Edito :

La traque des clandestins à la frontière franco-italienne dans les Hautes-Alpes entraîne, sans surprise, son lot de violence. La police aux frontières et autres sbires de l’État s’adonnant à la chasse à l’humain en montagne mettent en danger les migrant·es qui tentent le passage en altitude pour éviter les contrôles. Des personnes ayant besoin de soins restent bloquées de longues heures lors de leur
arrestation, voire sont carrément reconduites à un village frontalier côté italien, loin de tout hôpital. « Les coursiers traitent mieux leurs paquets. », écrira un journaliste italien.

« On va retrouver des morts au printemps ». Cette crainte est dans les pensées de nombreux habitants du Briançonnais à la vue des migrant·es pourchassés par les gendarmes, empruntant des sentiers que les alpinistes chevronnés évitent bien volontiers. Les autorités pourtant ne démordent pas de leur action de refoulement et la justifient par une logique pour la moins déconcertante : « C’est mettre la vie des personnes en danger que de ne pas leur déconseiller le franchissement irrégulier de la frontière au regard des conditions climatiques hostiles », ironisera la préfecture… Contraindre, par une chasse à l’homme organisée, les exilé·es à risquer le passage dans les conditions les plus défavorables serait donc une oeuvre aussi charitable que les guerres sont propres ou les bombardements humanitaires.

« On ne fait pas de politique, on porte seulement secours à des gens en danger ».
Ce discours est très présent dans les associations d’aide aux migrant·es. Mais l’humanisme a ses limites, d’autant plus étriquées que les migrant·es sont nombreux ou – pire encore – que ceux-ci frustrent le travail de bonne conscience en prenant leur situation en main. Logiquement, des conflits surgissent entre d’autoproclamés citoyens qui « défendent l’État de droit » et celles et ceux qui considèrent qu’il fait partie du problème. On assiste ainsi à de dangereux numéros d’équilibristes, certains responsables locaux ou membres associatifs se désolidarisant de modes d’actions sortant du cadre légaliste, comme les occupations, et soutenant à demi-mot la maréchaussée, « des humains comme les autres ». Tout cela au détriment des besoins des exilé·es et de leur autonomie, mais que voulezvous, il faut savoir rester crédible. On peut dire que chacun respecte son rôle : la police frappe, la justice condamne, les fachos aboient et la gauche s’indigne.

Les problèmes ne sont pas seulement la montagne, la neige, les avalanches et les tempêtes. Ici, les premiers obstacles se nomment police aux frontières, douanes, gendarmerie et préfecture. Les frontières, ce ne sont pas seulement des lignes imaginaires tracées sur des cartes, des déserts, des mers ou des montagnes à franchir. Les déplacements forcés, les expulsions d’un pays à l’autre, les séjours en prison ou en centre de rétention, l’exploitation encouragée par la précarité et la clandestinité sont le quotidien de milliers de personnes qui pensaient trouver en Europe un lieu de refuge et de repos. Le nouveau projet de loi en France, sobrement intitulé « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » ne fera qu’endurcir les règles de ce jeu de l’oie grandeur nature. Il vise notamment à clarifier légalement une séparation nette entre les « bons » et les « mauvais »
actes de solidarité. Il criminalise la lutte contre les frontières tout en favorisant une cogestion de la misère par les personnes solidaires plutôt qu’une solidarité en acte favorisant l’autonomie des exilé·es. La réforme législative de l’Union européenne sur l’asile prévoit quant à elle la prise de données biométriques des enfants à partir de l’âge de six ans.

Mais les contrôles et la surveillance ne se limitent pas aux quelques patrouilles menées au col de l’Échelle ou au Montgenèvre. Soucieuse de la « sécurité internationale », l’Europe a étendu ses frontières et sa machinerie coercitive à coups d’accords bilatéraux. Ainsi, au Soudan, au Mali, au Niger, au Maroc ou en Turquie, des millions d’euros sont distribués afin de semer toujours plus d’embûches sur la route des exilé·es, rendant les traversées encore plus meurtrières et les expulsions dans des pays en guerre possibles. L’UE prévoit de fournir au Soudan des équipements de surveillance, une assistance pour la construction de deux centres de détention et une formation pour ses unités de patrouille frontalière. Pour défendre ses intérêts économiques, elle participe également au renforcement de politiques – dictatoriales ou démocratiques, peu importe – et de milices
armées bien souvent à l’origine des déstabilisations et des massacres entraînant le départ des populations.

La multiplication d’actes de solidarité permet d’entrevoir d’autres horizons que ceux de l’individualisme ambiant et du repli sur soi identitaire. Il est cependant vain d’attendre d’un État, quel qu’il soit, qu’il fournisse des solutions à une situation qu’il engendre par son existence même. Il nous semble nécessaire de se défaire des réflexes misérabilistes pour s’inscrire dans une perspective de lutte avec et non pour les migrant·es, partager nos révoltes pour tenter de prendre le problème à la racine : les États, leurs frontières, leurs guerres et le mode de production capitaliste qu’ils cherchent à maintenir coûte que coûte.

P.-S.

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