Cet article montre les façons par lesquelles le féminisme radical a été et continue à être ouvert aux personnes trans. Les féministes radicales de renom, des groupes, et des événements incluant les personnes trans sont examinés et contrastés contre le récit populaire dans les media selon lequel le féminisme radical a un problème avec les personnes trans. Des exemples historiques dans lesquels des féministes radicales ont bravé la violence pour assurer l’ouverture de leur féminisme aux personnes trans seront également analysés.

Dans cet article, je vais passer en revue quelques unes des façons par lesquelles l’inclusion et le soutien des personnes trans de la part de féministes radicales ont été mis à l’écart du discours trans et féministe, créant ainsi l’impression que le féminisme radical n’est pas solidaire des personnes trans. John Stoltenberg, un auteur féministe radical et compagnon de longue date de la pionnière radicale Andrea Dworkin, a écrit (communication personnelle, 13 février 2015) : « l’idée qu’un féminisme radical vraiment révolutionnaire inclut les personnes trans va de soi. Honnêtement, je ne comprends pas comment ou pourquoi un courant du féminisme radical puisse préférer une théorie de la caste de sexe, basée sur la biologie et essentialiste du sexe, à la théorie de la classe de sexe, définie par [Monique] Wittig, [Andrea] Dworkin et [Catharine] MacKinnon. Est-ce qu’on pourrait « se réapproprier » le féminisme radical pour que son ouverture aux personnes trans – qui lui est inhérente – puisse être rendue visible ? Je l’espère. » Dans cet article, je souhaite développer cet espoir.

Dans ce but, je vais utiliser le terme féministe féministe radicale excluant les personnes trans (TERF) pour distinguer la théorie basée sur la biologie et sexe-essentialiste que Stoltenberg avait identifié comme étant différente de l’analyse de leaders féministes radicales. En 2008, une communauté féministe d’internet a popularisé le terme TERF pour faire la distinction entre ces deux types de féminisme. Bien que cette distinction lexicale soit utile, les cyber-activistes TERF considèrent parfois que ce terme est une insulte, vu que certainEs internautes l’ont utilisé de façon péjorative. [NdlT : depuis, ce terme est devenu un anathème. Nous utilisons à titre personnel le terme « gender critical » que ces personnes semblent privilégier.] Ces conflits en ligne mis à part, j’utilise ce terme dans son sens originel, comme le définit la féministe cisgenre Viv Smythe (Williams, 2014a) : « Ce n’était pas pensé comme étant insultant. C’était pensé comme un terme délibérément technique et neutre, pour décrire un groupe d’activistes. Nous recherchions un terme pour distinguer les TERFs des autres RadFems [féministes radicales, NdlT] avec lesquelles nous travaillions, et qui étaient favorables ou neutre envers l’inclusion des personnes trans, parce que nous avons un historique de collaborations productives avec des RadFems non-TERF. »

Oubliant cette distinction, beaucoup a été écrit sur les différentes façons selon lesquelles le « féminisme radical » est critique de l’expérience trans. C’est un lieu commun de voir dans des media populaires que des « féministes radicales » s’opposent aux personnes trans. Le Globe and Mail a par exemple affirmé que (Wente, 2014), « En fait, la bataille la plus dure dans le mouvement LGBT actuel se déroule entre les féministes radicales et le mouvement transgenre. » Le New Yorker a rapporté (Goldberg, 2014) comment une conférence s’autoproclamant «Les RadFems ripostent » voulait « essayer d’expliquer pourquoi, à une époque où les droits transgenres vont croissant, les féministes radicales insistent sur le fait de considérer les femmes trans comme des hommes, qui ne devraient pas être autorisées à utiliser les espaces réservés aux femmes, comme les toilettes publiques ou les événements organisés exclusivement pour les femmes. » Le National Post a dit (Kay, 2014) que les féministes radicales et Paul McHugh [psychiatre considérant la transitude comme un trouble mental et étant contre l’accès aux transitions, page wiki ici, NdlT] sont sur la même longueur d’onde à propos des personnes trans : « Le changement de sexe complet est tout simplement impossible ; on peut soit devenir un ‘homme féminisé’ ou une ‘femme masculinisée.’ Ce qui correspond exactement à la pensée des féministes radicales. »

