout et avant tout l’expression d’une angoisse individuelle de devoir correspondre aux idéaux de genre. La transphobie chronique dont souffre notre société est un symptôme de la pression colossale qui s’exerce sur les individus dans le but de les faire intégralement correspondre aux attentes, évidences, limites et privilèges associées au sexe qui leur a été assigné à la naissance.

Si toutes les personnes transgenres* subissent la transphobie, les personnes transsexuelles* subissent également une autre forme (comparable mais distincte) d’oppression : le cissexisme. Le cissexisme relève d’une croyance. Les personnes cissexistes considèrent le genre d’une personne transsexuelle comme inférieur ou moins authentique que celui d’une personne cissexuelle (c’est-à-dire quelqu’un·e qui n’est pas transsexuel·le et qui a toujours vécu une correspondance entre son sexe physique* et son sexe subconscient [2]). Le cissexisme s’exprime habituellement lorsque quelqu’un·e tente de refuser à une personne transsexuelle les privilèges de base associés au genre auquel elle s’identifie. Pour exemple, on citera notamment les personnes qui utilisent de manière intentionnelle et obstinée de mauvais pronoms lorsqu’elles s’adressent à une personne trans ou encore celles qui insistent pour qu’une personne trans utilise des toilettes publiques différentes. Elles se justifient ensuite en niant l’authenticité du genre des personnes trans, dans la mesure où celui-ci ne correspond pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance. Par cette assertion, les cissexistes cherchent à créer une hiérarchie artificielle. En s’obstinant à considérer les genres transsexuels comme des contrefaçons, ils et elles cherchent à ce que leur propre genre soit certifié « vrai » ou « naturel ». Cette façon de penser est prodigieusement naïve, dans la mesure où elle nie une réalité de base : nous élaborons quotidiennement des hypothèses quant au genre des gens, sans jamais voir leur certificat de naissance, leurs chromosomes, leurs organes génitaux, leur appareil reproducteur, leur état-civil, ni sans jamais savoir de quelle manière elles ont été socialisées durant leur enfance. Il n’existe pas de « vrai » genre – il n’y a que le genre dans lequel nous nous vivons et le genre que l’on perçoit chez les autres.

Si leurs expressions concrètes diffèrent souvent, le cissexisme, la transphobie et l’homophobie prennent tou·tes trois racine dans le sexisme oppositionnel, qui est la croyance que « femme » et « homme » sont des catégories rigides, mutuellement exclusives, possédant chacune un panel d’attributs, d’aptitudes, de capacités et de désirs spécifiques, distinct·es et dissocié·es. Les personnes défendant des thèses sexistes oppositionnelles cherchent à punir ou à discréditer celles et ceux d’entre nous qui s’expriment en dehors des normes de genre et de sexe, parce que notre existence menace l’idée selon laquelle femme et homme sont des sexes « opposés ». Ceci explique pourquoi les personnes bissexuelles, lesbiennes, gaies, transsexuelles et transgenres – qui peuvent vivre leur genre et leur sexualité de manières très diverses – sont si souvent confondues et mises dans le même panier (i.e., queer*) par la société dans son ensemble. Nos tendances spontanées à être attiré·es par le même sexe, à nous identifier à un sexe différent de celui qui nous a été assigné à la naissance et/ou à exprimer nos personnalités de manières typiquement associées à l’autre sexe brouillent les frontières nécessaires au maintien de la hiérarchie androcentrée qui existe aujourd’hui entre les genres dans notre culture [3].

En plus des catégories de genre rigides et mutuellement exclusives instituées par le sexisme oppositionnel*, l’autre condition nécessaire au maintien d’une hiérarchie de genre androcentrée est de renforcer le sexisme traditionnel – c’est-à-dire la croyance que le genre masculin et la masculinité sont supérieur·es au genre féminin et à la féminité. Les sexismes traditionnel et oppositionnel travaillent main dans la main pour s’assurer que ceux qui sont masculins aient le pouvoir sur celles qui sont féminines et que seuls ceux qui sont nés garçons puissent être perçus comme authentiquement masculins. Dans la suite de ce manifeste, j’utiliserai le terme « misogynie » pour décrire cette tendance à discréditer et ridiculiser le genre féminin et la féminité.

