Avant-propos

Ce texte est à prendre comme un aveu de pratiques et de ressentis avant tout. Des pratiques et des ressentis qui ont pour but de faire réfléchir surtout les garçons qui ont majoriatirement des pratiques hétérosexuelles, ou disons, des attirances hétérosexuelles… Désolé si tu lis ici bas une tonne de poncifs ou de banalités, disons que j’ai eu l’impression qu’écrire ça pourrait nous faire avancer (notamment « nous, les hommes »), en tout cas moi ça me permet d’avancer je crois… (C’est le fruit de deux « jets » avant de me coucher, deux nuits d’affilée, voilà – mon gode bras, quelle horrible métaphore !).

L’omniprésence du fantasme

A chaque fois que je me masturbe, je pense, j’imagine…

Je pense à une ou des personnes, que je connais ou non, des fois ce sont des personnages que j’invente. Je construis des scénarios sexuels, souvent sans queue ni tête (enfin, on se comprend, hein), et mon plaisir navigue au gré de situations changeantes, que mon cerveau lance sans que je ne contrôle complètement tout ça. Bien sûr, mon plaisir dépend aussi et surtout de ce que je fais avec mon corps, mais ce qui m’interroge maintenant c’est comment mon plaisir est lié à mon imaginaire…

Mon plaisir sexuel dans la masturbation reste assez « cérébral », jusqu’à l’orgasme : jamais (ou quasiment jamais… sauf les éjaculations nocturnes dont mon corps semble plus ou moins coutumier, et encore, je me souviens généralement de rêves auxquels elles peuvent être liées) je n’arrive jusqu’à l’orgasme sans penser à rien (je m’aperçois assez nettement que lors de pratiques sexuelles partagées, mon imaginaire est également partagé donc je ne pense généralement à rien d’autre qu’à l’acte physique partagé).

Pourtant, le désir, l’envie de me donner du plaisir sexuel, naît souvent dans mon corps, semblant n’avoir aucune origine rationnelle ni « objet », mon désir n’a au départ rien de pensé ni de cérébral. J’ai quelquefois des envies brusques, soudaines, qui ne paraissent sorties de nulle part ailleurs que de mon bas-ventre… Des envies qui semblent surgir sauvagement mais qui ne sont jamais assouvies de façon brute et simplement mécanique puisque toujours dans ces moments là je me mets à penser et à l’élaborer, et bizarrement : sans même y penser, justement. Des images, des situations, traversent mon esprit, « c’est comme ça », on ne peut pas dire que ce soit très créatif vu que je n’ai a priori aucun contrôle dessus.

Bien sûr, au fil des années, j’essaie de doucement travailler là-dessus, d’améliorer mes fantasmes, de les rendre plus efficaces, d’en construire de nouveaux, de les adapter à ce que j’aime(rais) dans la vie. J’essaie de ne pas bloquer sur certains fantasmes…

Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais j’ai remarqué que des personnes pouvaient être souvent présentes dans mes fantasmes. Et ces personnes peuvent être celles avec qui j’ai déjà (eu) des rapports sexuels plus ou moins régulièrement. Cela me questionne pas mal, de m’apercevoir que des personnes que je connais relativement bien sont à ce point présentes dans mon monde fantasmatique (souvent d’ailleurs dans des situations pas étonnantes du tout puisque déjà vécues). J’aurais des fantasmes conservateurs ? sécurisants ? ou je ne sais pas quoi ? Moi qui me faisais l’image du fantasme d’un truc complètement décalé avec la réalité, etc. Concrètement, ça dépend des fois.

