Juge : Olivier WEISPHAL
Assesseur·euses : Michel AIRIAUD et Florence CROIZE
Procureure : Fabienne BASSET
Avocat de la défense : Pierre Huriet
Avocate du flic : Annie Huppé

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Y. est accusé de violences sur personne dépositaire de l’autorité publique sans ITT.
Il avait été interpelé lors de la manif du 14 avril contre les expulsions. Il avait été présenté en comparution immédiate le 16 avril, avait demandé un délais pour préparer sa défense et était sorti sous contôle judiciaires (interdiction de paraître en Loire-Atlantique).

Le juge commence à décrire les faits reprochés. Il explique que les CRS étaient là pour faire le maintien de l’ordre de deux manifs qui se déroulaient ce jour là à Nantes. L’une syndicale, qui – d’après la police – s’est bien passée, l’autre contre les expulsions, qui aurait dégénéré. Parmi ces CRS, il y en a un qui raconte qu’il a reçu des projectiles tout le long du parcours. Il en a notamment reçu un sur l’épaule droite, qui ne l’a pas blessé.

À la fin de son résumé, il suspend l’audience au motif qu’il ne se sent pas bien. Il faut dire que le temps est orageux et qu’il fait très chaud dans la salle d’audience. Une question nous taraude : si l’un·e des prévenu·e·s avait eu trop chaud, aurait-elle pû demander une suspension ? La réponse viendra plus tard dans l’après-midi, N. accusée de plusieurs vols avec effraction est visiblement affaiblie dans le box, personne ne lui proposera de prendre quelques minutes pour reprendre des forces.

On attend. Y. est assi sur le banc réservé aux accusé·e·s, son avocat à côté. Plus de 10 minutes passent avant que les juges ne refassent leur apparition.

L’audience reprend.Le juge rappelle à Y. qu’il a reconnu en garde à vue avoir eu le visage dissimulé et la participation à un attrouppement  (la participation ne lui sera plus reprochée par la suite[1]

Juge : Vous avez voulu relancer une grenade (en réalité un palet de lacrymo), il y avait aussi des gravillons dans la poignée. Quel geste avez vous fait ?
– Y. : Vers l’arrière
– Juge : Vous n’aviez pas vu la police qui contournait la maison de la mer ?
– Y. : Non
– Juge : Pourquoi aviez-vous le visage dissimulé ?
– Y. : C’était une protection contre les hacèlements

[…]

Y. : J’avais un masque de protection pour les yeux et mes lunettes. Heureusement parce que le masque et les lunettes ont été cassées. J’aurais pu perdre mon oeil !

[…]

Juge : Vous militez depuis longtemps ?

[…]

– Y. : Je n’ai pas entendu de sommations
– Juge : c’est là que je voulais en venir. Donc vous n’avez pas entendu les sommations ?
(Rappel : Y. n’est pas accusé d’avoir participé à un attroupement après sommations)

[…]

Juge : il est dit dans le PV que vous avez reçu une giffle par un passant.
(En réalité Y. s’est pris plusieurs claques sans que les flics ne réagissent)

[…]

