[rennes – 19 & 20 janv] #fallaitpaslinviter !
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Local
Thèmes : Actions directesContrôle socialLuttes étudiantes/lycéennesMouvementResistancesZad
Lieux : Rennes
Le 19 & 20 janvier, à Rennes, se tiendront les Assises nationales de la citoyenneté (voir l’article Sainte-Anne contre Sainte-Anne sur expansive) dans le tout nouveau Centre des Congrès de la place Sainte Anne. D’après le site de Ouest-France, le forum « Vivre Ensemble réunira pendant deux jours des personnalités politiques, scientifiques, acteurs de terrain et de la société civile ».
En effet, à grand renfort de communication municipale, le nouveau centre des congrès rennais a été inauguré il y a quelques semaines place Sainte Anne. Fleuron du dynamisme économique de la métropole, il est aussi le symbole d’une politique de gentrification du centre-ville toujours plus agressive : expulsion des populations indésirables du centre-ville, fermeture des bars de la rue Saint-Michel, opération « cartable » (fouille des sacs pour l’interdiction du transport d’alcool), installation massive de caméras de surveillance, interdiction de manifester dans le centre-ville, création d’une deuxième ligne de métro et d’une nouvelle ligne LGV, urbanisation des prairies Saint Martin …
Le centre des congrès a avant tout été pensé comme un aspirateur à hommes d’affaire parisiens sans prendre en compte l’histoire populaire de la place Sainte Anne (voir l’article « La ville à ton idée » sur expansive).
Le Vivre ensemble de Ouest-France masque ainsi l’ensemble de ces rapports de classe conflictuels. Comme le dit Saïd Bouamama, dans un texte appelé « Vivre ensemble » ou « « vivre ensemble égalitaire » ?, « le discours consensuel du « vivre ensemble » masque ainsi la réalité des inégalités croissantes qui détruisent la vie des classes populaires en général et celle de leur composante issue de l’immigration postcoloniale en particulier ».
Penchons-nous un peu plus sur quelques-un·es des invité·es de Forum :
-* Jeannette Bougrab, chroniqueuse à Valeurs Actuelles. Intervention à 9h45 le vendredi 19 janvier dans l’Auditorium : « Face à la montée des communautarismes, quelle laïcité ? »
-* Laurent Solly, directeur de Facebook France. Intervention à 16h30 le vendredi 19 janvier dans le petit Auditorium : « Réseaux sociaux : une aide ou un obstacle au vivre ensemble ? »
-* Jean-Marie Blanquer, ministre de l’Éducation nationale. Intervention à 16h15 le vendredi 19 janvier dans l’Auditorium : « L’École sait-elle préparer les élèves à leur futur rôle de citoyens ? »
-* Pierre Gattaz, président du MEDEF. Intervention à 9h45 le vendredi 19 janvier dans le petit Auditorium : « Économie : le modèle français est-il aussi généreux qu’on le dit ? »
-* Daniel Cohn-Bendit, politicien franco-allemand, soutien à Macron. Intervention à 9h30 le samedi 30 janvier dans l’Auditorium : « Quel vivre ensemble dans des nations européennes en proie aux revendications indépendantistes ? »
Nous invitons tou·te·s les collectifs, associations, individu·e·s de Rennes et d’ailleurs à s’opposer à leurs manières aux conférences et tables-rondes de ce forum. Que ce soit par du chahutage, du tractage, du sabotage, des porteurs de paroles, chorales révolutionnaires, du street art, kermesse, bar, cantines toutes les initiatives sont les bienvenues dans la mesure où elles peuvent cohabiter, sans se faire concurrence (#toimêmetusais).
Nous avons tou·te·s une bonne raison de détester un·e des intervenant·e·s du forum. Nous avons tou·te·s des envies et des pratiques différentes. Faisons en sorte qu’aucun mode d’action n’exclut les autres.
