Mais au fond, qu’est-ce qu’on fout là  ?

« Nous voulons un boulot de merde,

payé des miettes !»

Les chômeurs heureux.

DE MANIFS EN MANIFS, DE «DEBOUTS» EN «SOCIAL», il y a comme un fantôme qui agonise : la gauche politique et syndicale. Au milieu de ces cortèges funéraires, souvent nous nous sentons étrangers. Et comme partout ailleurs, au quotidien, le font de l’air est xénophobe et réactionnaire, on a sacrément du mal à prendre notre souffle.

Nous sommes précaires, chômeur-se-s, retraité-e-s, étudiant-e-s. Des CDI, des salaires décents, nous n’en avons jamais connus, et n’en connaîtrons sans doute jamais. D’ailleurs, ça ne nous a jamais fait rêver. Pour certain-e-s, nous étions de ceux et celles qui gueulaient en 2006, «CPE, ni CDI, tout ce qu’on veut c’est rester au lit»… Nous n’avons pas oublié à qui le travail et son code profitent. Le code du travail ne nous a que trop rarement «égés». Et pour cause c’est le fruit d’un compromis entre le capital et le travail. Ce genre de compromis on en a tous fait, faut bien becter, mais c’est loin d’être notre utopie.

Parce que si nous sommes tout cela, nous sommes surtout bien davantage. Nous portons en nous une détestation de ce monde, et partageons le rêve commun du vieux mouvement révolutionnaire de le détruire.

Et quand on se retrouve sur un blocage, on ne s’étonne même plus de découvrir des actions négociées avec la préfecture. Et encore moins des bureaucrates syndicaux qui se dissocient de la moindre action directe. Nous nous sentons souvent bien seul-e-s pour défendre les compagnon-ne-s engeolé-e-s lors du mouvement dit «la loi travail» du printemps 2016.

Si nous nous sentons étrangers et étrangères aux manifs c’est que ce ne sont jamais nos conditions de vies qui sont évoquées, ni des aspirations avec lesquelles nous pourrions avoir une complicité qui sont mises en avant, ni nos manières de lutter qui s’expriment.

«Mélenchon, piège à cons !».

Le temps de la redistribution est fini. Le capital se gave. Aujourd’hui avec Macron, les faux semblants, c’est également fini. Le président vient de chez Rotschild, le premier ministre d’Areva. La complicité entre Etat et capital n’est même plus masquée. Le recours à la société civile, c’est le recours au MEDEF. La suppression de l’ISF et la baisse des APL en sont emblématiques. Mais rien d’étonnant là-dedans. Le capitalisme pour exister a toujours eu besoin de l’Etat.

Les attaques successives, de la loi travail à l’assurance chômage, en passant par les régimes de retraites, montre que le capital entend encore davantage accentuer nos conditions d’exploitation et de domination. Le recours à l’intérim, la sous-traitance, l’auto-entreprenariat, l’enchainement des CDD à vie se généralisent. Chacun de nos gestes, chaque objet de notre quotidien, sont susceptibles de devenir encore davantage des marchandises. L’emprise de l’économie sur nos vies continue de s’étendre. Et le capital ne lâche plus rien.

C’est d’ailleurs parce qu’il ne lâche rien qu’il s’appuie sur l’Etat d’urgence, dont il généralise les prérogatives. Nous en avons déjà sentis les effets lors du mouvement du printemps 2016, où des compagnon-ne-s se sont vus interdire de manifester. Comme les assignations à résidences pleuvent, les violences policières se généralisent au moindre blocage ou à la moindre occupation, les espaces de luttes sont vidés. Le moindre soupçon de «mauvaises intentions» sont tuées dans l’œuf.

Pour que tout continue, il faut que chacun et chacune demeure isolé, vive seul les attaques qu’il ou elle subit. Les menaces de la crise, du terrorisme, des catastrophes écologiques deviennent des rappels à l’ordre.

Mais paradoxalement, c’est lorsque l’Etat comme le capital nous assène qu’il n’ont plus rien à nous offrir, que l’hypothèse réformiste bégaye ses vieilles illusions idéologiques. Et même, s’il n’y a plus beaucoup de miettes à négocier, que l’époque des acquis sociaux et de l’Etat providence est révolue, que le réformisme est plus que jamais une impasse, bureaucraties syndicales et Partis politiques de gauche continuent de vouloir négocier la taille de nos chaines. Mélenchon et les «insoumis» entendent même se faire passer pour les représentant-e-s du mouvement social. En l’occurrence, ces «insoumis» ne visent rien d’autres qu’accéder au pouvoir. Ceux et celles qui croient sincèrement au mirage politicien «Mélenchon», vivront les mêmes désillusions que les générations successives qui ont cru en la solution électorale. Il n’y a rien à attendre de la représentation politique comme les échecs de Syriza en Grèce ou de Podemos en Espagne sont venus nous le rappeler.

Surtout qu’aujourd’hui cette gauche-là, renouant avec les relents patriotiques et coloniaux de la vieille gauche, applaudit les flics, condamne les «casseurs», chante la Marseillaise.

Nous n’aurons que ce que nous prendrons.

