Revendiquant une marche apolitique, la démarche n’était pas sans rappeler nos propres débuts : un appel sur les réseaux qui s’étend à toute la France, lancé par des citoyen.nes « lambda », repris dans plusieurs villes, et se revendiquant détaché.es de tous partis, associations, groupe politique. Cependant, nos lecteurs/trices n’auront pas manqué de remarquer que ce n’est pas cet événement que nous avons choisi de mettre en avant. Bien plus, nous revendiquons haut et fort notre refus de rejoindre le mouvement.

Bigre, Nuit Debout Nantes aurait-elle fait le choix de se coucher plutôt que d’affronter l’urgence climatique ? On vous rassure, la seule chose que nous avons couché, ce sont nos réflexions de 2 ans par rapport à l’écologie, et cela sur du papier (enfin par informatique). Il se trouve que l’appel à marcher pour le climat nous a laissé.es quelque peu dubitatifs/ves. D’abord parce que les marches, on en a assez fait depuis 2016 pour commencer à en cerner les limites, et déterminer qu’on veut bien marcher des kilomètres s’il le faut, mais pas avec n’importe qui. Et ensuite tout simplement parce que nous n’aimons pas particulièrement marcher sans savoir où on va.
L’écologie est un vaste mot, qui recouvre bien des réalités différentes. Des cabanes de Notre Dame des Landes à Europe Écologie les Verts, on ne peut pas vraiment dire que parce que tout ce petit monde se préoccupe d’écologie, tout se vaut. Or c’est un peu le principe de ces grands appels à marcher, que de vouloir noyer toute différence sous le prétexte d’un « but commun ». Mais quel but commun peut-il y avoir entre « la planification écologique » de la France Insoumise, l’anticapitalisme de nos camarades zadistes, et le « capitalisme vert » des Macronistes qui y croient encore ? Bon, à part l’envie de ne pas mourir dans un raz-de-marée ou un désert à 50 °C si jamais le réchauffement se poursuit, en réalité la construction sociale qui en découlera sera totalement différente selon la solution proposée.
C’est une erreur que nous fîmes nous aussi à Nuit Debout, et pour laquelle nous ne jetterons sûrement pas la pierre aux participant.es sincères qui ont marché samedi : mais tout est politique, et tout est choix partisan. Vouloir effacer cela, gommer le principe fondamental que tout ce que nous faisons, c’est présenter des projets de sociétés DIFFERENTS, c’est se voiler la face. Et nous avons appris au fil du temps, à nous méfier des injonctions à « ne pas nous diviser, tout le monde ensemble le reste on verra après ». L’expérience nous a montré que ce seront toujours les mêmes qui en feront les frais.
Ce qui nous amène à notre 2nd point : le climat est déjà en train de changer. Nous ne comprenons guère dans ce cas ce que les organisateurs/trices de la marche et leurs adhérent.es entendent par « sauver le climat »… en vérité, notre mode de vie qui consiste à profiter de l’exploitation des ressources de notre planète ET d’une bonne moitié de sa population, a déjà, est encore, la cause de milliers de morts au-delà du continent européen. La lutte pour un nouveau monde vivable passera par la décolonisation ou ne sera pas ! L’anarchiste anglais William Morris écrivait au début du XIXe siècle « Je demande que soit plaisant, beau et généreux le cadre matériel de ma vie. C’est une exigence de taille, je m’en rends compte. Je n’en dirai qu’une chose : si l’on ne peut y répondre, si les sociétés civilisées ne sont pas toutes en mesure de garantir à l’ensemble de leurs membres un environnement de cette qualité, je souhaite que le monde s’arrête !« , pour critiquer la politique sociale constituant à garantir un cadre de vie plaisant uniquement pour un petit nombre de privilégié.es, pendant que le reste du monde était relégué à la misère et à la pauvreté. Nous en avons un bon exemple en France, où les mairies « vertes » aménagent des espaces « verts » dans les centre-villes, tout en repoussant sans cesse les personnes les plus pauvres vers les périphéries. Aux privilégié.es du centre-ville les parcs, l’air, l’espace, aux autres le béton et la pollution. À Nantes, la maire dépense des fortunes dans la ré-aménagement de la gare, mais laisse dépérir des centaines d’exilé.es square Daviais, exilé.es qui sont les premières victimes du changement climatique, et dont bizarrement les « grandes marches » parlent peu.
