« En tant que femme queer, je subis une oppression à la fois genrée et sexualisée. »  

L’idée principale du féminisme radical, c’est la reconnaissance de toutes les discriminations  et  oppressions,  qu’elles  soient  genrées, raciales,  sexualisées,  de classe,  religieuses ou autres, et la lutte contre celles-ci. Les féministes radicales luttent donc contre le patriarcat, le sexisme, le racisme, l’homophobie, la biphobie, la transphobie, le classisme (discriminations liées à la classe sociale), le validisme (discriminations liées aux handicaps), l’hétéronormativité (le fait de considérer toute personne  comme  par  définition  hétéro  et  que  la très  grande  majorité  de  la  pop culture soit hétérosexualisée), la culture du viol, les discriminations religieuses, etc. L’intersection, c’est la reconnaissance  de  toutes  ces  oppressions,  mais également  de  ses  propres  privilèges  (qui  sont  donc en opposition  avec  ces oppressions), et du fait qu’il est impossible d’y mettre fin de manière indépendante. En tant que femme queer, je subis une oppression à la fois genrée et sexualisée. Cependant,  en  tant  que  blanche,   cis,  valide,  de  classe  moyenne  supérieure  et athée, j’ai de nombreux privilèges. Ma reconnaissance de ceux-ci me permet de les utiliser afin qu’il ne s’agisse plus de privilèges, mais simplement d’éléments de mon parcours  et  de  ma  personne.  C’est  comme  cela  qu’on  se  comporte  non  plus  en oppresseur-euse mais en allié-e. 

Comment  en  suis-je  arrivée  là  ?  Principalement  par  internet.  Et principalement en anglais. C’est triste à dire, mais le féminisme intersectionel est une  notion  à  l’origine  américaine,  et  encore  très  peu  exportée  dans  les  pays francophones.  Le féminisme  Beyoncé, comme  il  est  parfois  appelé  aujourd’hui, Tumblr,  Youtube  ou  encore  des  pages  Facebook  comme Guerrilla Feminismou Femifesto sont  à  l’origine  de  mon  éducation  féministe.  Je  viens  d’une  famille féministe, mais avec un féminisme daté, que je qualifierais de « deuxième vague ». Le féminisme intersectionel est considéré comme la cinquième vague – pour vous donner  une  idée  de la  différence  de  luttes  -.  Mon  éducation  s’est  faite  à  coup d’articles sur Bustle ou de posts Tumblr, de vidéoconférences de cours de Gender Studies  (théories  du  genre,  c’est  à  dire  théories  de  l’oppression)  diffusées  par certaines universités américaines, ou via des débats, encore une fois beaucoup sur Tumblr.

« Le féminisme nécessite une remise en question permanente,  car  nos  connaissances  évoluent,  de  même  que  nos  influences. »  

Mon  appartenance  à  la  communauté  LGBTQIA+  m’a  également  beaucoup aidée dans ce parcours féministe : le support qui m’a permis l’acceptation de ma propre sexualité m’a ensuite dirigée vers une communauté qui défend des valeurs féministes. La Mutinerie, un bar queer transféministe du Marais m’a aussi permis de trouver une communauté qui ne soit pas uniquement sur Internet. Aujourd’hui,  je  suis  encore parfois  confuse  quand  à  certains  points  de débats,  mais  j’ai  une  certitude  :  il  faut  lutter  contre  les  préjugés  qui  entourent le féminisme,  célébrer  la  diversité  et  la  beauté  de  cette  diversité,  et  mettre  fin  aux discriminations, quelles qu’elles soient. 

La  reconnaissance  de  nos  propres  privilèges,  mais  également  des  cotés problématiques  de  certaines  de  nos  idoles  est  nécessaire; prenez  Chimamanda Ngozi Adichie : son Ted Talk sur le patriarcat et la socialisation des jeunes filles est légendaire et a défini une partie de mon propre féminisme. Cependant, ses récents propos  transphobes  ont  fait  scandale,  et  à  raison  :  cela  ne  remet  pas  en  cause l’importance de son discours dans ma vie, mais bien celle de son influence sur moi, et donc sur mon intersectionnalité. Le féminisme nécessite une remise en question permanente,  car  nos  connaissances  évoluent,  de  même  que  nos  influences. L’acceptation  de  cette remise  en  cause  est  nécessaire,  car  mieux  vaut  avoir  l’air inéduqué-e mais volontaire plutôt que stupide et obstiné-e. 

 » Il  n’existe  pas  d’opinion  universelle,  ni  de féminisme  universel. »  

Quand je tente de déterminer l’origine de mon engagement féministe, j’hésite entre deux événements : ma première expérience du harcèlement de rue, quand un homme d’une trentaine d’année m’a pincé les fesses dans le métro alors que j’avais 14 ans, ou bien mon entrée dans les mouvements dits « black bloc » des manifestations contre la loi Travail l’année dernière. Le premier fut la réalisation de  l’insécurité dans laquelle je vivais simplement à cause de mon genre. Le deuxième est ma mise en contact brutale avec des milieux beaucoup plus radicaux que ceux que j’avais connus auparavant, adolescente ayant simplement lu le Manifeste du Parti  Communiste et Le Deuxième  Sexe.  Et  dans  ces  milieux  radicaux,  j’ai rencontré des féministes, des femmes aux expériences semblables aux miennes, aux expériences différentes des miennes, mais quoi qu’il arrive, qui se soutenaient et se protégeaient mutuellement.  Si  aujourd’hui  je  suis qui je  suis,  c’est  grâce  à  une  prise  de  conscience violente de l’oppression que je subis, certes, mais aussi de celles que je ne subis pas, mais  que  d’autres  subissent.  La  remise  en  question  de  mon  oppression inconsciente d’autres êtres humains, et ma volonté de mettre fin à ces oppressions m’ont poussées à faire des recherches par moi-même, à développer une opinion, en discutant avec d’autres féministes. Il n’existe  pas  d’opinion  universelle,  ni  de féminisme  universel,  mais une conscience des  problèmes  et  de  leurs  tenants et aboutissants est nécessaire pour comprendre et résoudre ces problèmes.  

Par Daphné Deschamps, 18 ans