De la même façon que les personnes transgenres subissent différentes intensités de transphobie et de cissexisme (selon que nous soyions out* ou pas, visibles ou pas, que nous exprimions notre identité transgenre en permanence ou occasionnellement), l’intensité avec laquelle nous subissons la misogynie diffère aussi. Cela devient particulièrement évident si l’on regarde à quel point les femmes trans et autres personnes s’identifiant sur un spectre male-to-female (MTF*) sont l’objet de tant d’attention et de ridiculisation dans notre société, bien qu’il existe de nombreux et différents types de personnes transgenres. Si nous sommes dans cette situation ce n’est pas seulement parce que nous transgressons, en tant que telles, les normes de genre binaires mais parce que nous sommes amenées, par nécessité, à embrasser notre identité de femme et notre propre féminité. En effet, ce sont principalement nos expressions de féminité et notre désir d’être reconnues en tant que femmes qui sont mis·es en scène, sexualisé·es et dévalorisé·es, alors que les personnes s’identifiant sur un spectre female-to-male (FTM*) sont avant tout discriminées pour leur transgression et destruction des normes de genre (i.e., du sexisme oppositionnel). Leur genre masculin et leurs expressions de masculinités ne sont pas, en soi, ridiculisé·es – car cela remettrait en question la masculinité elle-même.

Quand une personne trans est ridiculisée ou discréditée avant tout pour son appartenance au genre féminin ou ses expressions de féminité et non pas seulement pour sa non-correspondance aux normes de genre, elle devient alors victime d’une forme spécifique de discrimination : la trans-misogynie. Quand la plupart des blagues faites à l’encontre des personnes trans se focalisent sur « les hommes qui portent des robes » ou sur « les hommes qui se font couper le pénis », ce n’est pas de la transphobie – c’est de la trans-misogynie. Quand la plupart des violences et des agressions sexuelles dont sont victimes les personnes trans sont dirigées vers et commises sur les femmes trans, ce n’est pas de la transphobie – c’est de la trans-misogynie [4]. Quand on accepte que des femmes portent des vêtements « d’homme » mais qu’on peut émettre un diagnostic psychiatrique de travestissement fétichiste sur tout homme portant des vêtements « de femme », ce n’est pas de la transphobie – c’est de la trans-misogynie [5]. Quand les organisations et manifestations féministes ou lesbiennes ouvrent leurs portes aux hommes trans mais pas aux femmes trans, ce n’est pas de la transphobie – c’est de la trans-misogynie [6].

Pour une société articulée autour d’une hiérarchie de genre androcentrée où l’on part du principe que les hommes sont meilleurs que les femmes et que la masculinité est supérieure à la féminité, il n’y a pas de plus grande menace que l’existence de femmes trans qui, bien que nées garçons et censées hériter des privilèges masculins, « choisissent » au contraire d’être femmes. D’une certaine manière, en revendiquant notre genre féminin et en embrassant notre propre féminité, nous semons le doute sur la suprématie supposée du genre masculin et de la masculinité. Afin d’endiguer la menace que nous représentons pour la hiérarchie androcentrée des genres, notre culture (principalement via les médias) utilise chaque tactique de son arsenal sexiste traditionnel pour nous discréditer et nous isoler :

1. Les médias nous hyperféminisent en illustrant les histoires de femmes trans par des images nous montrant en train de nous maquiller, de porter des robes et des chaussures à talons hauts, afin de souligner la « frivolité » supposée de notre genre féminin ou via des descriptions caricaturales nous attribuant des traits de caractère péjorativement associés à la féminité tels que la faiblesse, la confusion, la passivité ou la timidité.

2. Les médias nous hypersexualisent en donnant l’impression que la plupart des femmes trans sont travailleuses du sexe ou sont des usurpatrices et prédatrices sexuelles, en prétendant que nous transitionnons principalement pour des motifs sexuels (e.g., pour berner d’innocents hommes straight ou pour satisfaire une sorte de fantasme érotique). De telles représentations ne se contentent pas de dévaloriser et de fabuler sur les motifs qui amènent les femmes trans à transitionner, mais suggèrent implicitement que les femmes dans leur ensemble n’ont pas de valeur au-delà de leur potentielle sexualisation.

3. Les médias chosifient nos corps en mettant en scène la chirurgie de réassignation de sexe et en parlant abondamment et ouvertement de nos « vagins artificiels » sans la moindre pudeur habituellement associée aux discussions sur la génitalité. En outre, celles d’entre nous qui n’ont pas fait de chirurgie sont constamment réduites à leurs organes génitaux, que ce soit par les réalisateurs de tranny porn* qui amplifient et exagèrent nos pénis (transformant ainsi les femmes trans en « she-males » [7] et en « meufs à bite ») ou par d’autres si bien lobotomisées par le phallocentrisme qu’ils et elles croient que la seule présence d’un pénis suffit à infirmer ou altérer la féminité et la féminitude de nos identités, de nos personnalités et du reste de nos corps.

