La météo des derniers mois n’a pas été clémente sur Saint-Etienne. Le groupe Casino (qui réunit les enseignes Casino, Géant, Monoprix, Franprix, Leader Price, Spar, Vival, Naturalia, Sherpa, Cdiscount…) est le titre boursier le plus attaqué en France, le nº2 en Europe. L’année 2018 a été une année record, avec les attaques de fonds spéculatifs américains (Muddy Waters…) ou celles d’acheteurs à court terme indépendants. La spéculation va bon train. Et 2019 ne déroge à la règle.

 

Ce climat rejaillit évidemment en interne où les syndicats ont peur pour l’emploi, le groupe comptabilisant 226606 employés dont 75449 en France, mais surtout pour l’indépendance du groupe Casino, déjà menacée en 1997 par une OPA hostile de Promodès et mise en échec en son temps grâce au groupe Rallye de Jean-Charles Naouri. S’ils semblent être dans leur rôle en défendant les salariés, certains élus syndicaux de Casino jouent un jeu trouble. En coulisse, ils semblent faire surtout le jeu de la concurrence, sciemment ou à leur insu. Et surtout celui de Carrefour, les deux entreprises étant frontalement concurrents sur le marché français. Un rapprochement entre les deux enseignes entraînerait mécaniquement la disparition d’une dizaine de milliers d’emploi, dont la disparition du siège Casino de Saint Etienne. En septembre dernier, en pleine tourmente boursière, Casino a anticipé une OPA de Carrefour qualifiée de « tentative de rapprochement », déclenchant une guerre des communiqués entre les deux entreprises. La première dénonçant des « manipulations spéculatives coordonnées à la baisse d’une ampleur inédite depuis plusieurs mois », la seconde s’offusquant de ces accusations en parlant « d’insinuations inacceptables ». Ambiance.

 

Mais pour qui roule la CFDT Casino ?

 

Les relations entre Casino et Carrefour ne se limitent pas à celles de leurs directions. La vie syndicale des deux entreprises est en effet très intéressante à scruter. Depuis quelques semaines, dans un contexte pré-électoral qui justifie tous les excès, un syndicat monte au front chez Casino : la CFDT Loire. Le 19 mars dernier par exemple, elle a diffusé une tribune assez véhémente intitulée Casino : Non à la mort programmée. « La marque Casino est vouée à disparaître, y explique le secrétaire général CFDT services Loire/Haute-Loire Guillaume Touminet, dans le quotidien régional Le Progrès. Nous craignons que Saint-Etienne revive Manufrance où, jusqu’au dernier jour, on disait que tout va bien. On connaît la suite. » Le soir même, sur une chaîne de télé locale, une déléguée syndicale CFDT de Casino, Estelle Silbermann, enfonce le clou : « Les salariés du groupe Casino sont très angoissés [ndlr : par les ventes de locaux prévues par le groupe pour se désendetter]. Quels magasins seront concernés ? A priori, ce serait surtout des hypermarchés accusant des baisses de chiffre d’affaires. Et 20 hypermarchés, ce sont 2000 emplois directs ! Et combien d’indirects ? » Dans les deux cas, les approximations des représentants CFDT contribuent elles aussi à alimenter ce climat d’anxiété évident chez les salariés du groupe.

 

Car ces deux affirmations sont quelque peu erronées. L’histoire de Manufrance est très différente, et dans le cas des cessions des points de vente, la direction a d’ores et déjà assuré qu’il n’y aurait pas de licenciements. Le lendemain de cette double attaque interne, le DRH de Casino, Jean-Claude Delmas, a logiquement réagi : « Je trouve le document scandaleux et accusateur. C’est une démarche malveillante en direction de Casino et de ses collaborateurs. Si certains actifs sont cédés, dont quelques hypermarchés et supermarchés qui étaient durablement déficitaires, sans qu’il y ait de plan social, c’est pour répondre a? l’amélioration de la dette et pour pouvoir investir dans d’autres activités stratégiques. » Voilà pour le climat actuel, alors que, le jeudi 14 mars dernier, le groupe venait de publier ses (bons) résultats pour 2018. A qui cette agitation médiatique peut-elle bien profiter ? Peut-être à Carrefour, car la CFDT Casino semble très proche de la CFDT… Carrefour.

 

Mais chez Casino, la vie syndicale ne se limite pas à la CFDT. Loin de là, même. Le syndicat majoritaire du groupe, SNTA-FO (Syndicat national des travailleurs de l’alimentation-Force ouvrière), ne comprend pas. Sa délégué générale, Laurence Gilardo, pose d’ailleurs les questions qui fâchent : « Quels intérêts peut-on défendre en provoquant volontairement l’angoisse des salariés du groupe ? » La syndicaliste renchérit : « Les syndicats ont également une grande responsabilité vis-à-vis de leurs collègues, celle de ne pas déployer de fausses informations ou de fausses rumeurs à caractère anxiogène et chacun doit veiller à ce que les déclarations reflètent la réalité. »

 

La présence d’un élu de Carrefour à une réunion syndicale CFDT de Casino pose question

 

La réalité, c’est que la porosité entre syndicats Carrefour et Casino est désormais un secret de Polichinelle sur la place de Saint-Etienne. Le 13 mars, à la veille de la publication des résultats 2018, CFE-CGC Casino a lancé une pétition au sujet du statut de certaines catégories d’employés, pétition immédiatement relayée par… la CFE-CGC de Carrefour. Puis vendredi dernier, Guillaume Touminet de la CFDT Casino s’est rendu à la négociation sur le projet d’accord pré-électoral en compagnie de Thierry Duchez, délégué central… de CFDT Carrefour Market, trésorier du comité d’entreprise Carrefour Market et du CCE Carrefour. Cherchez l’erreur. Un observateur stéphanois estime « qu’une scission interne à la CFDT Casino est en cours, avec une tentative de mainmise par la fédération CFDT Carrefour ». Une façon finalement assez diplomate de pointer du doigt l’ingérence de Carrefour dans les affaires internes de Casino. Suite au prochain épisode ?