L’asile, l’inévitable procédure pour pouvoir rester sur le territoire français.

L’évolution du droit des étrangers – la complexification (plus de 80 titres de séjours différents) et la limitation des titres de séjours (des refus de plus en plus fréquents, des critères de plus en plus restrictifs) – rend la demande d’asile quasi-inévitable pour les exilé-e-s qui arrivent sur le territoire français. En effet pour de nombreux titres de séjour, les critères de sélection sont restrictifs (plusieurs années de présence sur le territoire, une entrée avec visa long séjour pour un motif spécifique, etc.) ; peu de personnes peuvent en faire la demande, et encore moins avoir une chance de l’obtenir.
La demande d’asile reste donc une des premières démarches effectuées car elle permet, le temps qu’elle soit traitée, d’avoir une présence « régulière » sur le territoire, d’avoir accès à de (faibles) revenus (l’Allocation des Demandeurs d’Asile – est d’environ 300 euros par mois pour les personnes sans hébergement) et de gagner du temps pour tenter de correspondre aux critères d’une nouvelle situation administrative (ex : être présent sur le territoire depuis plus d’un an pour pouvoir faire la demande d’un titre de séjour pour raison de maladie). C’est aussi l’espoir de se voir reconnaître le statut de réfugié, ou la protection subsidiaire, donc de pouvoir rester sur le territoire français, d’y travailler, et d’avoir accès aux droits sociaux minimum. Peu de personnes obtiendront un statut de protection (environ 36% des demandeurs-euses d’asile en 2017).

De la doctrine diplomatique de l’asile à la suspicion envers les migrant-e-s


Pour l’administration française, la machine de l’asile est là pour faire le tri entre les bons réfugiés et les mauvais migrants. Pour cela, un officier de protection, fonctionnaire de l’État, décide pour l’OFPRA si oui ou non la personne assise devant lui, qu’il voit entre 40 minutes pour la majorité des demandeurs d’asile (DA) et, dans certaines situations, plusieurs heures, entre dans les critères d’attribution de l’asile. Cet officier de protection s’appuie sur des doctrines construites par l’OFPRA qui détermine, pays par pays, quels sont les critères de reconnaissance de l’asile. Ces doctrines sont bien évidemment confidentielles, et évoluent selon les « flux migratoires » et les enjeux diplomatiques entre la France et ces pays. À l’issue de cet interrogatoire, un courrier de l’OFPRA annonce la réponse. La réponse négative est motivée par les mêmes arguments (quasi)systématiquement : M. X n’a pas su donner suffisamment de détails sur les conditions de son évasion. M Y ne donne pas de détails personnels concernant la manière dont il a découvert son homosexualité. Les réponses de Mme Z ne sont pas assez précises sur la vie quotidienne dans son village pour démontrer qu’elle vient bien de ce village… Le demandeur d’asile est forcément suspect, des questions sont là pour le piéger tout au long de l’entretien, et les motifs d’imprécision et d’incohérence sont le plus souvent évoqués pour refuser sa demande. La protection des personnes exilées est donc renvoyée à leur capacité à argumenter et à convaincre de la cohérence de leur parcours selon les critères qui font preuve aux yeux de l’administration française.

 

