Elles étaient mère et fille. Inas avait 23 ans,  et elle était dans son neuvième mois de grossesse; Bayan était un bébé de 18 mois. Elles ont été tuées lorsqu’un missile a frappé leur logement, un appartement loué dans un immeuble d’un étage à Dir al-Balah, dans la bande de Gaza. Le père de famille, Mohammed, a été grièvement blessé.

Leur meurtre n’a pas étanché la soif de sang sur les médias sociaux. Les médias israéliens traditionnels, qui étaient beaucoup plus préoccupés par l’annulation d’un mariage à Sderot, ne l’ont guère mentionné. C’est toujours l’ordre des priorités pour Israël.

Ce n’est pas que les souffrances des habitants des communautés israéliennes près de Gaza ne doivent pas être largement couvertes, mais le mépris total pour les victimes de l’autre côté, même le meurtre d’une femme enceinte et de sa fille, est un acte de collaboration avec la propagande du temps de guerre . L’indifférence publique totale à l’égard de chaque assassinat, associée à la soif de sang devenue politiquement correcte, témoigne également d’un nadir sans précédent.

Il n’est pas difficile d’imaginer ce qui se serait passé, tant en Israël qu’à l’étranger, si le Hamas avait tué une femme israélienne enceinte et sa petite fille. Mais Inas et Bayan n’étaient que des Palestiniens de Dir al-Balah.

Y a-t-il encore des Israéliens qui ont jeté un coup d’œil à leurs proches et ont imaginé l’atrocité de tuer une femme enceinte avec son bébé dans ses bras ? Est-ce que la pensée passe encore par l’esprit de qui que ce soit [en Israël] que Inaset Bayan étaient une femme enceinte et sa petite fille, comme les voisins d’en face? Comme ta fille et ta petite-fille. Comme ta femme et ta fille.

De telles pensées peuvent-elles encore surgir pendant un moment, étant donné les assauts de la déshumanisation, de la propagande et du lavage de cerveau, qui justifient tout meurtre et en rend responsable le monde entier, à la seule exception de ceux qui l’ont commis ? Compte tenu des médias, dont la plupart veulent simplement voir plus de sang se déverser à Gaza, et même faire tout ce qui est en leur pouvoir pour que le sang soit effectivement déversé ? Compte tenu des excuses habituelles selon lesquelles les forces de défense israéliennes n’ont jamais l’intention de frapper une femme enceinte et sa fille, elles le font simplement, encore et encore et encore et encore ?

Compte tenu de tout cela, y a-t-il encore une chance que l’assassinat d’une mère et d’une fille choquent quelqu’un ici ? Que ça va toucher quelqu’un ?

Pendant près de 12 ans, Gaza a été fermée aux journalistes israéliens sur les ordres d’Israël, et les médias israéliens acceptent de se soumettre, ils le font même avec joie. Ô combien j’aimerais pouvoir aller chez Inas et Bayan en ce moment, raconter leur histoire et surtout rappeler au lecteur qu’elles étaient des êtres humains, des personnes – une chose très difficile à faire dans l’atmosphère d’Israël aujourd’hui.

Lors d’un de nos derniers voyages à Gaza, en septembre 2006, le photographe Miki Kratsman et moi-même nous sommes rendus à la maison de la famille Hammad, dans le camp de réfugiés de Rafah. Un énorme cratère s’était ouvert à quelques centaines de mètres de la misérable cabane en tôle dans laquelle nous sommes entrés. Dans la pièce sombre, nous n’avons vu qu’un fauteuil roulant écrasé et une femme infirme, allongée sur le canapé.

Quelques nuits plus tôt, la famille avait entendu des avions les survoler. Basma, alors âgée de 42 ans et complètement paralysée, était allongée dans son lit de fer. Elle a rapidement dit à sa fille unique, Dam al-Iz, âgée de 14 ans, de se précipiter vers elle pour pouvoir la protéger avec son propre corps. Un toit en béton s’est écrasé sur elles et a tué Dam, sa fille unique, qui gisait recroquevillée  dans les bras de sa mère.

Depuis qu’Inas et Bayan ont été tués, je repense sans cesse à Dam al-Iz et à sa mère.