Puisque les discriminations anti-trans sont imbibées de sexisme traditionnel, il ne suffit pas pour les activistes trans de simplement braver les normes de genre binaires (i.e., le sexisme oppositionnel) – nous devons aussi contester l’idée selon laquelle la féminité serait inférieure à la masculinité et le genre féminin inférieur au genre masculin. En d’autres mots, l’activisme trans doit être à la base, nécessairement, un mouvement féministe.

Cette assertion peut sembler discutable. Des années durant, de nombreuses féministes auto-proclamées se sont démenées pour mettre à l’écart les personnes trans – et en particulier les femmes trans – usant souvent de tactiques similaires (hyperféminisation, hypersexualisation et chosification de nos corps) à celles élaborées par les médias dominants à notre encontre. Ces pseudo-féministes proclament que « les femmes peuvent faire tout ce que les hommes peuvent faire », mais ridiculisent ensuite les femmes trans ayant le moindre comportement habituellement perçu comme masculin. Elles défendent l’idée que les femmes devraient être fortes et ne pas avoir peur de dire ce qu’elles pensent, mais accusent ensuite les femmes trans d’agir comme des hommes quand elles font entendre leurs opinions. Elles disent que les normes créées par les hommes dans le but de soumettre les femmes à leurs attentes sont misogynes, mais nous discréditent et nous rejettent si nous avons le malheur de ne pas correspondre à leur vision normée et normalisante de « la femme ». Ces pseudo-féministes sont constamment en train de prôner le féminisme d’un côté, tout en entretenant et en relayant le sexisme traditionnel d’un autre côté.

Il est maintenant temps pour nous de reprendre le terme « féminisme » des mains de ces pseudo-féministes. Après tout, en tant que concept, le féminisme est semblable à l’idée de démocratie ou de christianisme. Si chacun de ces concepts possède certains principes fondamentaux, il semble pourtant exister une quantité infinie de façons de les pratiquer. Et de la même manière que certaines formes de démocratie et de christianisme sont corrompues et hypocrites tandis que d’autres sont plus justes et honnêtes, nous devons, en tant que femmes trans, nous joindre à des alliées de tous genres et de toutes sexualités pour forger un nouveau type de féminisme autour de l’idée que la seule façon d’aboutir à une réelle égalité des sexes est d’abolir à la fois le sexisme oppositionnel et le sexisme traditionnel.

Le féminisme ne peut désormais plus se contenter de se battre uniquement pour les droits de celles à qui l’on a assigné un sexe féminin à la naissance. Si pendant des années cette stratégie a permis d’élargir les perspectives de nombreuses femmes, elle se heurte aujourd’hui à un plafond de verre qu’elle a elle-même contribué à créer. Si le mouvement féministe a travaillé dur pour encourager les femmes à s’approprier des domaines auparavant réservés aux hommes, de nombreuses féministes ont pourtant été au mieux mitigées, au pire récalcitrantes, à l’idée que des hommes puissent exprimer et extérioriser des traits féminins ou intégrer certaines sphères considérées traditionnellement comme féminines. Et si nous devons reconnaître aux mouvements féministes d’avoir permis la création d’une société où la plupart des personnes sensées sont d’accord avec l’affirmation « les femmes et les hommes sont égal·es », nous restons cependant à des années-lumière de pouvoir dire que la plupart des gens considèrent que la féminité est égale à la masculinité.

Au lieu de vouloir donner de la force à celles à qui l’on a assigné un sexe féminin à la naissance en les encourageant à s’éloigner viscéralement de la féminité, nous devrions plutôt apprendre à donner de la force à la féminité elle-même. Nous devons arrêter de considérer la féminité comme « artificielle » ou de la réduire à « une performance ». Au lieu de ça, nous devrions reconnaître le fait que certains aspects de la féminité (et tout autant de la masculinité) transcendent à la fois la socialisation et le sexe biologique – sans quoi il n’y aurait ni petits garçons féminins ni petites filles masculines. Nous devons combattre l’idée selon laquelle la vulnérabilité féminine serait un signe de faiblesse. Car lorsque nous nous ouvrons aux autres, que ce soit en communiquant en toute franchise sur nos pensées et nos sentiments ou en exprimant nos émotions, c’est un acte audacieux qui demande bien plus de courage et de force intérieure que l’apparence stoïque et silencieuse de l’homme lambda.