Le nouveau marché de la CNDA


Suite au refus de l’OFPRA, si la PADA accompagne correctement les demandeurs d’asile, ce-tte dernier-e fait appel à un-e avocat-e, souvent désigné par la CNDA, pour former un recours devant la CNDA située en région parisienne, tout comme l’OFPRA. Les avocat-e-s intervenant à la CNDA sont quasi exclusivement sur Paris et la prise en charge des transports pour leur client-e, qui permettrait une rencontre avant l’audience, n’est pas prévue. Ainsi, selon le zèle des avocat-es, le recours est bien souvent déposé sans qu’ils n’aient pu discuter de vive-voix avec leur client-e, voire parfois sans n’avoir jamais pu échanger d’aucune manière. En majorité, les demandeurs d’asile rencontrent donc pour la première fois leur avocat-e le jour de l’audience, entre deux affaires, parfois sans interprète présent lorsque la personne ne parle pas français. Le rendez-vous est donné à la CNDA. Ce bâtiment comprend une vingtaine de salles d’audience réparties sur deux étages, avec des couloirs et une grande salle d’attente, où des personnes venues de toute la France attendent l’heure de leur audience. Il est interdit de parler dans les couloirs, c’est donc dans la salle d’attente, au milieu des enfants qui jouent et d’une centaine de personnes qui attendent leur tour, que les avocat-e-s cherchent leurs client-e-s. La salle d’attente est organisée par rangées de bancs correspondant au numéro de la salle d’audience. L’avocat-e fait donc le tour des personnes assises sur les bancs pour trouver son ou sa client-e. Parfois ce-tte dernièr-e n’a pas compris qu’il fallait s’asseoir devant le numéro de sa salle d’audience, avocat-es et greffier-es poursuivent leurs recherches dans l’ensemble du bâtiment. Il existe une salle permettant des rencontres entre les avocat-e-s et leurs client-e-s mais, étonnement, elle n’est que rarement pleine – un certain nombre d’avocats préférant sûrement la position debout, dans la salle d’attente animée et bruyante, au milieu des autres demandeurs d’asile pour briefer leur client-es.
Le marché du recours devant la CNDA attire les avocat-e-s, et de nombreux cabinets se montent tout autour de cette cour administrative. Les plaidoiries se ressemblent d’une audience à l’autre. Des avocat-e-s effectuent un réel travail et cherchent à défendre le mieux possible leurs client-e-s, mais la plaidoirie se retrouve alors face à une loterie judiciaire déterminée par des objectifs statistiques et politiques. Lors de notre visite, des avocat-e-s nous confient même avoir des stratégies pour déplacer une audience selon les magistrat-e-s qui devront juger l’affaire (se faire porter malade, se cacher dans les toilettes, etc.) en espérant tomber sur un magistrat plus clément si l’audience est reportée.

La CNDA, un racisme d’État mal caché


Dans la plupart des salles d’audiences, le mépris des juges est palpable : rires de connivences, petites siestes digestives, questions humiliantes… Comme pour les autres institutions judiciaires, le traitement réservé aux personnes dépend notamment des origines sociales, et, spécifiquement dans cette cour administrative, les logiques exacerbées révèlent les empreintes racistes et post-coloniales. Fort de la toute puissance des savoirs occidentaux qu’il trouve sur google maps et les fiches de la DGSE, un juge fera, par exemple, remarquer qu’il n’y a pas de forêt là où le demandeur d’asile prétend s’être caché, sans chercher d’autres explications possibles, un autre rira avec condescendance après avoir demandé à quelle distance son village se trouve de la ville la plus proche, lorsque la personne lui répondra en jours de marche.
On tente de faire comme si l’obtention de ce précieux statut de réfugié était lié à une définition claire et une procédure efficace permettant d’identifier le vrai besoin de protection. Or on constate tous les jours l’absurdité de prouver qu’un demandeur-se est effectivement en danger. Passer une matinée à la CNDA permet d’éprouver toute la violence de cette institution.

L’asile, une construction politique au service du tri des populations


La construction médiatique et politique met en avant l’image du bon réfugié, celui qui fuit son pays et que la France doit protéger car il est menacé, et celle du mauvais migrant, dit « économique », celui qui vient profiter des richesses de la France alors qu’il n’est pas vraiment en danger. Cette distinction ne sert qu’à justifier le tri. La réalité est bien plus complexe. Dans de nombreuses situations, c’est un ensemble de motifs différents qui pousse la personne à quitter son pays.
La convention de Genève dit qu’un réfugié c’est une personne qui en cas de retour dans son pays, craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Le flou de cette définition ne permet pas de définir objectivement les conditions d’accès au statut de réfugié. Au dire même des personnels de l’OFPRA et de la CNDA, ce n’est pas le droit qui définit le statut, mais l’ « intime conviction ».
De plus, exit les réfugiés climatiques, économiques, etc. Risquer sa vie pour des raisons politiques mérite-t-il plus de protection que de risquer sa vie pour des questions matérielles et économiques ? Ce n’est pas juste les dysfonctionnements de la procédure d’asile qui sont problématiques, c’est l’enjeu même de vouloir définir des catégories de personnes qui sont en danger, ou non. Chaque personne devrait pouvoir circuler et s’installer où et quand elle le souhaite. Cependant la liberté de circulation n’est, bien sûr, pas la même selon l’endroit où l’on habite. Les politiques de délivrance de visas permettent de contenir les populations et d’empêcher les personnes d’arriver en Europe ou en Amérique du Nord. Par exemple, un Français a accès à 180 pays sans visas, alors qu’un Afghan seulement à 30 pays.

