Jeudi 19 octobre, la journée de mobilisation, annoncée tard et peu relayée, est pressentie à l’avance comme plus faible et dispersée que les précédente. A midi, 200 dockers bloquent la circulation à l’ouest de Nantes, devant un siège patronal pendant qu’une autre action contre les maladies du travail liées à l’amiante est menée devant la tour Bretagne. A 14H, une foule d’environ 500 personnes s’agrège devant la préfecture. L’ambiance est plutôt maussade, il est même question de ne pas partir en défilé. Mais le petit cortège finit par s’élancer, emmené par la jeunesse. A la surprise générale, la manifestation se met à enfler de façon inespérée pour atteindre 2500 manifestants. Le mélange des manifestants a atteint une telle hétérogénéité qu’on peut estimer que l’ensemble de la manifestation est devenue un important cortège de tête pluriel et multicolore. D’entrée de jeu, au bout de quelques centaines de mètres, une forêt de parapluies s’immobilise devant un mur de la préfecture, dans un nuage de fumigènes. Une foule s’attroupe. Des bombes de peintures tintent et passent de mains en mains dans une ambiance participative. Au bout de quelques minutes, un épais nuage orange finit par se dissiper et dévoile un message lourd de promesses, sur plusieurs mètres de long, adressé à la préfecture : « aujourd’hui on la peint, demain on la prend ». Applaudissements. La manifestation repart alors que l’hélicoptère apparaît dans le ciel.

La police n’avait manifestement pas anticipé l’hypothèse d’un défilé en mouvement de plus de deux mille personnes dans la ville, il n’y a donc pas, pour cette fois, de cohortes de policiers cagoulés et armés le long du parcours, provoquant sans cesse les manifestants. C’est donc dans une ambiance sereine que la manifestation continue. Les tagueurs semblent de plus en plus nombreux, on peut même voir des porteurs de chasubles rouge s’emparer d’un mur à coup de peinture. Arrivé à l’angle de la rue de Strasbourg, qui est, comme la majeure partie du centre-ville, systématiquement interdite aux manifestants, une salve de projectiles s’abat sur des CRS venus précipitamment privatiser l’espace. Des grenades lacrymogènes pleuvent sur la foule, divisant en deux le cortège qui finit par se réunir au miroir d’eau. Après quelques prises de parole, chacun repart avec le sentiment d’une solidarité consolidée entre forces actives du syndicalisme et habitués du cortège de tête.

Ce qui se joue depuis le printemps 2016 n’est pas un mouvement, mais une forme discontinue d’agitations variées, ponctuée de grosses manifestations, d’actions diverses, d’éruptions de colère et de créativité, de moments d’accalmie et d’affrontements dilués sur tout le territoire. A l’image de la situation politique : incertaine. La période est d’une grande volatilité, avec une colère qui couve sans parvenir à jaillir. Le début d’automne aura vu émerger à Nantes une forme nouvelle d’intervention politique dans la rue, avec des complicités de plus en plus larges.

Le climat social risque bien d’être morose dans les jours et les semaines qui viennent. La prochaine manifestation d’envergure est pressentie pour le mois de novembre. D’ici là, il s’agira de renforcer les liens tissés ça et là, et de trouver les occasions d’entretenir le feu qui couve.

Bilan de la répression : une manifestante brûlée à la tête par une grenade lacrymogène et deux interpellations de mineurs qui quittaient la manifestation.