-Avec les Gilets Jaunes-

    Aux militant.e.s des luttes pour l’émancipation

***

Tout ce qui bouge n’est pas rouge fut ma première pensée à l’annonce d’un mouvement de Gilets Jaunes (GJ).

Comme d’autres mobilisé.e.s à l’occasion des appels de gauche, j’accordais cette fois-ci peu de crédit à ce début de mouvement « citoyen » dont l’emblème du gilet jaune suffisait à discréditer ce qui allait se produire.

La poursuite des actions des GJ les jours qui ont suivi la journée du 17 novembre a eu raison de mes présupposés initiaux.

Mes questionnements ont trouvé quelques éléments de réponse lors de rencontres réalisées aux cours de rendez-vous des GJ et de discussions avec quelques « camarades » de gauche sceptiques face à ce mouvement.

Les lignes suivantes exposeront quelques points aveugles de ces derniers depuis mes premiers pas parmi les Gilets jaunes.

 

#1 : Se mobiliser contre une taxe sur l’essence est un prétexte d’automobiliste individualiste 

Il m’est rapidement apparu comme une évidence qu’il était question de bien plus que cela. Parler de la goutte d’essence qui a fait déborder le plein de colère me paraît déjà plus proche de ce qui a motivé la mobilisation de militants improvisés.

Lors des rendez-vous des GJ durant lesquels des inconnu.e.s s’abordent pour parler de politique, certaines évidences semblent partagées : l’injustice fiscale, l’accaparement des richesses par quelques un.e.s, l’appauvrissement des classes populaires et la dénonciation d’une élite dirigeante coupée des réalités et besoins du peuple.

Des énoncés tel qu’ont pu en produire les nuits-deboutistes, eux-mêmes précédés d’invariants de gauche.

A quelque chose prêt que cette fois-ci, le discours et les actes prennent corps simultanément.

Une certaine lucidité s’empare de chacun.e.

On parle de ses fins de mois difficiles, de ces salaires qui garantissent à peine la survie. On n’y parle pas seulement de soi.

Il émerge pour certain.e.s un véritable sentiment d’appartenance à cette classe sacrifiée au nom de l’économie. La colère semble d’autant plus profonde que les années de sacrifices ne se comptent même plus. Sacrifices qui n’auront jusqu’à présent pas sorti le pays et encore moins le monde de ses misères.

Aussi une certaine radicalité dans la volonté d’agir s’affirme dès lors qu’il s’agit de ne plus simplement accepter le cours choses. Un sentiment partagé de ne plus rien avoir à perdre face à l’arrogance d’un pouvoir soude ces communautés de lutte ralliées sous un gilet jaune. L’objectivation des conditions de vie matérielle corrélée à la subjectivation d’une condition partagée de sacrifié-e-s par le pouvoir et pour l’économie constituent les prémices d’un combat par et pour une classe.

Retenons aussi de l’histoire que les épisodes révolutionnaires de 1789, 1917, en passant par le récent « Printemps arabe », ont en commun d’avoir eu pour facteurs déclencheurs des revendications liées à la subsistance et la contestation de la légitimité du pouvoir en place.

 

#2 : Où sont les gilets jaunes pendant que nous luttons habituellement ?

Si certain.e.s prennent part à un combat politique pour la première fois, d’autres figurent parmi les habitué.e.s des défilés syndicaux. Hormis une simple vue d’esprit rien ne permet réellement d’établir une ligne infranchissable entre les Gilets jaunes et les autres familiers des mobilisations sociales.

L’orientation de ce mouvement s’inscrit en revanche dans la discontinuité des luttes sociales des années constitutives à l’affaiblissement du syndicalisme de lutte face à l’offensive d’un capitalisme débridé. L’impuissance actuelle des syndicats est un constat partagé par la grande majorité d’entre nous.

Qui des présent.e.s à chaque appel à défiler contre une énième mesure en défaveur des travailleurs.euses, des classes populaires ou des services publics pensent réellement que le gouvernement va nous entendre ? Qui pense sincèrement encore qu’en étant plus nombreu.x.ses à la prochaine manif le gouvernement pliera enfin ?

Pourtant il y a des grèves, des blocages économiques, des solidarités en actes et de la bravoure du côté du cortège de tête. Mais tout cela n’entame en rien la détermination des gouvernements successifs à faire payer à la population la crise structurelle du capitalisme.

