« Il faudra augmenter la rentabilité, la génération de cash-flow et le retour sur les capitaux investis », annonçait la nouvelle direction de Carrefour peu après l’installation de la nouvelle équipe en juillet 2017. Le « plan de transformation », présenté par le groupe quelques mois plus tard, le 23 janvier 2018, n’a pas déçu les marchés financiers, qui l’ont immédiatement salué par une augmentation du titre Carrefour de près de 5 %. Du côté des syndicats, c’est plutôt le choc et la consternation.

Derrière la pudique appellation de « plan de transformation », se dessine en effet une restructuration de grande ampleur qui vise d’abord à diminuer les coûts du distributeur et en particulier sa masse salariale. Pour restaurer sa rentabilité et sa compétitivité, le groupe engage un plan massif de réductions de coûts de deux milliards d’euros en 2020, dépassant largement les attentes des analystes, qui tablaient en moyenne sur un milliard d’économies.

Le magazine Linéaires a fait ses calculs. En additionnant les multiples suppressions de postes, tous les gains de productivité programmés et les transferts prévus de magasins à des tiers, Carrefour pourrait « économiser » au total en France l’équivalent d’au moins 7 000 salaires. Soit 6 % de ses effectifs dans le pays !

Aux 2 400 suppressions de postes annoncées dans les sièges, s’ajoutent déjà en effet les 2 100 emplois des 273 ex-magasins Dia fermés (pour 244 d’entre eux) ou cédés l’été dernier. Dans les hypermarchés intégrés, un plan de « simplification et centralisation » des tâches administratives, couplé à la disparition de postes de caisse dans les stations-service, devrait entraîner, selon les informations de Linéaires, la disparition de 500 postes de plus.

Mais d’autres mesures du plan auront également des conséquences sur l’emploi. C’est le cas par exemple du développement d’une nouvelle plate-forme de préparation de commandes en région parisienne, qui devrait entraîner, pour la vingtaine de sites concernés, la disparition de près de 200 postes dans les « drives » … Alors que parallèlement, l’ouverture de 11 points de retrait supplémentaires ne créerait que 80 emplois. Dans les hypermarchés aussi, le plan de réduction de surfaces amènera immanquablement de nouvelles destructions d’emplois… Tout comme la stratégie de transferts de magasins en location-gérance poursuivie par le groupe : selon FO, 30 Carrefour Market supplémentaires devraient ainsi changer de mains en 2018.

« Impact social catastrophique »

Au regard de cette stratégie, on peut comprendre l’inquiétude des collègues de Casino lorsqu’a été évoqué, fin septembre 2018, un rapprochement avec Carrefour. D’autant que la possibilité d’une offre de rachat hostile n’est pas totalement écartée à moyen terme. Les syndicats CFDT, CFE-CGC, CGT et UNSA du groupe ont ainsi souligné « l’inquiétude grandissante des salariés ». Selon eux, « l’impact social » d’une telle fusion serait en effet « catastrophique ».

Les deux groupes concurrents détiennent chacun des hypermarchés, des supermarchés et des magasins de proximité. Les « synergies » attendues d’un rapprochement, que certains analystes évaluent déjà à 1,5 milliard d’euros, se traduiraient immanquablement par des milliers de suppressions d’emplois dans les sièges.

En vertu du droit de la concurrence, une fusion des deux groupes déboucherait également vers des fermetures massives de magasins, dans toutes les zones de chalandise où apparaîtraient des positions de marché dominantes… Et elles seraient nombreuses, Carrefour et Casino détenant ensemble environ le tiers du marché de la grande distribution française et leur part de marché cumulée atteignant même, selon les spécialistes, 72 % sur le segment des magasins de proximité à Paris en région parisienne.

Les partenaires sociaux ne peuvent s’empêcher de faire le lien avec le triste sort des anciens magasins Dia, rachetés par Carrefour en 2014, puis passés aux couleurs de Carrefour, avant d’être brutalement fermés pour l’immense majorité durant l’été 2018, avec au bilan, plus de 2 000 emplois supprimés.

La rentabilité de bon nombre de ces magasins n’a pas résisté au mauvais choix de Carrefour d’abandonner le « hard discount » qui caractérisait le pavillon Dia, alors que ce positionnement initial était manifestement plus adapté au pouvoir d’achat des habitants du quartier d’implantation de ces points de vente. Ce sont donc les salariés qui paieront cette erreur stratégique. Pour Carrefour, au final, l’affaire ne sera pas si mauvaise, car en reprenant 800 magasins Dia il y a quatre ans, le groupe aura mis la main, après sélection, sur quelque 500 magasins très bien implantés au cœur des villes. Tant pis pour la « casse sociale » dénoncée par les collègues : elle aussi, semble-t-il, est intégrée aux pertes et profits.