La troupe de théâtre toulousaine l’An 01 s’est vue décommander un spectacle qu’elle devait jouer dans plusieurs collèges et lycées aveyronnais. En cause un article du site d’extrême-droite Riposte Catholique intitulé « Le lobby LGBT fait son entrée dans l’enseignement catholique de l’Aveyron » qui a été largement relayé par la fachosphère et les restes de la manif pour tous 12, pourtant auto-dissoute en mai 2016[1].

Que ce soit pour éviter toute polémique ou par choix idéologique, la chef d’un établissement où devait être jouée la pièce a envoyé une lettre à la troupe de l’An 01 dans laquelle elle leur interdit « de se produire dans plusieurs lycées privés de l’Aveyron où devait se jouer une dizaine de représentations dès [ce jeudi] et jusqu’au 1er décembre, décision prise en concertation avec le diocésain de l’Enseignement Catholique », soit avec l’évêque François Fonlupt et le directeur diocésain Claude Bauquis. Nous avons alors décidé d’aller voir cette pièce dont le contenu, visiblement hautement subversif, fait trembler les représentants de l’Église chargés d’éduquer nos enfants[2].

Nous avons pu voir la pièce qui a été jouée dimanche 19 novembre à Bruejouls, sous l’œil du chef d’établissement du collège Saint Joseph qui avait décommandé la pièce. Durant les 50 minutes de spectacle les stéréotypes liés aux genres féminin et masculin sont listés avec la participation du public puis questionnés. Les hommes doivent-ils forcément être forts et sûrs d’eux ? Les femmes sont-elles toutes fragiles ? Si je suis fragile ou que j’aime le rose, est-ce que je ne peux pas être un homme ? Voici exactement en quoi consiste « X, Y et moi ? »: des questions. La troupe ne prétend à aucun moment apporter des réponses mais uniquement mettre en lumière les inégalités qui existent encore dans notre société entre hommes et femmes, telles les différences de salaire ou de répartition des sexes dans de nombreuses professions. Un seul et court passage interroge la norme hétérosexuelle lorsque le personnage joué par l’acteur Yohan Bret se demande s’il peut aimer les hommes et les femmes tout en étant un homme. La religion n’est jamais mentionnée durant la pièce. Pas vraiment de quoi affoler l’Église ou les établissements scolaires privés. Au contraire, les parents d’élèves du collège Saint Joseph à Rodez ont finalement reçu une lettre qui fait état du maintien des représentations:     « Des responsables institutionnels, chefs d’établissements et enseignants ont depuis assisté à la représentation.  Il en ressort que celle-ci est de qualité et invite à réfléchir sur l’égalité et la complémentarité hommes / femmes. Le débat qui fait suite, et qui fait partie intégrante de la représentation, permet de s’éclairer mutuellement et participe au discernement. Il a donc été décidé de maintenir les représentations initialement prévues. »

La représentation serait aussi maintenue au collège Sainte Marie à Cassagnes-Bégonhès. Pendant ce temps, le cinéma de Millau diffuse le film Dieu n’est pas mort suivit d’un débat organisé par l’église protestante de Millau « La Source d’Eau Vive ». Le film raconte l’histoire du professeur de philosophie Radisson, interprété par Kevin Sorbo, qui demande à ses étudiants d’attester par écrit que Dieu est mort. L’un d’entre eux, Josh Wheaton,  joué par Shane Harper, s’y refuse. Son professeur le met alors au défi de prouver le contraire. Notons déjà la vacuité du défi imposé par le professeur à son élève. Demander des preuves de l’existence de Dieu est une entreprise futile car son existence relève de la croyance et non de la connaissance.[3]

Le film mise tout sur l’émotion et nous présente une panoplie de personnages caricaturaux à souhait. Le professeur de philosophie est un athée arrogant qui a une attitude horrible envers sa femme chrétienne qu’il traite comme sa servante et rabaisse devant ses amis. L‘étudiant Chinois, toujours sérieux et travailleur, qui ne connaît rien à la chrétienté, ne demande pourtant qu’à être évangélisé au grand dam de son père Businessman qui refuse l’existence de dieu. A la fin, il décidera de suivre Jésus comme tous les personnages du film qui ont été évangélisés. L’étudiante musulmane est forcée de se voiler par son père et écoute la bible sur son Ipod en cachette. Son père découvrant cela la bat et la rejette. Le révérend noir Jude qui vient d’arriver en Amérique répète à longueur de journée « god is good » à chaque situation en rigolant et répare même les voitures en priant. La théorie de l’évolution de Darwin est critiquée par l’étudiant lors de son exposé. Il tente de démontrer que si Dieu n’existe pas, alors tout est permis, car il n’y a plus de morale, plus de limites, plus de règles… La foi du héros, aidé par son prêtre, lui permettra de trouver des réponses à toutes ses questions et à affronter un monde impur, à suivre sa voie (on nous parle du pêcher tout le temps… de la morale…). Le film se termine magistralement, le méchant professeur de philosophie athée se fait renverser par une voiture, mais heureusement des chrétiens sont là et lui disent qu’il a de la chance puisqu’il il va mourir mais que Dieu, dans sa grande sagesse, ne l’a pas tué sur le coup. Il aura tout juste le temps de se faire baptiser…

A Millau des affiches annonçant la diffusion du film ont fleuri dans toute la ville. Il est même surprenant d’avoir pu trouver l’affiche du film sur la vitrine d’une association Millavoise laïque. Surprenant car l’association n’est pas religieuse, alors pourquoi ont-ils une telle affiche sur leur vitrine ? Car ils n’étaient tout simplement pas au courant de la nature du film… Bien entendu l’association a enlevé l’affiche une fois mise au courant.

Concernant le spectacle décommandé dans les lycées, la problématique nous apparait plus large que celle de la seule question du genre ou de l’homophobie. Pourquoi existe-t-il encore, dans un État prétendument laïque, des établissements scolaires sous influence d’institutions religieuses et subventionnés par l’État ? Comment concevoir que l’on puisse prétendre faire cohabiter le développement intellectuel, l’esprit critique et la censure religieuse ?

Dans ce genre de situation la veille contre l’obscurantisme et les institutions religieuses prend tout son sens et le spectacle de l’An 01 n’aurait probablement jamais été reprogrammé si l’affaire n’avait pas fait du bruit jusqu’à en lire un article dans Le Monde[4]. Il n’y a pas d’acquis contre l’obscurantisme. Si nous baissons la garde, si nous ne restons pas vigilants, les églises feront tout pour revenir en force et s’insérer dans les débats publics et nos vies privées.

 

[1] https://www.ladepeche.fr/article/2016/05/15/2344732-la-manif-pour-tous-precise.html
[2] A Rodez la moitié des collèges et la majorité des lycées sont privés.
[3] Sur le thème de la croyance et des preuves de l’existence ou non existence de Dieu, voir Croire ou ne pas croire ? par Hygiène Mentale.
[4] http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/11/18/en-aveyron-le-diocese-annule-un-spectacle-sur-l-egalite-hommes-femmes-dans-des-colleges_5216938_3224.html