BLOCAGES

Premier rendez-vous, sur la grande zone commerciale d’Atlantis, le matin. Un point stratégique, que les mouvements sociaux classiques rêvent de bloquer depuis longtemps sans y parvenir. Ambiance bon enfant dans un froid hivernal. Des canapés sont posés sur l’asphalte, des feux sont allumés. Dans un premier temps, le blocage de l’accès principal au centre n’est que partiel. Le jeu consiste à ne laisser passer que les voiture qui affichent un gilet jaune. Au fil des heures, la foule s’épaissit, et le blocage devient quasiment hermétique. Les parkings de la plus grande zone commerciale de la métropole sont quasiment déserts. Seuls quelques cars de CRS sont présents.

A partir de 13H, près de 3000 personnes se réunissent à la Beaujoire, de l’autre côté de l’agglomération, et vont paralyser l’ensemble du périphérique nantais en voiture, en moto ou à pied. Les manifestants occupent les deux sens de la 4 voies. Certains s’offriront la fantaisie de monter le pont de Cheviré en vélo. La dernière fois que le périphérique nantais avait été bloqué remonte à la grande manifestation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, en janvier 2016. Et avant ? C’est arrivé une seule fois, en mars 1997 : des gens du voyage avaient bloqué le pont de Cheviré, après la mort de deux des leurs tués par des gendarmes.

CONFUSION

Une bande de militants d’extrême droite, en gilets jaunes et bonnet rouges, est présente dès le matin. Elle parle beaucoup aux policiers et tente de donner des directives. Composé de trois ou quatre membres, ce groupe se permettra même d’invectiver certains participants, trop jeunes, ou pas assez blancs. Ces individus constituent le seul groupe organisé, au milieu de dizaines de personnes n’ayant pas ou peu d’expérience des mobilisations. Près d’eux, le rédacteur du média d’extrême droite Breizh Info se promène. L’extrême droite tente effectivement de récupérer l’action, mais elle est extrêmement minoritaire et peu influente.

Devant une barricade, une femme d’une quarantaine d’années lance : « Allez, on chante la Marseillaise ». Elle n’est pas suivie. Plus tard, une autre crie contre une voiture de luxe sa haine des « bourgeois ». On croise des visages de jeunes aperçus dans les cortèges de tête, ou dans des manifestations tendues. Sur le périphérique, des manifestants brandissent une banderole qui fait référence aux grandes grèves générales de 36 et mai 68. Plus tôt, une autre banderole, anticapitaliste, s’élevait au dessus d’un pont. La cohabitation de mondes aussi différents parait étrange. Les références sont multiples, protéiformes, au risque d’être confuses. Une seule chose semble faire consensus : la colère va bien au delà du prix de l’essence.

ÉCHO MÉDIATIQUE

Sur le plan numérique, le « raz de marée » annoncé n’a pas eu lieu. Quelques centaines de personnes par blocages. Quelques milliers au plus fort de la journée pour toute la ville de Nantes. Plus de 200 000 dans tout le pays. C’est l’équivalent d’une petite journée de mobilisation syndicale. Pour rappel, lors de journées de grève beaucoup plus importantes, les médias titraient sur «l’échec» de la mobilisation, et ne donnaient que quelques secondes d’images à l’antenne. Comparativement, le «mouvement des gilets jaunes» bénéficie d’une couverture médiatique énorme. Le 17 novembre, c’est un Prime Time en continu sur toutes les chaînes d’information, et de larges tribunes offertes aux partis d’extrême droite sur tous les plateaux. Le contraste avec le traitement des journées de luttes sociales classiques est saisissant.

PUISSANCE D’ACTION

Si le nombre de participants est finalement moins élevé qu’annoncé, la puissance d’action des gilets jaunes est hors du commun. En lançant des appels décentralisés, ce mouvement est parvenu à bloquer de très nombreux points stratégiques. Un véritable maillage partout sur le territoire, y compris dans les petites communes, alors que les mobilisations classiques se concentrent dans les grandes villes. Cette décentralisation décuple le pouvoir de nuisance et l’efficacité du blocage. Elle rend impossible le contrôle de la situation par le gouvernement.

Alors que les manifestations syndicales se dispersent sagement à l’appel des centrales, il n’y a pas d’heure de fin le 17 novembre. Certains promettent de dormir sur la route, voire de tenir plusieurs jours, de multiplier les actions. Au niveau de la porte Océane, des affrontements avaient lieu à la tombée de la nuit, et une partie des routes restaient paralysées. Grandes barricades en flammes contre lacrymogènes. Une conflictualité qui rompait enfin avec la bienveillance insupportable entre bloqueurs et forces de l’ordre.

A suivre …