Nous devons contester l’idée prétendant que les femmes qui agissent ou s’habillent de manières féminines se mettent forcément dans une posture soumise et passive. Pour bon nombre d’entre nous, s’habiller ou agir d’une manière féminine est quelque chose que nous faisons pour nous-mêmes et pas pour les autres. C’est notre façon de reconquérir nos propres corps et d’exprimer courageusement nos propres personnalités et sexualités. Ce n’est pas nous qui sommes responsables des tentatives visant à réduire nos corps à de simples jouets, mais bien celles et ceux qui s’imaginent stupidement que notre style féminin est un signe de soumission aux hommes.

Dans un monde où la masculinité est censée symboliser la force et le pouvoir, les personnes butch et masculines ont la possibilité d’envisager leurs identités à travers les aspects relativement rassurants de telles représentations. À l’inverse, celles d’entre nous qui sont féminines sommes forcées de nous définir par nos propres mots et de développer notre propre estime de nous-mêmes. Dépasser les représentations infériorisantes constamment projetées sur celles d’entre nous qui sont féminines demande de la détermination, des tripes et du courage. S’il vous faut la moindre preuve du fait que la féminité peut être plus dangereuse, féroce et explosive que la masculinité, il vous suffit de demander à n’importe quel homme de porter votre sac à main ou un bouquet de fleurs pendant une minute et de regarder à quelle distance de son corps il les tient. Ou dites-lui que vous aimeriez lui mettre un peu de votre rouge à lèvres et voyez à quelle vitesse il s’enfuit. Dans un monde où la masculinité est respectée et où la féminité est régulièrement décriée et discréditée, cela demande énormément de force et de confiance en soi pour accepter et embrasser sa propre féminité – quel que soit le « sexe » de notre corps.

Mais nous ne devons pas nous contenter de donner de la force au genre féminin et à la féminité. Il nous faut aussi arrêter de prétendre qu’il existe des différences essentielles entre les femmes et les hommes. Pour commencer, nous devons reconnaître qu’il y a des exceptions à chaque règle et stéréotype de genre et que ce simple fait invalide toutes les théories prétendant que « femme » et « homme » sont des catégories mutuellement exclusives. Nous devons nous éloigner de l’idée selon laquelle « femme » et « homme » sont deux sexes « opposés », parce qu’adhérer à ce mythe induit de dangereuses conséquences. Car si les hommes sont grands, alors les femmes doivent être petites ; et si les hommes sont censés être forts, alors les femmes doivent être faibles. Et si être butch signifie être solide comme un roc, alors être fem* sous-entendrait être souple et influençable ; et si être un homme veut dire avoir le contrôle de sa vie et de sa propre condition, alors être une femme veut dire vivre en fonction des attentes et des besoins des autres. Quand on adhère à l’idée que le genre féminin et le genre masculin sont « opposés », il devient alors impossible de donner du pouvoir et de la force aux femmes sans soit ridiculiser les hommes, soit nous sous-estimer nous-mêmes.

C’est seulement en s’écartant de l’idée qu’il existe des sexes « opposés » et donc en abandonnant les représentations culturelles conduisant à une valorisation inégale des expressions de féminité et de masculinité, que nous pourrons finalement nous approcher de l’égalité entre les genres. En nous attaquant simultanément au sexisme oppositionnel et au sexisme traditionnel, nous avons la possibilité de rendre le monde plus sûr pour celles d’entre nous qui sont queers, féminines et/ou femmes, tout en donnant de la force aux personnes de tous les genres et de toutes les sexualités.

Julia Serano

Julia Serano est une femme transsexuelle et vit en Californie. Elle est intervenue dans des cursus universitaires et, en tant qu’activiste, elle a participé à plusieurs Ladyfest et à la mise en scène des Monologues du vagin à l’université de Berkeley.

NOTES

1 – Les termes signalés par une astérisque sont définis dans le glossaire, p.128 (nde).

2 – Julia Serano donne une définition de ce terme dans le chapitre 5 de son livre (non traduit ici). Nous en avons reproduit une partie ; se reporter au glossaire, p.128 (nde).

