L’issue était prévisible, elle n’en est pas moins problématique. Dimanche 29 juillet 2018, aux alentours de midi, quatre navires de guerre israéliens ont arraisonné le chalutier Al-Awda, battant pavillon norvégien, qui s’approchait de ses côtes dans le but de livrer du matériel médical à Gaza. À son bord, deux douzaines de militants de seize nationalités différentes, désireux à la fois de venir en aide sur un plan humanitaire à l’enclave palestinienne soumise à un embargo quasi total de la part d’Israël (avec l’appoint de l’Égypte), mais également d’attirer l’attention sur le sort de la bande de Gaza, coupée du monde.

Selon Claude Leostic, coordinatrice française de l’opération et responsable de la plateforme des ONG pour la Palestine, « nous avons perdu tout contact avec l’Awda dimanche peu avant midi, alors que le bateau se situait environ à une soixantaine de milles marins des côtes », c’est-à-dire en dehors des eaux territoriales israéliennes.

« La marine israélienne est montée à bord de l’Awda et a exigé que le capitaine redémarre les moteurs pour se rendre au port d’Ashdod. Face à son refus et à celui de son second, les soldats les ont frappés et ont fait usage de Taser. Ils ont également frappé une médecin de 69 ans. Ils ont ensuite conduit le navire à Ashdod. Ils ont libéré les deux ressortissants israéliens à bord puis ont emprisonné la vingtaine d’étrangers, dont une Française, Sarah Katz. »

La tentative de briser le blocus à l’aide d’un bateau ou d’une flottille n’est pas une première, puisque chaque année ou presque, depuis 2008, des militants tentent de rallier Gaza par la mer. À chaque fois, ils sont interceptés par la marine israélienne avec plus ou moins de violence. En 2010, l’arraisonnement du bateau turc Mavi Marmara avait fait dix morts et provoqué de fortes tensions dans les relations entre Israël et la Turquie. Cette opération meurtrière avait également été condamnée par de nombreux pays, ainsi que par l’ONU, ce qui n’avait pas particulièrement ému les gouvernants israéliens.

En toile de fond de ce qui s’apparente superficiellement à un jeu du chat et de la souris, il y a en fait le droit international. Si le rapport Palmer, commandé par l’ONU à la suite de l’arraisonnement du Mavi Marmara, avait conclu en 2011 à la légalité du blocus à l’encontre de Gaza (notamment pour éviter que des armes ne parviennent au Hamas, qui contrôle la bande de terre palestinienne), il posait néanmoins la question de la proportionnalité des moyens. Ayant examiné la question, la Cour de justice internationale a décidé de ne pas s’emparer du dossier, tout en admettant la possibilité qu’un crime de guerre ait été commis.

Tous les bateaux des différentes flottilles qui ont vogué vers Gaza ont en effet été arraisonnés alors qu’ils ne transportaient que des denrées ou des équipements humanitaires, et ils l’ont été en dehors des eaux territoriales israéliennes, ce qui est illégal au regard du droit maritime. La souveraineté de chaque État s’étend sur seulement 12 milles marins (environ 22 kilomètres). L’Awda a été intercepté alors qu’il se situait entre 35 et 50 milles marins des côtes israéliennes.

Jusqu’à présent, aucun des gouvernements des pays possédant des ressortissants à bord de l’Awda ne s’est manifesté pour condamner (ou approuver) l’action israélienne, en dépit de sa légalité douteuse. Jointe par Mediapart, l’ambassade de France en Israël s’est contentée d’indiquer qu’un de ses représentants avait rendu visite à Sarah Katz dans la prison où elle est détenue, afin de s’assurer de ses conditions d’emprisonnement. Pour l’aspect plus politique, le porte-parole de l’ambassade renvoie vers le Quai d’Orsay, qui est resté muet face à notre demande d’éclaircissement.

Habituellement, les personnes emprisonnées à la suite de ce type d’interpellation sont relâchées au bout de 48 heures et expulsées vers leur pays d’origine. Mais cette fois-ci, plusieurs militants pourraient déposer plainte en Israël pour « kidnapping », d’après Pierre Stambul, le coprésident de l’Union Juive Française pour la Paix et compagnon de Sarah Katz (qui signe une tribune dans Mediapart).

Dans ce cas de figure, les détenus pourraient rester en prison une dizaine de jours en attendant d’être entendus par un juge d’instruction.

« La justice israélienne reste l’une des rares institutions qui n’ont pas été touchées par la droitisation complète de la société ces deux dernières décennies, mais le succès d’une telle plainte reste hasardeux », témoigne un juriste israélien, qui préfère rester anonyme car il n’a pas accès aux éléments éventuels de la plainte. « Israël déteste que l’on vienne regarder de trop près la manière dont il garantit sa sécurité. »

Mercredi 1er aout, ou peut-être jeudi, un nouveau bateau, cette fois-ci le voilier Freedom, devrait lui aussi approcher des côtes israéliennes pour tenter de briser le blocus, avec un autre Français à son bord. L’issue a toutes les chances d’être identique, tant que les gouvernements concernés ne feront pas savoir ce qu’ils pensent de l’arraisonnement de navires étrangers en haute mer.

http://www.ujfp.org/spip.php?article6557