La présidence Macron a été marquée ces derniers mois par une multiplicité de lois bouleversant l’Education nationale vers un approfondissement des inégalités de classes à l’école : réforme du bac professionnel, introduction de la sélection dès la première année de fac, augmentation des frais d’université pour les étudiants extra-européens…

Revenons un peu plus en profondeur sur la fonction de l’école dans le capitalisme, et sur le système scolaire en France.

L’enseignement comme formation des travailleurs

Le rôle de l’enseignement dans le capitalisme est double : discipliner et former les futurs prolétaires aux compétences requises sur le marché du travail.

Ainsi, il y a une corrélation entre l’enseignement et le degré de technicité requise au travail. La formation gratuite du prolétariat dispensée par l’État fait partie du développement des forces productives : l’État organise et entretient un prolétariat compétent grâce à sa formation minimale, garantissant que les gains de productivités puissent avoir lieu dans le monde du travail, car le prolétariat formé peut s’adapter aux évolutions productives du travail.
Au même titre que faire les courses, préparer le repas, et se soigner, l’éducation et le financement de la formation de la future main d’œuvre fait partie de la reproduction de la force de travail. Nous avons besoin d’être « éduqués » pour être de bons prolétaires !

Bien qu’il puisse être plaisant de se rendre dans « les lieux du savoir » que sont les universités, leur existence n’est pas une œuvre d’humanisme pour le développement des connaissances mais bien une nécessité pour les capitalistes : « la recherche et développement » (RetD) couplée à la formation de personnels qualifiés.

La classe dans les classes

Le cas français fait figure d’exception dans les pays développés, car le cursus scolaire y est quasi-gratuit de la maternelle aux meilleures écoles de l’enseignement supérieur (écoles d’ingénieurs, ENS…). Les meilleurs lycées sont publics, les écoles du supérieur les plus prestigieuses ont des frais d’inscription autour de 600€, soit 10 fois moins cher que les écoles anglaises ou américaines. Le modèle français en termes d’éducation serait, par sa quasi-gratuité, un des plus accessibles et égalitaires des pays développés… Mais une question demeure, la gratuité de la formation universitaire peut-elle bouleverser les privilèges de classes ?
L’école contribue à la reproduction des rapports de classe dans le sens où à partir de la classe de seconde, celle-ci devient elle-même productrice des rapports de classes en triant les selon trois niveaux de formation, qui correspondent aux niveaux hiérarchiques du travail.

Lorsque les élèves terminent leur classe de 3e, les encadrants (personnels du collège et rectorats) les classent selon 3 niveaux différenciés de formation : classes générales qui correspondent aux « encadrement et classes intermédiaires », lycée technologique qui correspond « technicien supérieur », et en fin lycée pro, qui correspondent à « ouvrier ». Les adolescents issus des classes moyennes supérieures se dirigent globalement vers le lycée général, ceux des classes moins aisées vers le général et le techno, et les gosses d’ouvriers sont plus orientés plus souvent vers le bac pro. [1]

C’est ainsi qu’à 15 ans, l’avenir des élèves est joué, car leur accès aux différents types de lycée définira de manière officieuse leur accès à l’enseignement supérieur.

Bref, bien que les cursus de l’enseignement supérieurs soient quasi-gratuit, avec le nivellement à la fin de la 3e et les filières sélectives, seul un jeune sur deux profite de l’enseignement supérieur, et seulement 40% d’une génération en sortiront diplômés [2]. Tout le monde ne profite pas l’État providence !

Recomposition de classes sur l’accès au travail : derrière l’école, le marché

Si l’éducation nationale est chargée de former les futurs travailleurs, et que les prolos sont souvent exclus des formations longues, rien de nouveau sous le soleil, me direz-vous… Mais s’agit-il simplement d’un rapport historique du prolétariat de ne pas faire d’études ? Et bien pas que ! En effet il y a aussi le marché du travail et ses aléas en jeu. Je m’explique : lors du développement du chômage de masse depuis la crise, dans les années 1970-80, les jeunes non-diplômés ont absorbé une grande partie de ce chômage : leur taux de chômage est passé de 15% en 1978 à plus de 45% en 2012 ; l’allongement de la durée du travail avec les réformes des retraites (2010) a aussi participé à l’augmentation du chômage des jeunes [3]. Ainsi, la décomposition des acquis du mouvement ouvrier s’est redoublée, avec le chômage de masse par un une détérioration des conditions de vie d’une grande partie des enfants d’ouvriers.

La généralisation de l’enseignement supérieur et son investissement massif par les classes moyennes et supérieures, a redéfini un écart entre les classes dans le sens où les études supérieures sont le meilleur atout pour être compétitif sur le marché du travail. Un diplômé du supérieur a 4 fois plus de plus de chance d’être embauché qu’un non-diplômé.

Avec la crise et les baisse de moyens dans les écoles, le rôle de sélection sociale à l’école se renforce. Les élèves enfants d’ouvriers sont pris en étau entre une école dont les moyens sont en baisse et un marché du travail défavorable aux peu qualifiés.

Vers la fin de la mutualisation de la reproduction de la force de travail

L’enjeu actuel de la sélection à l’université a plusieurs buts : corriger une anomalie dans l’univers ultra-sélectif de l’éducation nationale et détruire les bastions de lutte des dernières années, l’austérité réduit alors drastiquement l’accès à l’enseignement supérieur public.
On assiste ici a la baisse du salaire indirect : l’État passe d’une semi-gratuité de la reproduction de la force de travail à sa privatisation et son individualisation, aux frais du prolétariat.

Luttons pour l’abolition des classes et de l’exploitation !

Notes

[1] Évidemment, un grand nombre de prolétaires à accès aussi aux filières sélectives et inversement quelques enfants de cadre vont en bac pro, mais globalement ceux-ci y sont sous-représentés par rapport à leur proportion dans la société.

[2] Car près de 10% de cette génération fait des études sans aller jusqu’au diplôme. On passe ainsi de 50% d’étudiants à 40% de diplômés.

[3https://twitter.com/JulienGossa/status/1038361906988429312