note: pour la mise en page, voir le PDF en annexe.

Le communiqué du mouvement du 17 janvier fanfaronne : « Il s’agit bien d’une victoire historique face à un projet d’aménagement destructeur. »

Certes, le projet d’aéroport a été abandonné, et c’est un soulagement dans le monde des tritons et des salamandres. Et encore, nous y reviendrons. Certes, c’est une victoire de la lutte contre l’aéroport de Notre Dame des Landes.
Mais beaucoup d’entre nous avons lutté.e et soutenu la lutte contre l’aéroport et son monde. Le monde capitaliste, pour dire vrai, le monde des inégalités économiques et sociales, le monde de l’oppression et de l’exclusion. Cette lutte-là est-elle victorieuse ? Et si elle ne l’est pas, comment peut-elle quand même rayonner vers d’autres luttes contre de grands projets inutiles et imposés ?

Cette lutte est-elle victorieuse contre VINCI ?
Vinci sort gagnant de cette situation : non seulement, il touchera des centaines de millions d’euros de compensation pour l’abandon du projet, non seulement il engrangera les profits liés à la modernisation de l’aéroport Nantes-Atlantique, mais il va négocier sa montée en capital dans la gestion des Aéroports (ADP), imposant à l’État de devenir minoritaire dans la gestion aéroportuaire… On comprend que Vinci soit des plus conciliants dans cette affaire !
Est-ce donc une victoire remportée sur le monde de l’exploitation, des profits, sur le monde de l’aéroport ?

Cette lutte est-elle victorieuse contre l’État?
Beaucoup de celles et ceux qui ont lutté contre l’aéroport voudraient que l’abandon du projet signifie aussi l’abandon de la lutte contre le monde capitaliste. Déjà se dessinent les luttes dans le domaine de la propriété privée, pour la mainmise sur le foncier entre les paysan.ne.s de la Confédération Paysanne et les agriculteur.ice.s de la FNSEA. Rappelons que l’agriculture, bio ou conventionnelle, n’existe qu’encadrée par des normes édictées par les administrations de l’État et que la propriété privée n’existe que garantie par l’État. Illes vont négocier avec un État qui organise depuis des décennies la disparition des paysan.ne.s les plus fragiles, notamment par la normalisation des productions. Déjà se pointe à l’horizon la lutte pour le contrôle de la Chambre d’Agriculture 44 (élections en janvier 2019). La ZAD sera un champ de bataille agricole.

Parmi les occupant-es de la ZAD, se dessinent aussi des luttes de pouvoir. L’autogestion a donné lieu a de nombreuses groupes-assemblés-comissions. Les inégalitées de classes n’ont pas disparues pour autant, et certain.e.s profitent de ces structures décisionelles tandis que d’autres s’en sentent exclu.e.s. Dans les assemblées, les positions dominantes sont les moins radicales et les plus diluées.

Ce qui manquait à ces fractions dominantes du mouvement pour obtenir la légitimité de la part du gouvernement, c’est évidemment la démonstration qu’elles étaient en mesure d’instaurer l’ordre sur la Zone, l’ordre du mouvement se rapprochant de celui de l’État. C’est ainsi que l’on peut comprendre le nettoyage de la D281, véritable épreuve de force au sein du mouvement.

Là ou en 2012 l’état s’était embourbé, il peut aujourd’hui compter sur des intermédiaires à l’intérieur du mouvement pour pacifier la résistance radicale et normaliser la zone. Le contrôle qu’exerce l’État se retrouve donc progressivement facilité, et même mis en œuvre, sur la ZAD. Les fractions dominantes du mouvement se sont mises en marche vers l’État qui les reconnaît maintenant comme interlocutrices potentielles. Ce qui ne préjuge pas des suites…

Cette lutte est-elle victorieuse pour le monde des tritons?
On comprend que les salamandres et autres bêtes des prairies humides ont bien du souci à se faire, entre une route normalisée où certains rêvent d’y installer quelques crapauducs, et des parcelles qui pourront enfin être remembrées1 après leur mise en vente par l’État. Que restera-t-il de ce bocage qu’on voulait préserver ? Une mini-réserve ou un éco-musée ?

Cette lutte est-elle victorieuse pour les expériences qui se mènent ici?
Des expériences hors normes sont menées ici depuis des années : des productions agricoles hors circuit marchand, des habitats auto-construits, des expériences sociales hors contrôle. Ici existe des lieu de vies pour des personnes sans papier ou illégales, une radio pirate, des groupes de santé mentale, une cabane non-mixte, de l’agriculture végan, des groupes de gestion de conflits qui ne font pas appel à la justice ou la police, des réapropriations des plantes et des soins médicaux, une zone non-motorisée, de l’auto-média, une aide concrete à d’autres luttes (cantines, caisses de soutien, mise à disposition de lieux d’organisation…) des expériences de permacultures. Cette zone une zone de rencontre et de friction de nombreuses visions politiques et de vécus différents.
C’est cela qui donne son sens à la pérennité de cette lutte et qui a enrichi les imaginaires des soutiens extérieurs. Ouvrir la porte à l’état lui donne le pouvoir d’étouffer un par un ces projets qui ne se conforment pas aux normes (impots, sanitaire, urbanisme, …). Les exigences de l’état, relayées par l’Entité interne qui se met en place, fera disparaître ces projets.
Cette lutte, est elle victorieuse contre le capitalisme, le sexisme, le spécisme, le mépris de classe et les pratiques autoritaires ? Après l’abandon du projet, se profile le risque d’une confiscation de cette lutte politique par une mise à l’écart de sa dimension radicale.

Pour qui peut-on alors parler de victoire ?
Depuis le 17 janvier, nous ne sommes plus en lutte contre cet l’aéroport, mais nous sommes toujours en lutte contre son monde et ses alliés.
Ce qui se passe maintenant dans cette lutte se passe aussi dans de nombreuses autres luttes, environnementales ou sociales.

A partir du 10 février, rencontrons-nous et discutons-en, sur la Zad et ailleurs
Invitation à se rencontrer, le 10 février :
11h : à La masacrée (FNxD281) pour manger des crêpes, discuter, aider au chantier de reconstruction, faire une table de presse et differ auprès des gen.te.s qui arrivent pour la kermesse de la victoire
Après-midi : une discussion surprise pour qu’on réfléchisse ensemble de comment faire face aux prises de pouvoir dans des luttes : ici, au Val de Susa, à Bure ou ailleurs.