Gérer les « flux » grâce à la procédure de l’asile


Grâce à ce parcours administratif, les politiques migratoires de l’État, en s’appuyant sur les associations prestataires qui y collaborent, gèrent et répartissent les personnes exilées arrivant sur le territoire français. D’un côté, au niveau européen, avec les accords de Dublin III1 où les États se livrent entre eux à des négociations pour savoir où devront être déplacés les demandeurs d’asile2. De l’autre, au niveau national, où l’État déplace des demandeurs d’asile, parfois prévenu-e-s le jour même, d’un département à un autre. Ainsi les personnes se voient proposer un non-choix : refuser le lieu proposé, et alors vivre dehors dans une ville dans laquelle la personne a un réseau de solidarité, des connaissances qui pourront l’aider dans ses démarches mais sans aide financière, ou être hébergées mais isolées sans aide à la compréhension de tout ce qui se passe.
Le nombre de demandeurs d’asile à qui l’État fait une proposition d’hébergement étant dérisoire, la loi Collomb du 10 septembre 2018 exerce un nouveau moyen de pression en conditionnant l’allocation des demandeurs d’asile au fait de résider dans le département attribué. Cette logique de « gestion de flux » organisée déshumanise les demandeurs d’asile qui subissent les décisions politiques qui en font des pions déplacés sur les cartes administratives.

Et plus spécifiquement à Nantes


La préfecture de Nantes avait « dubliné » la demande d’asile de 220 personnes entre le 1er janvier et le 11 juillet 2018, quelques jours avant la première expulsion du camp de Daviais. Depuis, la cadence s’est fortement accélérée dans les bureaux de la préfecture puisqu’on compte 195 dublinages entre cette dernière date et le 27 août. Cela montre bien combien ces outils juridiques sont utiles pour la gestion politique des populations, au niveau international comme local.
À Nantes, FTDA ne fait ni l’accompagnement au récit de vie, ni de préparation à l’entretien OFPRA contrairement à ce que l’association avait annoncé afin d’obtenir le marché. Il est, notamment, demandé aux demandeurs d’asile de se présenter au rendez-vous avec FTDA avec un récit écrit en français et accompagné-e d’un interprète « compatriote francophone » . Les dysfonctionnements dont fait preuve FTDA depuis janvier 2018, dans la continuité de son prédécesseur, l’association Saint Benoît Labre, sont trop nombreux pour tenir dans ces quelques pages.