3 – Lorsque Julia Serano évoque notre société ou notre culture, elle fait référence à la société occidentale (nde).

4 – Cet aspect de la trans-misogynie a été développé par Viviane K. Namaste. Se reporter aux références bibliographiques (nde).

5 – Par exemple dans le DSM-IV. Se reporter aux références bibliographiques (nde).

6 – Voir les propos de Jacob Anderson-Minshall. Se reporter aux références bibliographiques (nde).

7 – Le terme she-male fait référence à des femmes transsexuelles qui ont des caractères sexuels secondaires qualifiés de féminins, tout en ayant des organes génitaux qualifiés de masculins. Ce terme est la plupart du temps utilisé péjorativement et pour refuser le statut de femme à une femme transsexuelle (ndt).

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GLOSSAIRE

BUTCH : Ce terme désigne une gouine qui joue avec les codes de la masculinité. Le mot butch apparaît aux États-Unis dans les années 1940 dans la communauté lesbienne. Ce terme est une réappropriation d’une insulte, « camionneuse », afin de transformer en positif sa connotation insultante. Historiquement, le mot butch n’est pas dissociable du mot fem, ces deux identités s’étant créées conjointement.

CISSEXUELLE : Désigne les personnes qui vivent avec le sexe et le genre qui leur ont été assignés à la naissance. L’abréviation « cis » est fréquemment utilisée, il est possible aussi de trouver « bio » sachant que ce terme est très controversé. Utiliser le terme « cis » permet de définir la norme, pour ne pas définir que les personnes trans.

CISSEXISME : Le « cis-sexisme » désigne le fait de considérer que tous les hommes et toutes les femmes sont nées de sexe biologique respectivement masculin et féminin ; ou de considérer que les personnes trans sont inférieur·es aux personnes cis. C’est un système qui prend les corps, expériences et identités cis comme norme, qui invisibilise ou/et dévalorise les vécus des personnes trans. C’est une forme insidieuse de sexisme perpétuée par la plupart des personnes cis, et parfois par des personnes trans. Alors que ce terme est souvent utilisé comme synonyme de transphobie, Julia Serano estime que le cissexisme ne vise que les personnes transsexuelles.

COMING OUT : L’expression communément utilisée en français est « sortir du placard ». Cela désigne l’annonce volontaire d’une orientation sexuelle ou d’une identité de genre. Le coming out peut se faire dans différents milieux sociaux : les membres de la famille, les ami·es, les collègues, les voisinas, etc.

CRS : Chirurgie de réassignation sexuelle ; Il s’agit de chirurgie génitale. Pour les femmes trans il s’agit de pratiquer une vaginoplastie ; cette opération consiste à construire un vagin ou néo-vagin et une vulve à partir de la peau du pénis et du scrotum. Pour les hommes trans, il s’agit de pratiquer une phalloplastie ; cette opération consiste à créer un néo-pénis à partir du prélèvement d’un lambeau de peau. Il existe aussi la métaoidioplastie, intervention qui permet au clitoris d’être libéré et d’apparaître comme un micro pénis : cela résulte de l’action conjuguée des hormones et de la chirurgie.

ETRE OUT : cf Coming out

ETRE OUTÉ, OUTER, OUTING : Révéler délibérément l’homosexualité et/ou la transsexualité de quelqu’un·e. Cet acte constitue la plupart du temps une expression de cissexisme, d’homophobie et/ou de lesbophobie, mais il a aussi été historiquement utilisé comme acte militant à l’encontre de personnalités publiques qui, par leur silence ou leur action, ont fait le jeu de l’homophobie.

FEM : Ce terme désigne une gouine qui joue avec les codes de la féminité. Fem est une abréviation de « féminine ». Le mot fem apparaît aux États-Unis dans les années 1940 dans la communauté lesbienne. Les fems cultivent une allure féminine mais, par leurs attirances, leurs comportements et leur sexualité, elles n’adhèrent pas aux attentes hétéro-sexistes. De par leur apparence, les fems sont rarement identifiées comme gouines dans la société hétérosexiste. Historiquement, le mot fem n’est pas dissociable du mot butch, ces deux identités s’étant créées conjointement.

FTM : C’est un adjectif qui désigne des hommes, des pédés, des trans qui avaient été assignés « fille » à la naissance. Les termes FtM, FtX sont régulièrement utilisés : F = féminin, t = to (vers), M = masculin, X = unknown (non déterminé, non-spécifié).