Or, face à cela, la stratégie du lobbying « pour le climat » de 350.org, organisation fondée en 2008 qui a défini les grands axes stratégiques de la « lutte » pour le climat prônée par les « grandes marches », ne nous convainc pas : nous ne voyons pas l’intérêt de mendier auprès des « décideurs », hommes et femmes politiques qui au mieux sont impuissant.es, au pire s’en balancent totalement, de bien vouloir prendre en compte nos demandes. L’attaque sur la ZAD de Notre Dame des Landes, et plus récemment sur celle du Moulin à Kolbsheim près de Strasbourg, n’auront donc pas suffi à prouver à quel point l’État est disposé à négocier ? D’ailleurs, d’où est-ce qu’on négocie une volonté du peuple ? Quant aux chefs d’entreprise (on parle bien sûr des multinationales), pourquoi seraient-ils en mesure d’apporter une solution aux problèmes qu’ils créent eux-mêmes et qui ne leur rapporte au présent que du bénéfice ? Vinci ne vous a pas suffi ?
Soyons assez nombreux/euses et iels seront bien obligé.es de nous entendre, dit la Marche. On n’y croit pas…depuis 1968, nous avons été bien des fois assez nombreux/euses dans les rues pour nos droits, on voit aujourd’hui le résultat ! Oh, les élections approchant, nul doute que les candidats vont « se mettre au vert », voire même certaines grandes entreprises vont lancer leurs gammes de produits bio et leur charte de « respect de l’environnement »…Qui croit encore qu’on combat la destruction de notre planète en recyclant le papier et en débranchant les ordinateurs le soir dans les bureaux ? L’action individuelle, même lorsqu’elle produit de la valeur ajoutée quand on est assez nombreux/euses à s’y mettre, ne résoudra pas la crise, car en vérité l’individu ne peut pas grand-chose. Et mettre ensemble des milliers d’individus qui ne peuvent pas grand-chose ensemble, SANS autre dénominateur commun que la répétition et l’addition des mêmes actions, est loin d’être suffisant si on ne réfléchit pas à une stratégie de lutte collective. On ne dit pas, attention, que le boycott, les marches, les campagnes d’information, les pétitions…ne servent à rien. On dit juste qu’elles sont très loin d’être suffisantes. Par exemple, le boycott peut permettre d’infliger quelques revers à une grande multinationale, mais si à ce niveau vous n’avez pas conscience qu’une autre prendra sa place…voire même la même ayant changé de logo et de noms après s’être fait discrète quelques temps…
Le premier point aveugle des grandes marches, c’est de refuser de nommer les choses : il s’agit d’une lutte. Et une lutte ne peut se satisfaire de dessins à la craie et d’orchestres pour « la joie et le zéro débordement ». En face, nous avons des sur-puissances qui sont NOS ADVERSAIRES et de qui il n’y a RIEN à attendre, tout simplement parce qu’accéder à nos demandes ne leur rapporte rien. Alors nous le clamons haut et fort : il n’y a rien de courageux dans l’acte de sortir de chez soi clamer son amour du climat. Il n’y a rien de courageux dans l’acte de venir revendiquer quand on sait qu’on ne risque rien. Il n’y a rien de courageux dans l’acte de revendiquer le collectif mais de refuser de se confronter à autrui. Il n’y a rien de courageux dans l’acte de proclamer son amour à qui ne peut vous répondre.