En re-lisant

Ça rend sourd-e

#2, ça saute aux yeux : la masturbation masculine est quasi constamment liée aux fantasmes. La première fois que j’avais lu ces textes de garçons, ça ne m’avait pas étonné. Ce qui m’avait étonné, ça avait été de lire quelques textes de filles qui disaient souvent ne penser à rien pendant qu’elles se masturbaient (même si le fait de fantasmer sur des personnes semble aussi une pratique courante chez les filles, de ce que j’en ai discuté avec certaines). Ça m’étonnait parce que ça me semblait tellement loin de mes pratiques à moi. Et ça m’étonnait malgré la conscience relative que je pouvais avoir de la séparation en genres au sein de la société patriarcale dans laquelle on évolue. Je me disais « quand même, c’est fou ». Je ne portais aucun jugement moral sur ce fait, je ne comprenais pas, c’est tout. Aujourd’hui, je ne comprends plus rien. Je ne comprends pas pourquoi cette omniprésence du fantasme chez moi (et les garçons en général, ou les garçons et les filles en général), je ne comprends pas comment on peut arriver jusqu’à l’orgasme en ne pensant à rien tellement je trouve fort et beau d’imaginer des moments forts et beaux et de les vivre un peu tout seul en se masturbant. En même temps… yaka. J’ai qu’à essayer. J’ai jamais vraiment essayé. Vous allez me dire « qu’est-ce que t’attends ? ». Bein ouais, qu’est-ce que j’attends ? Rien de spécial. C’est que concrètement, je ne le vis pas mal d’avoir des fantasmes plein la tête (mais en cherchant bien, on expliquerait peut-être des rapports à la vie quotidienne qui ne sont pas très chouettes, à cause de l’entretien permanent plaisir sexuel solitaire / fantasmes. Je ne sais pas).

En parlant de la masturbation sans fantasmes, j’imagine que ça doit aider à bien connaître son corps de ne penser qu’à soi et son corps pendant qu’on se masturbe. L’idée qu’on se fait de la pauvreté de la masturbation masculine est peut-être liée au fait que les garçons passent plus de temps à se préoccuper, même spontanément, de leurs fantasmes, que de leur corps. Je ne sais pas.

Je suis par contre convaincu d’une chose : la masturbation, et toutes les formes de sexualité, sont effectuées en fonction de ce que nous sommes, de qui nous sommes, nous les façonnons comme elles nous façonnent en retour. C’est un peu comme un rapport entre théorie et pratique, ce que nous pensons est lié à ce que nous faisons, et ce que nous faisons est lié à ce que nous pensons. L’échange est permanent. Et bien sûr, le tout est dépendant d’une pression sociale tout autant permanente. D’ailleurs, le monde dans lequel je vis me façonne beaucoup plus que je ne le façonne, moi, tout seul…

Quoi qu’il en soit, si on cherche à en finir avec les genres féminin et masculin, il ne peut être qu’intéressant de dé-catégoriser les pratiques… Le clivage masculin / féminin justifie les comportements genrés dans la sexualité (et ailleurs), semer le trouble dans ces comportements c’est par exemple pour les garçons adopter des comportements dits féminins. Ou mieux, créer des comportements qui sortent des normes masculines sans pour autant tomber dans « le féminin ». Créer de nouveaux rapports sociaux est complexe et nécessite des complicités, de la collectivité, mais quoi de plus enthousiasmant pour des révolutionnaires, hmmm ?

Nos fantasmes sont intimement liés à nos désirs. Il s’y cache des aspects de nous que nous ne dévoilons pas ou peu (aux autres, mais mêmes à nous-mêmes, des fois – et ne comptez pas sur moi pour tomber dans la psychanalyse !). Moins il y a d’hétéronormalité dans nos fantasmes (et dans nos désirs plus « terre-à-terre »), plus il y a de place pour la construction de sexualités libérées des rapports de domination qu’implique l’hétérosexualité en tant que système d’oppression (lisez Monique Wittig !). Sortir de l’hétérosexualité ne signifie pas forcément abandonner tout rapport sexuel avec des personnes du sexe / genre opposé. Cela signifie encore moins « se forcer » à avoir des rapports sexuels avec des personnes du même sexe / genre. Mais cela signifie semer le trouble et par exemple sortir du clivage « actif / passif », sortir des rôles dits « masculin » et « féminin », dans nos vies et dans nos imaginaires (et en attendant de réussir à les abolir complètement, puisque nous ne réussissons pas tellement à trouver « autre chose », nous pouvons au moins rendre plus égalitaires nos rapports sexuels, par exemple dans les prises d’initiative, les pratiques sexuelles, etc. – et ce, y compris dans l’imaginaire de la masturbation, bien sûr). Et peut-être qu’un jour nous ne choisirons pas plus nos partenaires sexuels en fonction de leur sexe (masculin ou féminin ?) qu’en fonction de la forme de leurs orteils ou de la taille de leur nombril… Va savoir. On n’en est encore très loin mais quelque part c’est le but, non ?