GENRE : On utilise le « genre féminin » pour ne pas utiliser le « sexe féminin » afin de ne pas renvoyer à des attributs sexuels mais sociaux et culturels. Le « genre féminin » comme « le genre masculin » sont socialement construits et réfèrent plus aux différences sociales, économiques et politiques.

GENRER : Dans le langage, nous utilisons des pronoms pour qualifier des noms (le, la) qui genrent chaque chose, chaque personne. De la même manière, nous assignons un genre à chaque personne que l’on rencontre.

MAINSTREAM : La traduction littérale en français est « le courant principal ». Ce terme est utilisé pour qualifier des personnes ou des organisations dominantes à l’échelle d’une culture ou d’une communauté.

MÉGENRER, MÉGENREMENT : Désigne le fait de se tromper de pronom et d’assigner à quelqu’un·e un genre qui ne lui correspond pas. La plupart du temps ce sont des personnes trans qui sont mégenrées, mais cela peut arriver à des personnes cis. Quand le mégenrement est intentionnel, Julia Serano emploie le terme de « dysgenrement ».

MTF : C’est un adjectif qui désigne des femmes, des gouines, des trans qui avaient été assignées « garçon » à la naissance. Les termes MtF, MtX sont régulièrement utilisés : M = masculin, t = to (vers), F = féminin, X = unknow (non déterminé, non-spécifié).

OUT : cf Coming out

OUTER, OUTING : cf être outé

PASSING, PASSER : Lorsque ce terme est utilisé pour une personne transsexuelle, il sert à définir le moment où elle est reconnue par les autres dans son genre d’arrivée. En fonction des personnes, le passing n’est pas le même puisqu’il se réfère au système de valeur cissexuel. Cela occasionne donc des hiérarchies entre des personnes transsexuelles qui ont un « bon » passing et d’autres qui en ont un « moins bon ».

QUEER : Ce mot anglais signifie « bizarre », « étrange » et est souvent utilisé comme insulte pour désigner des personnes ne correspondant pas aux normes hétérosexuelles dans un sens large. C’est à partir des années 1980 aux États-unis que cette insulte est revendiquée en termes positifs par des gays, des pédés, des lesbiennes, des gouines et des trans. Le terme est maintenant utilisé en France mais n’a pas le même sens puisque ce mot ne réfère ni à une insulte, ni à une inversion du stigmate. De plus, il a été notamment apporté par des sphères universitaires qui lui ont donné d’autres significations. Il y a donc mille manières de se rapporter à ce mot : universitaires, militantes, milieux festifs…

SEXE PHYSIQUE : Terme faisant référence aux organes génitaux, aux niveaux hormonaux et aux caractéristiques sexuelles secondaires (pilosité, glande mammaire, voix, etc.) d’une personne. Lorsqu’il s’agit d’une personne trans, la notion de sexe physique est souvent utilisée pour décrire le corps de la personne avant/hors changement (traitement hormonal, chirurgie, etc.). Il s’agit des caractéristiques physiques qui ont servi à assigner à la personne un genre à la naissance. En l’occurrence, la notion de sexe physique pose problème puisqu’elle insinue qu’il existe une « norme physique rigide » permettant de définir les genres masculins et féminins (en gros : « vagin/œstrogène/seins = femme » et « pénis/testostérone/poils = homme »), ce qui est souvent contesté par les mouvements/personnes trans et intersexes ainsi que par certains courants féministes.