Et au GASProm


Face à la violence de cette procédure qui, de fait, conditionne la liberté de circulation et d’installation sur le territoire, il n’est même pas question de notre part d’en exiger la réforme. Nous nous opposons à toute logique de tri.
Néanmoins, face au dysfonctionnement organisé, le GASProm a fait le choix de travailler autour de l’accompagnement des personnes exilées dans leur procédure d’asile. S’opposant à la logique de tri qui s’opère derrière l’asile, nous souhaitons accompagner toutes personnes qui cherchent à faire entrer dans les normes de l’asile un récit proposé à l’OFPRA et à la CNDA. Ces rencontres ont pour but d’échanger sur les stratégies possibles, et donc de permettre à la personne de mieux comprendre les rouages de la machine administrative. Nous sommes bien sûr tout-e-s bénévoles et militant-e-s, et contraints par la limite du temps que nous pouvons y consacrer. Nous fonctionnons sur des bases d’auto-formation collective : l’équipe est aujourd’hui majoritairement constituée de Français-e-s et de quelques exilé-e-s qui sont passé-e-s par la demande d’asile. En parallèle des accompagnements individuels, nous cherchons à construire des accompagnements collectifs. Ainsi, les échanges que nous avons permettent de construire un savoir commun, et nous nous organisons pour mettre en place des temps de formation et de réflexion.
Aujourd’hui, nous accompagnons donc des demandeurs d’asile dans l’écriture de leur récit de vie. Cela devrait être fait par FTDA. Nous ne cherchons en aucun cas à coopérer ou remplacer le travail des administrations ou des associations conventionnées. Nous tentons de construire ensemble une connaissance de la procédure afin que les personnes concernées la subissent le moins possible. Nous luttons pour une liberté d’installation et de circulation, ce qui passe aussi par dénoncer et construire des rapports de forces afin de faire bouger les pratiques associatives et institutionnelles.
Concrètement, depuis maintenant six mois, nous réalisons des accompagnements individuels de préparation aux entretiens, des réunions collectives d’informations et d’échanges sur l’OFPRA et la CNDA. Nous avons organisé trois jours d’auto-formation sur Paris et avons assuré un peu de présence le matin devant FTDA pour proposer du café, du thé et échanger avec les demandeurs d’asile qui font la queue une partie de la nuit devant FTDA.

Si vous souhaitez nous rencontrer et en savoir plus sur les positions et les actions que l’on porte, n’hésitez pas à venir discuter avec nous lors de la « pause kawa » (le lundi et le vendredi de 15h30 à 19h) ou lors d’une permanence juridique (lundi 17h/19h – vendredi 18h/20h). Luttons ensemble contre les frontières et pour la libre circulation et installation de toutes et tous !

 

Petit glossaire pour accompagner la lecture de ce texte :


PADA : Plateforme d’Accueil des Demandeurs d’Asiles. Déléguée par le biais de marchés publics à des associations prestataires, ces structures sont censées accompagner les demandeurs d’asile dans l’ensemble de la procédure. À Nantes, c’est France Terre d’Asile qui a récupéré le marché fin 2017. Dans les faits, ils n’accompagnent pas grand-chose, et sont à bien des égards maltraitants.
FTDA : France Terre d’Asile est l’une des associations qui collaborent avec les politiques migratoires mortifères mises en place par l’État et l’Europe. Concrètement, elle gère des PADA, des structures d’hébergement et assure l’assistance juridique dans certains centres de rétention (pour les centres de rétention ils se partagent le marché à cinq associations). « Pour l’association, il s’agit d’aider toutes les personnes en situation de migrations de droit » (extrait de leur objet social). Les choses sont donc claires et entendues, pour FTDA, il y a les migrants légitimes… et les autres.
Demandeur/euse d’Asile : Ce terme décrit ici une situation administrative. Celle des personnes inscrites dans le parcours de la demande d’asile. À l’issue de la procédure, si la personne est acceptée, elle deviendra « réfugiée » ou bénéficiaire de la « protection subsidiaire », si elle n’est pas acceptée, elle sera « déboutée » du droit d’asile.
Exilé-e: Le terme d’exilé-e est un terme générique qui désigne une personne qui a quitté sa « patrie » volontairement ou non. Il met l’accent sur l’état psychologique, social et politique commun à la situation d’exil. Il ne désigne pas une situation administrative, donc peut recouvrir des réalités différentes comme celle de demandeur d’asile, de réfugié-e, ou encore de sans-papiers…
OFPRA : Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides. Dans les faits ce sont des fonctionnaires qui travaillent dans cette institution et qui décident d’accorder ou non l’asile.
CNDA : Cour Nationale du Droit d’Asile. C’est un tribunal devant lequel les demandeurs d’asile peuvent faire appel de la décision de rejet de l’OFPRA.