L’omniprésence de la frustration

Sous ses airs porno-trash et compagnie, notre clinquante société spectaculaire-marchande (lisez Guy et Raoul) est bourrée d’interdits et entretient avec délectation tout un tas de frustrations plus ou moins généralisées (souvent très genrées, elles aussi), qui ont bien sûr trait à l’insatisfaction elle aussi généralisée de nos désirs sexuels.

Ces frustrations (dont le couple hétérosexuel est la plaque tournante) ont besoin d’être soulagées. Ce soulagement, comme tout ou presque, s’achète. En particulier si t’es censé avoir un zizi. Si t’es un monsieur, tu peux t’acheter du soulagement de frustration. Il existe pour toi une variété de matériel préfabriqué qui t’aidera à fantasmer et orienter ton excitation : l’érotisme et la pornographie est un immense marché (magazines, vidéos, télé, internet, etc.). Pas besoin de beaucoup se pencher sur la question pour constater la pauvreté des solutions / soulagements proposés. Comme toutes les solutions spectaculaires, comme le reste de la production artistico-culturelle, le but est de soulager des problèmes, pas de les solutionner. Les rapports sociaux merdiques que nous vivons sont préservés et rendus tout juste plus supportables pour une partie de ceux qui les vivent : les hommes. Nous, les hommes, « bénéficions » de ce marché, puisqu’il nous est destiné. Et face au succès rencontré par la pornographie hétérosexiste dans son ensemble, force est de constater que cela répond désormais à une attente (évidemment entretenue à coups de matraquage publicitaire) bien ancrée dans les frustrations sexuelles masculines. Et tout cela se place dans une continuité d’un rapport entre hommes et femmes où les femmes sont à consommer sexuellement, depuis le couple hétérosexuel marié jusqu’à la prostitution « illégale ».

Le marché de la pornographie vit de la misère sexuelle de

tous

. De tous, pas de toutes. Pour le moment, les « toutes » ne font que subir la misère sexuelle des « tous ». Et ça doit pas être rigolo tous les jours… Et si ça change un jour, ça risque de ne pas se faire dans l’épanouissement des un-e-s et des autres, mais plutôt dans un nivellement par le bas où

toutes

et

tous

pourront s’acheter du soulagement de misère sexuelle. Encore une fois, on n’en est pas encore là, et comme toujours c’est la (relative) richesse financière qui compensera, les frustrations resteront tout autant existantes que le marché du sexe.

Et si je répète que la production pornographique est produite par des hommes pour des hommes, avec l’exploitation sexuelle des femmes, est-ce un jugement moral ou une réalité sociale ? Pour moi, il s’agit de rappeler que c’est une réalité sociale, et que cette réalité ne s’effacera pas à coups d’interdiction ni de répression.

Sortir la pornographie des hétéronormes, sortir la pornographie du marché, ça peut mener vers des expérimentations créatives, va savoir. Et ça se fait déjà, un peu.

Sortir des rapports de consommation, sortir du clivage « artiste /spectateur-spectatrice », ça peut mener vers des rapports directement vécus, hors de la représentation qui fait que nous ne réussissons pas à avoir un pouvoir de choix sur nos sexualités. C’est pas évident, c’est pas vraiment une solution de facilité, mais ça se vit.

Le dépassement de la frustration, il ne peut avoir lieu que dans la simultanéité de l’écrasement des frustrations et la création et mise en pratique de nouveaux désirs.

L’omniprésence de l’interdit (ou de la contradiction ?)

Nos fantasmes vont bien souvent plus loin que nos désirs conscients, ils restent placés dans le domaine de l’imaginaire alors que nos désirs conscients peuvent être vus comme des « ambitions » concrètes. Mais peut-on séparer clairement nos fantasmes de nos désirs « concrets » ou même de nos pratiques sexuelles ? Je ne le pense pas.

Nos pratiques sexuelles sont intimement liées à notre production de fantasmes (et inversement, à mon avis).

– Pendant quelques années, j’ai eu une relation avec une personne de sexe féminin. Nous n’avons jamais eu de rapports de pénétration. Nous l’avions convenu ensemble. A ce niveau là, tout était clair.