Annie Huppé est flanquée de deux stagiaires à qui elle ne manque pas de raconter sa vie trépidente d’avocate des flics. Elle nous livre son barratin habituel : Les pôvres CRS sont là pour faire du maintien de l’ordre et ils sont pris pour cible, tout ça, tout ça. Puis elle ajoute : « Ce jour là, ces CRS doivent protéger les biens publics parce qu’en 2016 il y a eu des évènements qui ont mis à mal la ville de Nantes et les Nantais. En 2016, on était en situation presque insurectionnelle et c’est depuis qu’on a ces gros dispositifs policiers ». Elle n’est pas contente que l’avocat de la défence, Pierre Huriet, s’apprête à plaider la relaxe. Elle s’insurge contre le fait que certains puissent penser que parce que les CRS sont équipés ça serait leur boulot de se prendre des projectiles. Elle nous apprend qu’elle intervient depuis 19 ans pour le ministère de l’intérieur (quel dévouement !) et que les CRS en ont ras le bol, qu’elle rencontre chaque partie civile et qu’elle sait que c’est pas facile la vie de CRS : « un jour à Nantes, le lendemain à Bure, puis à Paris où les manifs dégénèrent de plus en plus, pour finir à Dunkerque ou Calais où il y a toujours des migrants ». Elle se met ensuite à parler d’un reportage sur les black blocs diffusé à la télé récemment et qui, d’après elle, montre bien où est la violence. Puis vient le petit moment émotion du spectacle : elle nous lit un sms que lui a envoyé un flic la veille en apprenant que la personne qu’il avait accusée de violence s’était pris de la prison avec sursis. Puis de clore sa plaidoirie en disant que les CRS « risquent leur peau avec les bombes lacry… euh… agricoles, les bombes artisanales, les bouteilles d’acide ». Quelques jours après qu’une grenade jetée par un flic ait arraché la main de quelqu’un, t’aurais pu t’abstenir, Annie.

La procureure, Fabienne BASSET,  dit que Y.  comparait pour éviter l’effet boule de neige, on jette un gravillon, puis d’autres une pierre, puis un pavé, etc… elle fait, au mot près, le même réquisitoire que la veille : elle explique que dans « violence sur agent » il y a le terme « violence » (oui, et donc ?), que les flics sont là pour garantir l’ordre public et protéger les personnes et les  biens et aussi pour garantir les libertés : celle d’aller travailler, faire du shopping, aller chercher ses enfants à l’école, prendre le tram, aller à ses rdv. Elle affirme que les CRS sont là pour protéger les manifestant·e·s les un·es des autres, la preuve : lors de son interpellation Y. a pris un projectile (c’était un projectile de flic et quand Y. s’est pris des claques par un passant, les flics n’ont rien fait).

Pour toutes ces raisons, la proc demande 3 mois de sursis avec obligation de faire un travail d’intérêt général.

L’avocat de Y, Pierre Huriet, s’adresse à la proc pour dire qu’il est surpris qu’elle n’aille pas sur le terrain du débat sur la définition juridique de la violence, alors même qu’elle savait qu’il allait plaider en ce sens. Il rappelle que rien dans le dossier ne prouve que la partie civile ait subi des violences de la part de Y. Il rappelle aussi que l’infraction de « participation à un attroupement » (initialement reprochée à Y.) ne peut plus envoyer les prévenus en procédure de comparution immédiate [1] et que le parquet est bien emmerdé avec ça, alors il colle des poursuites pour violences. Pierre Huriet explique que l’utilisation de la qualification de violence ne peut se faire qu’à certaines conditions : il doit y avoir un élément matériel, un dégât physique ou psycologique et qu’il doit y avoir une intentionnalité. Aucun de ces éléments n’est étayé dans le dossier. Il rappelle, à l’intention de la proc qui s’était adressée plus tôt à la salle,  que la chambre des comparutions immédiate n’est pas  une juridiction où l’on donne des exemple à des classes présentes ou à des manifestant·e·s.

Il demande la relaxe.

RENDU : 2 mois de sursis simple. 200€ de dommages et intérêt pour le préjudice moral et 500€ d’amende pour payer les frais de justice du flic (+ les 127€ de frais de justice qui sont réclamés à chaque personne condamnée). Y. n’écope pas d’une interdiction de territoire !

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[1] Depuis un arrêté de la chambre criminelle de la cours de cassattion, l’infraction de « particiption à un attroupement » ne peux plus faire l’objet d’une comparution immédiate. C’est sûrement pour cela qu’il n’y avait pas eu de comparutions immédiates après les manifs à Nantes pendant tout un moment. La nouvelle stratégie du parquet semble être de coller des procès pour violences sur agent pour passer les gen·te·s en compa, ou alors, comme on a pu le voir récemment pour « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences ou de dégradations ».