SEXE SUBCONSCIENT : Dans le chapitre 5 de son livre, voici ce que dit Julia Serano afin de distinguer les notions de « sexe subconscient » et d’« identité de genre » : « Personnellement, j’ai toujours trouvé que le terme « identité de genre » prêtait à confusion. Après tout, s’identifier en tant que quelqu’un-e ou quelque chose, que ce soit en tant que femme, démocrate, chrétienne, féministe, fan de chats ou métalleuse, semble être un choix délibéré et conscient de notre part pour décrire au mieux ce que nous pensons être notre place dans le monde. En ce qui concerne les personnes transsexuelles, l’expression « identité de genre » est problématique dans la mesure où elle peut décrire deux choses potentiellement différentes : le genre auquel on a consciemment choisi de s’identifier, et le genre auquel on a inconsciemment le sentiment d’appartenir. Pour plus de clarté, j’appellerai ce dernier sexe subconscient. […] C’est un vaste chantier que d’essayer de traduire ses sentiments inconscients en une pensée consciente et précise. […] Si je devais dire que, [durant mon enfance,] je me « voyais » comme une femme, ou que je « savais » que j’étais une fille, cela revient à nier le fait qu’à chaque instant j’avais parfaitement conscience d’avoir un corps physiquement masculin [et que les autres me percevaient comme un garçon]. Et dire que je « voulais » ou que j’« aurais aimé » être fille ne reflète pas du tout la force avec laquelle le genre féminin résonnait en moi et à quel point, au plus profond de moi-même, il entrait en adéquation parfaite avec chaque parcelle de mon être. Je pourrais dire que je me « sentais » fille, mais cela risquerait de donner la fausse impression que je prétends savoir comment se sentent les autres filles (et les garçons aussi). Et si je disais que « j’aurais dû être » une fille, ou que « j’aurais dû naître» de sexe féminin, cela impliquerait que j’ai une certaine vision cosmique du grand schéma de l’univers, ce qui n’est absolument pas le cas. Peut-être que la meilleure façon de décrire l’interprétation que j’avais à l’époque de mon sexe subconscient serait de dire que, d’une certaine manière, mon esprit attendait de mon corps qu’il soit celui d’une fille » [1].

STRAIGHT : Ce terme désigne ce qui correspond à la norme de notre société hétéro-patriarcale. Il est utilisé pour désigner les personnes « normales », hommes et femmes cissexuel·les et hétérosexuel·les.

TRANNY PORN : Films pornos mettant en scène le plus souvent des femmes trans ou des personnes travesties et quelque fois des hommes trans.

TRANS : C’est un diminutif de transsexuelle et/ou de transgenre. Ce diminutif est important pour bon nombre de trans, car il simplifie la langue et s’adresse à une communauté toute entière. Son utilisation est une manière de se valoriser et d’essayer de sortir du stigmate, de la pathologisation des instances médicales et des représentations médiatiques caricaturales. Il se décline aussi avec cette écriture : « trans’ ».

TRANSGENRE : « Le terme « transgenre » peut être employé pour qualifier des personnes qui sont ou qui ont été dans une position défiant les normes sociales liées au genre. C’est un terme très vaste regroupant les personnes qui vivent leur genre en dehors de la binarité homme/femme (les personnes transgenres, genderqueer, genderfluid, bigenres,…), les personnes ayant une expression de genre ne correspondant pas aux normes sociales généralement associées au genre auquel elles appartiennent (les lesbiennes butch, les travesties, les drag-kings/queens,…) ou encore les personnes qui vivent et s’identifient dans le genre opposé à celui qui leur a été assigné à la naissance (les personnes transsexuelles) » [2].

TRANSLOVER : Désigne des cis ou des trans qui sont particulièrement attirées par des personnes trans. Ce terme est à utiliser avec des pincettes car il peut vite tendre à des formes d’exotisation des personnes trans et amener à du cissexisme.

TRANSSEXUEL·LE : Le terme « transsexuel·le » s’emploie pour qualifier une personne s’identifiant et vivant dans le genre opposé à celui qui lui a été assigné à la naissance. Une femme transsexuelle est une femme qui a été assignée « garçon » à la naissance. Un homme transsexuel est un homme qui a été assigné « fille » à la naissance. Ce terme a été créé et est utilisé par les médecins pour diagnostiquer et pathologiser les personnes trans. Certaines trans se réapproprient et utilisent ce terme. Cependant, les trans utilisent plus souvent le terme de « transidentités » que de « transsexualisme ».

WOMYN, WOMYN-BORN-WOMYN : C’est un néologisme dérivé du terme woman, « femme » en anglais. Il est utilisé dans certaines sphères féministes car c’est une manière d’élargir la catégorie « femme », de décloisonner les imaginaires de ce que doit être une femme dans nos sociétés. Cela permet notamment d’inclure les lesbiennes, les gouines et les butches cis. Une des déclinaisons possibles en français de womyn est « meuf ». Mais le terme de womyn n’inclut pas les femmes trans qui sont vues comme des usurpatrices : il reste essentialiste puisqu’il se réfère au sexe assigné à la naissance.

NOTES

1 – Cette définition est issue du Chapitre 5, non traduit ici, de Whipping Girl, aux pages 78 et 80 (nde).

2 – Cette définition est issue de la Note de la traductrice, en pages 9 et 10 du présent ouvrage (nde).