Ces représentations populaires du féminisme radical mettent sous le tapis sa longue et courageuse histoire d’inclusion des personnes trans. Ces narrations ne nous racontent pas que Dworkin a assuré que l’activisme légaliste profemmes était ouvert aux personnes trans. Au cours de ces récits de radfems vs personnes trans, nous avons également perdu de vue le fait que la musique du mouvement des femmes des années 70 était enregistrée par une femme ouvertement trans, parce qu’Olivia Records, le collectif musical de lesbiennes féministes radicales, était lui-même ouvert aux personnes trans, et nous ne savons pas non plus qu’Olivia Records a payé les soins médicaux lié à sa transition. Olivia Records, né du collectif lesbien féministe radical The Furies, était devenu une « maison de disques florissante, vendant des enregistrements et des performances lesbiennes radicales qui ont vite défini ‘la musique du mouvement des femmes. » (Morris 2015 : 290).

Quand on met en avant l’idée que l’activisme TERF recouvre le féminisme radical lui-même, il devient difficile de voir clairement le courage des femmes d’Olivia Records qui ont enduré des mois de menaces de boycott et de violences de la part d’activistes TERF qui demandaient que le collectif deviennent exclu aux personnes trans (Williams 2014b). Quand un groupe d’activistes TERF armées se montra à un concert d’Olivia Records, pour assassiner Sandy Stone, femme trans out et membre d’Olivia Records, il est important de noter que l’idéologie de ce groupe était différente du féminisme radical d’Olivia Records.

D’après Stone, les menaces de mort et de violences devinrent chose commune. « Nous recevions des lettres d’injures à mon sujet… les menaces de mort m’étaient destinées, mais il y avait aussi des menaces de violences pour le Collectif s’il ne se débarrassait pas de moi. » Olivia Records et Stone furent informées qu’un groupe de TERF nommées The Gorgons [Les Gorgones, NdlT] affirmaient qu’elles tueraient Stone si Olivia Records faisait passer leur tournée à Seattle. Stone dit que la tournée d’Olivia Records fut « probablement la seule tournée de musique de femmes faite avec autant de sécurité musclée. » Accomplissant leurs menaces, des Gorgones armées vinrent au concert, mais furent désarmées par la sécurité d’Olivia Records. Stone raconte que, « effectivement, les Gorgones sont bien venues, et leurs flingues leur ont été retirés. J’étais terrifiée. Pendant une pause entre des groupes quelqu’un hurla « LES GORGONES ! » et je me suis ruée de mon siège à sous la console à la vitesse de la lumière. Je suis restée là dessous jusqu’à temps qu’il soit clair qu’on n’allait pas me tirer dessus » (Williams 2014b).

De la même façon, nous devons reconnaître qu’il y avait une différence idéologique entre le féminisme radical promu par le plus grand rassemblement lesbien à ce jour (Stryker 2008:104) – la Conférence Lesbienne de la côte Ouest de 1973 (WCLC) – et celui d’un groupe d’activistes TERF qui voulut s’introduire sur l’estrade et frapper les femmes trans visibles ainsi que la co-organisatrice Beth Elliot. Quand les féministes radicales de la WCLC se mirent sur le chemin de ces violentes activistes TERF – protégeant ainsi physiquement une femme trans de la WCLC – et que ces TERFS s’en prirent à la place à ces femmes courageuses, les frappant, qu’est-ce que cela nous dit sur le fondement historique du mouvement TERF contemporain qui se représente constamment dans les media comme le féminisme radical ? Robin Tyler, une des premières productrices de musique de femme et féministe radicale, fut une de celles qui protégea Elliot de l’agression. « Nous avons défendu Beth Elliot. Robin Morgan arriva avec ce discours atroce et quand Beth monta sur scène pour jouer de la guitare et chanter, [des TERFs] commencèrent à la menacer. Patty [Harrison] et moi montèrent sur scène et reçurent des coups, car elles étaient montées sur scène pour la frapper » (Williams 2014c).