Lors de nos relations sexuelles, nous avions tou-te-s deux au moins un orgasme par rapport (on avait beau se dire que ce n’était pas « l’objectif », ça se passait comme ça).

Un jour, ça faisait déjà quelques années que nous faisions des choses sexuelles ensemble, lors d’une discussion sur la sexualité et notre sexualité, elle me dit qu’elle envisage un jour d’avoir de nouveau des rapports de pénétration (sans préciser avec qui, juste comme ça). Je n’en avais jusque là pas eu envie, il faut croire que la relation que nous avions me « convenait » suffisamment. Et puis, dans un souci de pro-féminisme ou d’antisexisme ou de ce qu’on voudra bien, je crois que j’écoutais plus ses désirs que les miens (je ne dis pas que je n’écoutais pas mes désirs, hein).

Après avoir entendu ce désir chez elle ce jour là (même s’il ne m’était pas forcément destiné, ce désir), des fantasmes de relations de pénétration sexuelle avec elle sont apparus dans mon imaginaire, pendant certaines de mes toujours jouissives séances de masturbation solitaire.

Quelque part, c’est un mélange de « possible » et d’« interdit » qui a fait naître chez moi ce/s fantasme/s.

Cela n’a eu aucune conséquence dans notre sexualité commune (enfin je crois). Nous n’avons eu finalement aucun rapport de pénétration vagin/pénis ou anus/pénis. Peut-être que ça aurait pu être chouette. Mais c’était chouette sans aussi. Il n’y a jamais eu aucun dérapage, ce fantasme est resté de l’ordre de l’interdit et de l’imaginaire sans que je ne me sente frustré à ce niveau là.

– Les fantasmes qui sont les miens quand je me masturbe n’ont parfois aucun lien avec la réalité physique de ma sexualité, et parfois si, je l’ai dit tout à l’heure. Parfois, je m’imagine dans des situations vécues et « bien vécues » (dans le sens « c’était agréable »). Parfois, je m’imagine dans des situations qui sont tout bonnement impossibles à réaliser du fait de la non-existence des protagonistes ou de l’incongruité extrême de la situation… Je peux aussi m’imaginer dans des types de rapports sexuels qui ne me paraîtraient pas envisageables réellement, ou carrément, qui me déplairaient s’ils étaient mis en pratique. Et cela m’interpelle particulièrement.

Je ne vais pas m’étendre sur des exemples, le précédent pourrait illustrer ce que je vais dire là, et il y a une centaine d’autres exemples potentiels. Au final, je vis certainement la masturbation comme un exutoire physique et comme un exutoire mental, un exutoire de l’intellect qui est lié à mes désirs. Si là, au fond de mon cerveau, j’ai le fantasme de telle pratique (que je n’assume pas vraiment – ou carrément pas), je préfère en jouir plutôt que de le refouler constamment. On ne choisit pas ses fantasmes (en tout cas pas dans un premier temps), et c’est se mentir à soi-même que d’essayer à tout prix de les refouler.

Nous ne sommes pas « responsables » de l’arrivée impromptue de nouveaux fantasmes.

Le revers de ce discours, c’est bien sûr la posture foireuse qui serait de se complaire dans des fantasmes contraires à nos envies réfléchies, à nos « désirs conscients » (j’aime bien cette idée de désir conscient je crois).

Autrement dit, si j’ai en tête tel fantasme qui me place en position de dominant par rapport à une personne qui m’attire sexuellement, je préfère me l’« avouer » plutôt que de me le cacher (il finirait de toute façon par ressurgir). Mais au-delà de la prise de conscience du fantasme, il y a le « travail » qu’on peut faire autour, pour le dépasser, le déconstruire, le modifier, le rendre plus épanouissant. Ce « travail » n’en est pas un. Cette activité est plaisante, elle permet de se sentir progressivement plus en accord avec soi-même.