Spéciale dédicace à la ZAD
Nous invitons aussi les opposant·e·s à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes à venir accueillir comme il se doit Bruno Retailleau (sénateur LR) qui intervient vendredi 19 janvier à 16h15 dans l’Auditorium face à Philippe Martinez (secrétaire général de la CGT) dans un {chouette} débat « De Notre-Dame-des-Landes à la loi Travail en passant par l’écotaxe, le vote n’assure plus la totale légitimité démocratique d’une décision politique. Quelles conséquences ? ». Nous serons en effet en pleine attente de la décision de Macron sur la construction de l’aéroport ou non, de l’évacuation de la ZAD ou non.
Parmi les nombreuses canailles invitées au forum du Vivre ensemble, s’il y a en avait une qui était particulièrement attendue, c’était bien Daniel Cohn-Bendit ! Un gâteau d’anniversaire avait même été préparé spécialement pour lui : crème chantilly saupoudrée de petit morceaux de pavés marinés dans le chlorobenzylidène malonitrile (gaz lacrymogène). Il fallait bien accueillir comme il se doit le plus emblématique des ex-leaders de Mai 68 reconverti dans la promotion médiatique et tonitruante du libéralisme autoritaire. Tout était prêt ! Nous nous réjouissons cependant de cette annulation. Le renoncement de Cohn-Bendit à venir fouler les pavés rennais est une première victoire ! Nous allons déjà beaucoup l’entendre en cette année 2018 raconter n’importe quoi sur Mai 68 pour ne pas pousser un ouf de soulagement. Pire que les ultra-libéraux assumés, il y a ces ex-gauchistes passés au service du pouvoir. Pour beaucoup, ils incarnent encore Mai 68 et semblent donc légitimes pour dire ce que fut cet événement, alors qu’ils n’en sont que les fossoyeurs… La présence à Sainte-Anne de celui qui crache depuis des décennies sur ceux qui luttent était une véritable provocation.
Cohn-Bendit a, en effet, joué un rôle déterminant dans l’opération de « révisionnisme historique » qui consiste à faire de la plus grande grève du mouvement ouvrier français un événement culturel, sociétal, voire même l’événement qui a permis au libéralisme de triompher en France. Et la réduction de Mai 68 à la trajectoires de quelques personnalités est un des éléments-clés de cette opération.
Comme l’a analysé Kristin Ross dans Mai 68 et ses vies ultérieures : « Réduire un mouvement de masse aux itinéraires de quelques-uns des soi-disant leaders, porte-parole ou représentants (plus particulièrement ceux qui ont désavoué leur « erreurs du passé ») constitue une vieille tactique de confiscation, aussi efficace qu’éprouvée. Ainsi circonscrite, toute révolte collective est désamorcée, et donc réduite à l’angoisse existentielle de destinées individuelles. Elle se trouve ainsi confinée à un petit nombre de personnalités auxquelles les médias offrent d’innombrables occasions de réviser ou de réinventer leurs motivations d’origine »1.
