Bon, ça y est. C’est le bac. Ça commence là, on compose, on est des centaines de milliers. Ça va durer une semaine, ça fait des semaines qu’on révise et ça fait des décennies que ça dure.

Des décennies que tout le monde se soumet à la routine bachelière, parce que c’est normal, parce que tout le monde y est passé, parce que c’est le premier grade universitaire.

Parce que tout le monde aime l’université.

Même les 175.000 qui sont en train de passer le bac sans affectation. En attente.

« Puisque vous n’avez pas la fac, ayez au moins le bac. » « On ne sait jamais, si une place si libérait ? »

Ils n’ont toujours pas compris, s’ils savaient réellement ce que l’on pense de leur fac, de leur bac et de leur BAC.

Toutes les nuits on imagine le Rectorat brûler. Quelle idée d’avoir placé le Rectorat dans la Sorbonne.

Ce même Rectorat qui, pendant tout le mois de mai, a ordonné aux flics de débloquer nos lycées, de les évacuer, de les surveiller quotidiennement. Plus personne ne fait la différence entre le rectorat et la préfecture.

Le fond de l’air est rouge disaient certains il y a cinquante ans, aujourd’hui il nous paraît bleu. On a vécu avec les flics pendant un mois. Printemps policier.

C’est par là que tient leur Éducation Nationale, étouffer les esprits, maintenir les corps. Il ne s’agit que de policer. Sans cela, tout s’effondre. La police n’est qu’une manière, parmi d’autres, de retenir l’effondrement. De nous faire disparaître.

Et pourtant. On est en train de passer le bac. On aurait pu se venger, on y a pensé. Bloquer le bac, déclencher les alarmes incendie, zbeuler quoi. Ç’aurait pu être drôle. Mais le bac ce n’est pas des partiels, le bac c’est important, on ne rigole pas avec le bac.

Nous avons décidé d’être sérieux, de nous essayer à la discipline bachelière. Comment la critiquer sans la connaître, pire, comment la défaire ? Nous sommes rentrés dans le rang, et nous avons travaillé. Nous avons travaillé à notre détestation sans faille de ce que sont les examens, de la manière dont ils séparent du vivant, dont ils font disparaître ce qui est au profit de ce qu’il y a.

Ce qu’il y a : le socialisme, le communisme et le syndicalisme en Allemagne depuis 1875, le Proche et le Moyen-Orient, foyer de conflits depuis la fin de la Première Guerre mondiale, gouverner la France depuis 1946 : État, gouvernement, administration, héritages et évolutions, les territoires dans la mondialisation, l’Afrique : les défis du développement, l’articulation du marché du travail et la gestion de l’emploi, les fondements du commerce international et l’internationalisation de la production, la contribution des pouvoirs publics à la justice sociale, l’instabilité de la croissance, etc.

Une vision morale et partielle de l’histoire, une analyse belliqueuse du monde, la propagande continue d’un système essoufflé qui par là se maintient, l’évidence d’un territoire unifié par l’économie, une construction des regards profondément néocoloniale, la raison économique, etc.

Ce qui est : le communisme de nos printemps, les printemps arabes, le Rojava, se rendre ingouvernable, Notre-Dame-Des-Landes, passer la frontière, fêter la grève, les occupations ; le printemps.

Ils construisent une réalité séparée de la vie, tout sauf réelle. Bref, la philo, c’est dans la rue.

Néanmoins, si nous avons accepté la temporaire pacification de notre rapport au monde, si nous nous sommes soumis au rituel bachelier, si nous ne le faisons pas directement déborder, nous avons une idée : occuper le bac.

Puisque le printemps fut aux occupations, pourquoi nous arrêter à l’orée de l’été ? La proposition est simple – pour la plupart des candidats, les épreuves se terminent le vendredi 22 juin à 16h. Il s’agirait, à ce moment-ci, après la dernière épreuve, de ne pas quitter les centres d’examen, d’y rester, de s’y installer, de les habiter, de fêter la fin du bac, la fin d’un printemps laborieux et de s’organiser en vue d’un été ardent.

Le bac est une fête, le lycée est fini, nous sommes des ouvertures.

Nous avons donc cinq jours pour mettre en jeu des complicités suffisamment puissantes dans nos centres d’examen, pour créer des amitiés entre les épreuves, voire pendant pour les plus téméraires, et libérer enfin ces lieux de la morne fonction qui leur est assignée.

Et il y en aurait des possibles, dans des lieux qui restent déserts pendant deux mois.

Nik la fac, nik le bac, nik la BAC.

Des « sans-fac »