La dissimulation de l’ouverture aux personnes trans du féminisme radical devint apparente quand l’activiste TERF Sheila Jeffrey prit la parole lors de la Andrea Dworkin Commemorative Conference. Tout en créditant Dworkin comme sa source d’inspiration et parla en long et en large du livre pionnier de Dworkin, Woman hating [non traduit, NdlT], elle dénigra aussi le corps des femmes trans et affirma que les soins médicaux trans étaient inutiles. Durant toute sa présentation, Jeffreys ne fit jamais remarquer que – dans le livre même que Jeffreys citait comme son inspiration pour son activisme – Dworkin prenait la défense de l’accès libre et gratuit aux parcours de transition pour les personnes trans, ou que Dworkin voyait les recherches sur l’identité de genre comme subversives envers le patriarcat. Dworkin a écrit (1974 : 175), « Travailler avec des transsexuel-les, et sur les études de la formation de l’identité de genre chez l’enfant donne des informations de base qui remettent en question le fait qu’il y ait deux sexes biologiques distincts. Cette information menace de transformer la biologie de la différence des sexes en une biologie radicale de la similarité des sexes. » Elle continua pour ensuite écrire que « chaque transsexuel-le a droit a une opération de changement de sexe, et elle devrait être prise en charge par la communauté comme une de ses fonctions » (186).

Lorsqu’elle fut confrontée à l’essentialisme de sexe des activistes TERF, la féministe radicale pionnière Catharine MacKinnon écrivit (William 2015), « Une société dominée par les hommes a défini la femme comme un groupe biologique éternellement distinct de celui des hommes. Si cela devait nous libérer, nous serions libres… Pour moi, les femmes sont un groupe politique. Je n’ai jamais eu l’occasion de dire cela, ou de travailler là dessus, jusqu’à ce que, ces dernières années, beaucoup de discussions émergent pour savoir si les femmes trans sont des femmes.. » Plus encore, MacKinnon dit (On Century Avenue, 2015), « J’ai toujours pensé que je ne m’intéressais pas à comment quelqu’un-e devient un homme ou une femme ; ça ne me pose pas de problème. Ça fait tout simplement partie de leur spécificité, de leur unicité, comme pour tout un chacun. Quiconque s’identifie comme une femme, veut être une femme, vit comme une femme, est en ce qui me concerne une femme. » Stoltenberg fit écho à MacKinnon, en disant que « sans regard aux opinions politiques des personnes trans, leur existence est une menace au conservatisme de l’essentialisme du sexe et à un large éventail de fondamentalistes du sexe-genre. Et dans ce combat-là, je crois qu’actuellement les personnes trans sont au front » (comm. pers, 14 mars 2015).

Dans mon opinion, quelque chose d’intrinsèque au féminisme radical est perdu quand nous caractérisons le ‘féminisme radical’ comme étant bloqué dans une bataille acerbe contre les personnes trans. De telles assertions cachent une histoire exceptionnellement courageuse d’inclusion radicale des personnes trans. De plus, faire correspondre l’idéologie TERF et le féminisme radical efface les voix de nombreuses féministes radicales majeures. Pire encore, quand nous échouons à remarquer les voix des féministes radicales qui ont soutenu les personnes trans, nous affaiblissons ce même féminisme qui a bravé la violence et la possibilité de la mort pour s’assurer que toutes les femmes – même les femmes trans – soient incluses dans leur lutte pour la libération des femmes.

Je souhaiterai exprimer ici ma profonde gratitude aux historien-nes transgenres qui ont inspiré mon intérêt pour les recherches en histoire trans : Leslie Feinberg et Susan Stryker. Aussi, je veux remercier K. J. Rawson pour son dévouement à la conservation de l’histoire trans. Enfin, je veux remercier ceux qui ont aidé à mettre en place le Houston Transgender Archive : Alexis Melvin, Monyque Starr, Koomah, Bethany Townsend, Daniel Williams, Carolyn Bosma, Robin Mack, et d’innombrables volontaires du Trans Center.

Les sources (en anglais) sont disponibles ici.

Source : https://transgrrrls.wordpress.com/2019/02/23/inclusion-radicale/