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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

MANIFESTE D’UNE FEMME TRANS

Page 17 : (…) sont dirigées vers et commises sur les femmes trans, ce n’est pas de la transphobie – c’est de la trans-misogynie.
Viviane NAMASTE, Invisible Lives : The Erasure of Transsexual and Transgender People, University of Chicago Press, Chicago, 2000, p.145, p.215-216 ; Viviane NAMASTE, Sex Change, Social Change : Reflections on Identity, Institutions, and Imperialism, Women’s Press, Toronto, 2005, p.92-93.

Page 17 : (…) de travestissement fétichiste sur tout homme portant des vêtements « de femme », ce n’est pas de la transphobie – c’est de la trans-misogynie.
American Psychiatrie Association, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition, Text Revision (DSM-IV-TR), American Psychiatric Association, Washington D.C., 2000, p.574-575.

Page 17 : (…) mais pas aux femmes trans, ce n’est pas de la transphobie – c’est de la trans-misogynie.
Jacob ANDERSON-MINSHALL, « Michigan or Bust : Camp Trans Flourishes for Another Year », San Francisco Bay Times, 3 août 2006, et la lettre ouverte de l’auteure en réponse à cet article (www.juliaserano.com/frustration.html).
Pour en savoir plus sur la manière dont les attitudes des lesbiennes ont tendance à être beaucoup plus négatives envers les femmes trans qu’envers les hommes trans, voir Michelle TEA, « Transmissions from Camp Trans », The Believer, Novembre 2003 ; Julia SERANO, « On the Outside Looking In », On the Outside Looking In : A Trans Woman’s Perspective on Feminism and the Exclusion of Trans Women from Lesbian and Women-Only Spaces, Hot Tranny Action Press, Oakland, 2005 ; Zachary NATAF, « Lesbians Talk Transgender», dans Susan STRYKER, Stephen WHITTLE (dir.), The Transgender Reader, Routledge, New York, 2006, p.439-448.

Page 19 : (…) usant souvent de tactiques similaires (hyperféminisation, hypersexualisation et chosification de nos corps) à celles élaborées par les médias dominants à notre encontre.
Pour une vue d’ensemble de la pensée féministe anti-femmes-trans, voir Pat CALIFIA, Sex Changes : The Politics of Transgenderism, Cleis Press, San Francisco, 1997, p.86-119 (Traduction française de Patrick YTHIER, Le Mouvement Transgenre, Changer de Sexe, Epel, Paris, 2003) ; Joanne MEYEROWITZ, How Sex Changed : A History of Transsexuality in the United States, Harvard University Press, Cambridge, 2002, p.258-262 ; Kay BROWN, « 20th Century Transgender History and Experience » (www.jenellerose.com/htmlpostings/20th_century_transgender.htm) ; Deborah RUDACILLE, The Riddle of Gender : Science, Activism, and Transgender Rights, Panthéon Books, New York, 2005, p.151-174.
Pour des exemples typiques d’écrits féministes trans-misogynes, voir Mary DALY Gyn/Ecology : The Metaethics of Radical Feminism, Beacon Press, Boston, 1990, p.67-72 ; Andrea DWORKIN, Woman Hating, E. P. Dutton, New York, 1974, p.185-187 ; Margrit EICHLER, The Double Standard : A Feminist Critique of Feminist Social Science, Croom Helm, London, 1980, p.72-90 ; Germaine GREER, The Madwoman’s Underclothes : Essays and Occasional Writings, Atlantic Monthly Press, New York, 1987, p.189-191 ; Germaine GREER, The Whole Woman, Alfred A. Knopf, New York, 1999, p.70-80 ; Sheila JEFFREYS, Beauty and Misogyny : Harmful Cultural Practices in the West, Routledge, New York, 2005, p.46-66 ; Robin MORGAN, Going Too Far, Random House, New York, 1977, p.0-188 ; Janice G. RAYMOND, The Transsexual Empire : The Making of the She-Male, Beacon Press, Boston, 1979 ; Gloria STEINEM, « If the Shoe Doesn’t Fit, Change the Foot », Ms., Février 1997, p.76-86.

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Tiré de Julia Serano – Manifeste d’une femme trans …et autres textes, Éditions Tahin Party, 2014, p.12-24 ; p.120-122 ; p.128-135. (Julia Serano, Whipping Girl: A Transsexual Woman on Sexism and the Scapegoating of Femininity, 2007 – EXTRAITS – Traduction : Noémie Grunenwald)