Ces moments passent pour de simples « grognes sociales », sous la houlette de syndicats dont les multiples trahisons ont déjà eu raison de leur crédibilité à changer le cours des choses. Pourtant l’engagement de participant.e.s aux luttes émancipatrices parmi les GJ pourrait être décisif si l’offensive en cours devait atteindre un point de basculement.

Les dernières mobilisations contre la loi travail ont rappelé l’intransigeance du pouvoir prompt à étouffer la moindre contestation par son arsenal répressif.

L’intervention des Gilets jaunes, spontanée, décentralisée, organisée à la base et déterminée dans l’action confère une réelle indiscipline au mouvement face à un pouvoir coutumier des tables de négociation avec les « partenaires sociaux ».

Et s’ils.elles étaient malgré tout considéré.e.s comme les grands absents de nos luttes passées, il se peut bien que c’étaient eux.elles que nous attendions.

 

# 3 : Ces Gilets jaunes n’ont pas vraiment de conscience politique

Ce préjugé induirait que la pensée et l’acte politique seraient réservés à quelques un.e.s, plus éclairé.e.s que d’autres. La politique est l’affaire de n’importe qui. Dès lors qu’un individu conteste ses conditions de vie, il se situe déjà dans le politique. Passer à l’action politique à l’occasion de blocages réalisés contre l’Etat et l’ordre de l’économie, c ‘est avoir conscientisé en amont la nécessité de s’opposer à une attaque de plus menée par la classe dirigeante.

Le slogan « Macron démission » suffit à révéler jusqu’où peut conduire la plus noble conscience politique.

Accumuler de la théorie critique ne suffit pas. Si elle peut éclairer l’action, elle n’en est pas l’interrupteur.

 

# 4 : Ils-elles se battent pour leur pouvoir d’achat et ils-elles n’ont rien à carrer de l’écologie

Tenir pour responsable le consommateur du désastre écologique, c’est oublier l’essentiel : la pollution est induite par la production de ce que nous consommons. Et le capitalisme induit de polluer toujours plus.

Le soucis de la question écologique est aujourd’hui largement répandu, que l’on soit Gilet jaune ou pas encore.

Au cours des rassemblements des Gilets, le bon sens écologique est manifeste : « qu’ils développent les transports en commun ! », « combien de lignes de train supprimées ? », « ils viennent nous parler d’écologie alors qu’ils n’ont pas interdit le glyphosate ! », « certaines années Total ne paie même pas l’impôt sur les sociétés en France ! ». Refuser le fardeau financier de l’écologie quand on peine déjà à joindre les 2 bouts, relève d’une louable conception de la justice fiscale.

Aussi, si le pouvoir d’achat figure parmi les énoncés, les témoignages laissent entendre qu’il s’agit avant tout de pouvoir vivre dignement et de s’octroyer quelques loisirs. Vivre et ne pas seulement survivre.

Assurément nous sommes loin de désirs consuméristes ou du pouvoir de nuisance de ces riches qui polluent la planète.

 

# 5 : Je ne m’associerai pas à ce mouvement aux relents nationalistes et aux gestes xénophobes

Que de tels gestes xénophobes du fait d’une minorité aient lieu, devraient motiver n’importe quel.le anti-fasciste à rejoindre cet espace de composition politique afin de combattre les paroles et les actes les plus détestables. La même motivation devrait animer l’anti-sexisme dans ce moment rendant possible l’écho de nos luttes spécifiques.

Ma participation à ce mouvement devait-elle être remise en cause par la présence du drapeau français et de la Marseillaise, symboles rances de la République, davantage associés aux courants conservateurs qu’à ceux de l’émancipation?

Lors de l’action de péage gratuit à la Gravelle rassemblant environ 300 personnes, un drapeau français était ponctuellement visible.

Si cela peut en effrayer quelques un.e.s, la victoire de la Coupe du monde 2018 leur a sans doute fait penser à une insurrection de nationalistes.

Et si la Marseillaise a été entonnée à l’occasion de l’opération « péage gratuit » à la Gravelle, le seul tract diffusé ce jour-là était Le chant des partisans dédié à Macron.

 

***

Cela fait des années que nous entendons dans nos manifs « Ou alors ça va péter ». Il se peut bien que les Gilets jaunes ramènent enfin l’espoir que cela puisse péter. Et pas seulement sur la plus belle avenue du monde. Et déjà cet acquis : une bien probable mise en sourdine de l’arrogance d’un pouvoir à la solde des classes les plus favorisées. Avant de peut-être prendre congé.