– Je suis gêné à l’idée d’avoir des relations de pénétration vaginale ou anale dans la mesure où ces pratiques ne seraient pas réciproques. Je vous rappelle que moi aussi j’ai un anus. Si mon pénis pénétrait un anus (ou se faisait enveloppé par un anus, si vous préférez), je me sentirais quelque part potentiellement mal à l’aise. Je resterais typiquement dans le rôle masculin, mon anus à moi restant fermé à toute intrusion… Ça vous paraît peut-être un peu caricatural comme analyse, mais je pense que la domination hétérosexuelle repose en grande partie sur ce type de déséquilibres et sur les représentations qui en découlent.

Bref, ce que je veux dire ici, c’est que je me masturbe parfois en pensant à des situations où je pratique la sodomie de façon dite « active », jamais de façon dite « passive » (pour celles et ceux qui n’auraient pas compris, je m’imagine pénétrant mais jamais pénétré). Entre ces fantasmes et mes désirs concrets, il n’y a que la barrière de la conscience pour les délimiter. Sinon, ils seraient identiques. Il y a de l’interdit là-dessous, n’est-ce pas ?

Alors quoi ?

-* « Réussir » à prendre du plaisir en me mettant déjà un bout de doigt dans le cul, et plus si affinités, oui, bah oui. Mais j’ai envie d’avoir envie, pas de me forcer.
-* Pratiquer la sodomie uniquement de façon active avec une/des personne/s qui y prennent du plaisir, en ayant conscience du déséquilibre que ça peut créer…
-* Ne pas pratiquer la sodomie en vrai. C’est déjà le cas, merci.

Bon, c’est pas gagné, vous l’aurez compris. Mais la situation est loin d’être invivable. Je trouve des solutions, doucement, je prends plaisir à vivre en accord avec mes idées et mes ressentis politiques. Ça me déprimerait de prendre du plaisir sexuel en ayant la sensation d’entretenir un rapport de domination. Alors je mise sur la douceur, l’échange, le formalisme dans les pratiques sexuelles à plus d’une personne… Et pour la masturbation, j’essaie de multiplier les représentations sexuelles dans mes fantasmes (pour ne pas bloquer sur certaines pratiques).

– Autre exemple lié à la fois à l’interdit dans ma sexualité partagée et au fantasme dans ma vie sexuelle solitaire, la question de la fellation et du cunnilingus. D’abord, j’ai bien conscience que mettre sur le même plan ces deux pratiques est biaisé, mais c’est pour ça que j’en parle, allez c’est parti. La pratique du cunnilingus est quelquefois très efficace pour faire jouir une femme. Heu, ça me fait bizarre d’écrire ça tout crûment comme ça mais bon, bref. Plus d’une fois, il est arrivé qu’au moment de l’orgasme, un peu avant et pendant, ma partenaire sexuelle saisisse ma tête à deux mains et maintienne fermement mon visage sur sa vulve. Dans ces moments, je ne me suis jamais senti offensé, abusé, violé ou quoi que ce soit. Pourtant, souvent, c’était purement « spontané ». Mais ma construction masculine fait que pour que je me sente agressé ou abusé dans un rapport sexuel avec une femme, il faudrait quelque chose de plus explicite encore au niveau de l’imposition d’une pratique (peut-être quelque chose qui me fasse mal physiquement…).

Par contre, la réciprocité de cette situation me paraît presque impossible à envisager (vu l’état des relations hommes-femmes dans la société,
cela paraît évident – l’omniprésence de l’éjaculation faciale dans la pornographie mainstream rend cette pratique porteuse d’un message de domination masculine inévitable). Une femme qui jouit en tenant mon visage sur son sexe, ça ne « nous » choque pas. Mais moi qui jouirais en tenant son visage sur mon sexe, ça « nous » choquerait. Alors tout cela reste à l’état de fantasme, de pratique que je n’ai jamais vécue et que je n’ai pas envie de vivre de façon « spontanée ». Lors d’une fellation, je me laisse faire, je ne dirige pas (ou peu, pour indiquer ce que j’aime ou non, mais mes mains ne saisissent rien lors de l’orgasme…).

Dans ma sexualité avec d’autres personnes, ma tête garde un contrôle sur le reste de mon corps beaucoup plus important que lorsque je me masturbe seul avec moi-même. Je reste attentif et je prends du plaisir en prenant soin de ne brusquer personne.