Que ce soit pour résister aux attaques que nous subissons ou pour porter des coups à ce système qui nous exploite chaque jour un peu plus, nous n’avons d’autres choix que de nous organiser à la base. Depuis 2016, les directions syndicales et politiques ont une nouvelle fois démontré que leurs intérêts n’étaient pas les nôtres. De journées de grève éparpillées, en blocages fantoches, rien ne permet de peser sur la situation. Or c’est en portant des coups à l’économie toute puissante que nous serons en mesure de renverser un tant soit peu la situation.

Certain-e-s nous vendent la nécessité d’un Front social ou d’une convergence des luttes, en s’en remettant à une composition avec des bureaucraties syndicales et politiques. C’est-à-dire ceux et celles là même qui n’ont eu de cesse de désarmer les mouvements successifs. La tentative de blocage organisée par les routiers en est une parfaite illustration. Lorsque certains et certaines d’entre nous nous sommes retrouvés à La Maison du peuple pour organiser un blocage routier, la préfecture était tenue a courant de nos faits et gestes. Un de ses représentants était accueilli avec tous les égards que les syndicalistes d’accompagnement leur portent. Pourtant, quelques heures plus tard, la section d’intervention montrait que ces égards n’avaient rien de réciproques et que dorénavant syndicalistes «bloqueurs» comme «anarcho-autonomes» ou «jeunes de cités» sont tous et toutes des terroristes potentiels.

Aux assemblées de lutte autonomes de 2016, certes déjà minoritaires mais qui ont été capables d’organiser quelques blocages et occupations, ont succédés les assemblées de secteur et les inter-organisations. Quelques dizaines de personnes par dynamiques sans espaces communs pour s’associer réellement. Plus rien ne se discute, tout est appelé à se connecter. A l’éparpillement administré par les directions syndicales a répondu l’éparpillement administré par le Front social ou les espaces de convergence.

Nous avons tenté de maintenir des assemblées de luttes ouvertes à tous et toutes, syndiqué-e-s et non syndiqué-e-s, autonomes des Partis et des syndicats. Force est de constater que dans la situation actuelle, contrairement à d’autres villes ces assemblées n’ont pas pris. Du fait de nos propres faiblesses, de la résignation générale qui a succédé à 2016, et de la volonté de nombreux-ses protagonistes des assemblées de luttes de leur substituer des inter-organisations ou des assemblées de secteurs. Nous continuons de penser que ces assemblées bien qu’imparfaites demeurent nécessaires. Notamment pour organiser des actions efficaces, attaquer l’emprise de l’économie sur nos vies. Ce n’est pas juste par des défilés sporadiques et des déambulations mornes que nous pourrons affronter les attaques que l’on subit. On entre pas dans un monde meilleur sans effraction.

L’assemblée autonome.

Les assemblées de lutte momentanément devenues minoritaires, nous avons décidé de reprendre nos activités communes au sein de l’Assemblée autonome. Ce qui ne nous dissuadera pas d’appeler ou de participer dans les prochains mois à de nouvelles assemblées de lutte.

L’Assemblée autonome est née à la fin de la lutte du printemps 2016 dite «la loi travail», à partir d’un constat simple. En quelques mois des liens, des complicités s’étaient tissées. La « lutte contre la loi travail et son monde », les occupations d’amphi, les assemblées de lutte, ont fini par nous déterminer à ouvrir une assemblée autour de quelques constats et perspectives. Les bureaucraties syndicales accompagnaient le mouvement en jetant les secteurs les plus combatifs en grève au compte-goutte, en condamnant les prétendus « casseurs » et « casseuses », en organisant des service d’ordre contre une partie des manifestant-e-s. Ces bureaucraties agissaient déjà contre la partie de leur base la plus combative.

Face à ce constat, l’assemblée est née simultanément du désir de reprendre et de lier diverses individu-e-s, initiatives d’auto-organisation qui s’étaient exprimées en dehors des institutions, Partis, syndicats et pouvoirs publics. De le faire contre des tendances qui visaient à composer avec ces derniers. Et de le construire sur la durée.

L’Assemblée autonome se veut à la fois un espace d’échanges et de discussions, où peuvent se proposer des réflexions, des infos et se coordonner des activités entre différentes personnes participant parfois à d’autres collectifs et initiatives, tout autant qu’un espace de lutte, où se préparent interventions publiques et actions collectives. Elle se veut ainsi une force sociale et politique autonome contre l’ordre existant. Une force anticapitaliste et anti-autoritaire.

Nous avons ensuite poursuivis notre activité en nous opposant à la mascarade électorale dont il ne pouvait rien sortir de plus que l’avènement d’un Macron ou de l’un de ses clones.

Notre lutte n’est pas prête de s’arrêter. Les attaques se succèdent. Cette ambition de poursuivre l’aventure d’une assemblée autonome est non seulement importante pour la suite de ce mouvement, pour notre implication collective en son sein, mais également pour les mois et années qui viennent.

Notre prochaine Assemblée autonome se tiendra le lundi 23 octobre à 18 heures au Local Apache (35, boulevard Poincaré).

L’assemblée autonome,

Caen, Octobre 2017

assembleeautonome.caen(a)riseup.net