Ce sont ces ex-leaders qui vont défiler (parmi d’autres) dans les médias, en cette année 2018, pour relayer l’histoire officielle qui fait de Mai 68 « un drame familial ou générationnel, totalement dénué de violence, d’aspérités ou de dimension politique déclarée, une transformation bénigne des mœurs et des styles de vie inhérents à la modernisation de la France et à son passage d’un ordre bourgeois autoritaire à une nouvelle bourgeoisie moderne et économiquement libérale. »2 Les machines de propagande des mass media vont tourner à plein régime. Même si comme le dit Cohn-Bendit : « La célébration de 68, on en a discuté avec Emmanuel [Macron], qui nous a prévenus. 2018, ça allait être un problème parce qu’il y a déjà 1918 et 1958. Mais si Emmanuel veut en profiter pour débattre du rôle de l’utopie dans l’histoire, OK ! »3 Deux commémorations ça va, mais trois…
Daniel Cohn-Bendit est depuis des décennies au premier rang de ceux qui participent activement à véhiculer cette histoire officielle d’un Mai 68 dépolitisé : « Dans les années 80, un Daniel Cohn-Bendit embarrassé, contraint de commenter à la télévision les images d’un réunion de 68 dans laquelle il utilise ce langage [société de consommation, répression, contestation capitalisme, etc.] se voit obligé dans sa volonté de prendre sa distance par rapport à ce qu’il fut, d’inventer sur-le-champ un nouveau slogan : « Sous la langue de bois, le désir ». S’exprimant ensuite dans lanouvelle langue de bois de la génération perdue, il poursuit : « On avait des idées justes, mais des discours faux, c’était la langue de bois. » Traduction : les stéréotypes marxistes que nous utilisions n’étaient qu’une façade, derrière laquelle la véritable signification de Mai, sa vérité cachée, le désir et la liberté d’expression individuelle, attendaient pour éclater au grand jour. Le langage de classe gauchiste, qui était au cœur du mouvement, doit être négligé et considéré comme un élément qui empêchait l’émergence d’un Mai plus authentique, celui de l’âme, du désir individuel et de la spiritualité. Il faut oublier la langue que nous utilisions dans les années 1960, car ce que nous voulions vraiment dire, nous ne pourrions l’exprimer que plus tard, dans le nouveau langage des années 1980. »
Daniel Cohn-Bendit n’a pas seulement réécrit l’histoire, il s’en est aussi pris aux grévistes de 1995 : « Il fallait sans doute s’attendre à ce que ce soit Daniel Cohn-Bendit qui tente de mettre en place les termes officiels d’une comparaison entre Mai 68 et les révoltes de 1995, manipulant les deux événements de telle sorte qu’une version déformée de Mai puisse être utilisée pour discréditer ce qui était devenu le plus grand soulèvement populaire en France depuis un quart de siècle. Dans son article publié dans le Figaro (…) il oppose le « mouvement de modernisation de Mai » au mouvement conservateur de 1995 », le dernier se résumant, à ses yeux, au slogan « Ne touchez pas à mes gains ». (…) La comparaison de Cohn-Bendit fait d’une pierre deux coups : en renforçant l’image consensuelle de Mai comme mouvement de modernisation marchant de pair avec l’économie de marché, il fait en sorte que les revendications et les préoccupations des grèves de 1995 soient considérées comme des anomalies anachroniques, qui, en se retranchant dans le cadre national, se retrouvent en total décalage avec les réalités globales – en un mot, rétrogrades et conservatrices.4 »
Et comme l’ex-libertaire ne s’est pas contenté de passer du col Mao au Rotary club, il est dorénavant l’un des soutiens les plus fervents de Macron. Le Canard enchaîné a révélé dans son édition du 4 octobre 2017 que lors du discours de Macron sur l’Europe, dans une Sorbonne protégée par des lignes de CRS, dans un amphithéâtre où les étudiants semblaient endormis, Dany était bien présent : « Heureusement pour Macron que Daniel Cohn-Bendit, assis au premier rang, était là pour chauffer la salle ». Le Centre des Congrès perd un chauffeur de salle hors-pair. Heureusement, il reste le président du Sénat Gérard Larcher !
Quelques semaines plus tôt, le Nouvel Obs[5] titrait « Cohn-Bendit juge Macron : « On ne naît pas président, on le devient » ». Et l’ex-leader de 68 livrait ses impressions : « Depuis qu’il a été élu à la présidence Emmanuel Macron ne m’a pas déçu. Son parcours correspond à mes attentes. Ce qui ne veut pas dire que tout a été parfait. Le sans-faute n’existe pas. » De contestataire à courtisan, Cohn-Bendit n’a peur de rien… sauf de venir à Rennes.
Le forum du « Vivre ensemble » perd cet imposteur qui incarne encore Mai 68 aux yeux du grand public… C’est déjà ça.
1 – Kristin Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures, éditions complexe/Monde diplomatique, 2002, page 11
2 – Ibid, page 200.
3 – http://www.regards.fr/IMG/pdf/romain_goupil.pdf
4 – Ibid p. 218 et 219
5 – Nouvel Obs,6 août 2017
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