A la recherche du plaisir maudit

Dans la masturbation aussi je prends du plaisir à contrôler mes fantasmes et mon corps, à repousser l’orgasme à plus tard, à imaginer des situations que je trouve moins reloues ou plus épanouissantes pour y caler le moment de l’orgasme (ça ne fonctionne pas toujours, mais c’est un jeu amusant – et constructif je pense). Quoi qu’on en dise, l’orgasme (la sale éjaculation de son père) reste pour moi le moment optimal du plaisir, même si le plaisir ne s’arrête pas là (surtout dans le cadre d’un rapport sexuel partagé – y’en a marre de l’éjaculation comme moment ultime du plaisir partagé).

Ce qui me dérange le plus dans l’omniprésence des fantasmes au sein de mes pratiques masturbatoires, c’est que si je pense systématiquement à autre chose pendant l’acte, cela m’indique que l’acte ne se suffit pas en lui-même.

A priori, quand j’ai des rapports sexuels (et apparentés) avec une personne, je ne pense à rien d’autre… Comme si je vivais cela comme une pratique qui se suffit en elle-même, comme l’aboutissement d’une envie, ou un truc comme ça. La masturbation en solitaire resterait un simple palliatif à des désirs de sexualité à deux (ou plus) inassouvis ?

Peut-être aussi que c’est parce que dans ma vie la masturbation est plus présente que les rapports sexuels partagés (le côté précieux de ces rapports serait ainsi renforcé dans mon imaginaire). Si la masturbation était socialement plus prestigieuse que la sexualité à deux, si elle était plus « exceptionnelle », alors peut-être que mon rapport aux fantasmes serait complètement différent. Je dis « peut-être » mais c’est plutôt une évidence. Ce qui est moins évident, c’est comment mettre en pratique un basculement des valeurs…

Pour parler encore un peu de moi et des différentes formes de plaisir que je peux prendre dans la masturbation, quelques indices :

– Quand je me masturbe dans des lieux inattendus (ça m’arrive rarement, trop rarement à mon avis) je pense que mes fantasmes sont mentalement moins présents car je mets en pratique un fantasme, en quelque sorte (pareil que quand j’ai un rapport sexuel avec une ou d’autres personnes, en fait).
– L’orgasme avec éjaculation est très différent selon que je jouis avec mon sexe entre les mains ou non, selon que mes mains ou mon sexe sont badigeonné-e-s de produit lubrifiant ou non, selon ma position debout ou allongé ou autre, etc. Le moindre détail a son importance, en fait.
– Quand je partage un rapport sexuel ou apparenté avec une autre personne, si elle me titille, mordille, lèche, pince, caresse les tétons de mes seins tout plats, je touche presque à l’orgasme, vraiment. Mais si je m’amuse à ça tout seul, je n’arrive à rien.
– L’idée d’aller me masturber dans des lieux publics, plus ou moins en cachette, seul ou à plusieurs, me plaît pas mal. Les lieux religieux souillés par des orgasmes de visiteureuses athées, ça me fait rire rien que d’y penser. Ça te dit de faire ça avec moi ? Ou d’autres bêtises plus amusantes encore ?

Ecris-moi pour dire ce que tu penses de ce que tu viens de lire, pour me dire ta vie à toi, tes impressions, tes remarques, tes idées, tes critiques, tes envies, etc. Amuse-toi bien, j’essaierai d’en faire autant.

{Ecrit en mai 2004 (légèrement retouché en décembre de la même année),

kyi, un blanc bec de 25-30 ans ([!]le lien spip suivant n’a pas ete importe correctement dans oscailt: kyi at boum.org [!]).}

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Lire aussi, par exemple :

Ça rend sourd-e

#1 (recueil de textes sur la masturbation – Oulmes, Isangrin, 1999, 24p.)

Ça rend sourd-e

#2 (recueil de textes sur la masturbation, suite – Dijon, Isangrin, 2001, 60p.)

– Wittig (Monique) –

La pensée straight

(Paris, Balland)
– Debord (Guy) –

La Société du Spectacle

(Paris, Gallimard, coll. Folio)
– Preciado (Beatriz) –

Manifeste contra-sexuel

(Paris, Balland)
– Vaneigem (Raoul) –

Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations

(Paris, Gallimard, coll. Folio/Actuel)

Au-delà du personnel

(recueil de textes – Lyon, Atelier de Création Libertaire)