Le second point aveugle des grandes marches, c’est de croire qu’on peut « sauver le climat ». Soyons lucides : qui donc aurait ce pouvoir incroyable de faire changer le climat en quelques années ? Le changement climatique tire ses origines de dizaines et dizaines d’années de consommation et d’exploitation. Personne n’a le pouvoir de défaire ce qui a été fait. Ce n’est pas le climat qu’il s’agit de sauver, c’est bien l’être humain. Et dans ce cas, ce qu’il convient de demander, non, d’exiger des dirigeant.es, ce n’est pas de faire l’impossible, mais bien de prépare les solutions aux crises à venir : si comme on nous l’annonce, le niveau de la mer va monter suite à la fonte des glaciers des Pôles, alors une partie des villes et campagnes côtières, sans parler des îles, vont se retrouver noyées. Il faut donc se préparer à faire face aux enjeux de logement, de ravitaillement, et de santé publique que cela va entraîner. Et que fait le gouvernement ? Loi ELAN, sabotage de la SECU, remise en cause de la CMU, appauvrissement de la population…vous avez l’impression qu’il y a une volonté de sauver tout le monde vous ? La lutte pour le climat sera sociale ou ne sera pas !
Les organisateurs/trices de la marche nantaise pour le climat, ont proclamé haut et fort leur collaboration avec la préfecture, et leur revendication de la « non-violence » pour « manifester autrement ». À nous, qui sommes encore meurti.es par deux ans de violence policière, et pour qui la main arrachée de Maxime sur la ZAD pèse encore sur nos cœurs. Nous déclarons que cette position n’est pas pour nous soutenable : Nuit Debout Nantes a toujours affirmé son attachement à la pluralité des méthodes d’action, et son refus de juger et condamner celleux qui font le choix du combat et non du martyr. Nous ne croyons pas que c’est en rassemblant des gens par l’invocation de valeurs vides que l’on lutte pour le monde de demain et pour l’écologie, mais bien en se préparant à faire face à ce monde, avec espoir et avec discernement. Nous croyons que multiplier les lieux de résistance et de création, ce n’est pas mendier le droit d’exister à la métropole, mais bien lui arracher des espaces que nous nous réapproprions, et nous ne sommes pas naïf/ves au point de croire que tout cela se fera sans violence et sans affrontement. Nous croyons dans la solidarité, la vraie, celle qui soutient les épreuves car elle se fonde sur le temps, les larmes, les joies… partagées face au pouvoir qui nous écrase, et non pas sur du bon sentiment. Nous croyons que la résistance n’existe que lorsqu’elle se confronte sans faux-semblant au réel, et non pas lorsqu’elle se nourrit de chimères. Et tout cela, nous l’avons appris aux côtés de celleux que la marche prétend exclure, au motif de son refus de « la violence » (et doit-on expliquer quelle insulte cette position représente pour tous/tes celleux qui subissent en ce moment la répression de l’État, grévistes, cheminots, étudiant.es, exilé.es, Zadistes…), et de son refus de « la haine » dont elle prétend parer celleux qui refusent de se laisser faire. Et parce que nous les avons vu plus d’une fois à l’œuvre, nous pouvons en témoigner ici, que si haine et colère peuvent pousser à la violence, c’est pourtant bien l’amour de son prochain, et l’espoir pour demain, qui nous poussent à lever notre poing à la figure de l’État en décomposition d’aujourd’hui !
Alors désolé.es, mais là on ne marche pas !
PS : les critiques écrites ici visent en priorité le type de démarche et de pensée derrière ces « grandes marches pour le climat », loin de nous l’idée de remettre en cause la bonne volonté des participant.es. Nous pensons juste qu’il est d’autant plus important pour elleux de savoir exactement à quoi iels adhèrent, quelle idéologie, quel projet de société, au-delà des grands mots et des beaux idéaux vides.
PS2: Nuit Debout Nantes est pour la diversité et la complémentarité des tactiques et méthodes de lutte: nous soutenons résolument les actions non-violentes, mais ne les concevons pas comme un horizon indépassable, ni comme un idéal de lutte.
PS3: Pour en savoir plus sur ce qui se passe en ce moment à la ZAD du Moulin de Kolbsheim

 

publié le Jeudi 13 septembre 2018