L’objectif affiché de cette loi est de baisser le coût du travail, d’adapter le code du travail aux nouvelles conditions du marché du travail pour relancer la croissance. Du point de vue des salarié-e-s cela va se matérialiser par la baisse généralisée des salaires, une dégradation accélérée du niveau de vie et des conditions de travail.

Si toutes cell-eux qui galèrent vivent déjà les conséquences d’une telle loi au quotidien et savent déjà à quoi s’attendre, il nous semble important de pointer que cette loi n’est que l’arbre qui cache la forêt d’une mutation sociale de plus grande ampleur. La baisse des salaires est un mouvement inévitable. Elle est liée à la baisse de l’offre de travail salarié qui découle des applications au sein des entreprises des progrès de la mise en réseau et de l’automatisation.

Ce qui nous est proposé comme compensation de cette perte de revenus est ce que l’on appelle trivialement « uberisation de la société ». C’est à dire une nouvelle forme de médiation capitaliste qui au moyen des nouvelles technologies prélève une commission ( et donc fait du bénéfice ) sur les services que se rendent les gens entre eux. Un espèce de grand marché où tous les rapports sociaux sont transformés en rapports marchands et où chacun-e est tour à tour patron-ne et salarié-e, exploiteur-euse et exploité-e. Ce qui relevait de l’entraide et de la solidarité est transformé en emploi sous payé où les intermédiaires ( applications, sites internet ) prélèvent une commission sur de nouvelles formes de travail détaxées. Il en découle une mise en concurrence avec les travailleur-euses qui exécutent les mêmes tâches pour un coût plus élevé, qui comprend en plus du salaire direct un salaire indirect, ce dernier correspondant à la restitution sous la forme de services publics de ce que les employeur-euses ou les travailleur-euses indépendant-es payent sous forme de cotisations sociales.

Il n’est pas ici question de défendre l’État providence ou le travail salarié, mais d’essayer d’analyser les mutations sociales en cours pour pouvoir s’opposer à ce qu’elles vont amener en matière d’exploitation et de domination dans nos vies. A terme ( et avec une pointe de pessimisme ) c’est l’ensemble des rapports sociaux et des liens d’entraide qui vont basculer dans la sphère marchande. Déjà aujourd’hui nous sommes tou-tes soumis-es à des formes de travail invisibles. Par exemple chaque fois que nous rentrons un captcha nous aidons à développer des mécanismes d’intelligence artificielle au profit des grandes firmes de la Silicon Valley ou quand nous utilisons une carte de fidélité au supermarché nous participons à une étude de marché permanente pour le compte de la grande distribution ; les grands réseaux sociaux sur internet sont propriétaires de toutes les données que nous rentrons, et ne se privent pas de les réutiliser de manière profitable, en vendant des espaces plublicitaires ciblés où en revendant des listings à des entreprises à des fins de démarchage commercial. Le capitalisme commence déjà à se passer du travail salarié pour produire de la plus-value. Paradoxalement dans cette société où nous sommes toujours plus connecté-es au monde, nous perdons aussi du pouvoir sur nos vies, sur comment et quoi produire, sur l’aménagement des espaces où nous vivons ou sur la manière de disposer de notre temps libre. 

L’économie informelle relève de la débrouille et de la solidarité, face à la nécéssité de trouver de l’argent pour vivre causée par la société marchande. L’uberisation de la société va investir le champ de l’économie informelle, et de plus en plus de gens vont être amené-es à y participer pour gagner de quoi survivre. Il nous semble toutefois important d’essayer de comprendre les enjeux et les conséquences de ces processus.

Cela va se traduire premièrement par une mise en concurrence des travailleur-euses avec des gens qui fourniront les mêmes prestation moins cher ou gratuitement. Par exemple un plombier sera mis en concurrence avec une personne qui va proposer de réaliser des travaux de plomberie via une application ou une conciergerie de quartier à un tarif inférieur ; ou un photographe professionnel sera mis en concurrence avec n’importe quelle personne qui fait des photos d’un événement, et qui les poste sur internet et accepte de les céder gratuitement à l’organisateur de l’événement pour en faire la promotion. Deuxièmement par la transformation des rapports de solidarité et d’entraide qui existent au sein d’une communauté ou d’un groupe en rapports marchands. Pourquoi prendre une après midi pour aller aider ton voisin à repeindre son salon, quand tu peux te faire 60 balles en faisant la même chose si tu proposes tes services sur n’importe quelle application pour bricolo ? Si tous les rapports sociaux étaient médiatisés par l’argent on peut imaginer que beaucoup d’entre nous seraient plongé-es dans un découvert permanent et sans fond. Aujourd’hui l’entraide entre les gens reste un travail réel qui n’entre pas dans la sphère marchande, mais permet à beaucoup de bouffer autre chose que des pâtes sans beurre à partir du 15 du mois.

Au delà des conséquences économiques sur nos quotidiens, cette mutation sociale rendue possible par la mise en réseau de l’humanité ( petit exemple cocasse en Somalie où il y a plus de gens qui ont un téléphone portable que de gens qui mangent à leur faim quotidiennement ) est aussi une emprise supplémentaire sur nos vie pour le pouvoir. Fichage, surveillance, traçabilité, big data et analyse prédictives au moyen d’algorithmes. Tout ce qui relevait de relations informelles avec ce que cela implique d’opacité et d’invisibilité pour le pouvoir devient médiatisé par les smartphones et internet et offre de ce fait une prise au contrôle et à la répression. De nos petites transactions quotidiennes à nos vies et nos affects, tout ce qui transite par le réseau est intégré de manière profitable par l’économie capitaliste.

On entrevoit déjà la dématérialisation totale de l’argent, et les conséquences qui en découleraient sont assez effrayantes : que deviendrait l’économie informelle qui permet à beaucoup de survivre, le pouvoir pourrait voir qui dépense quoi et comment, qui gagne quoi ; et s’il se pose la question du comment il n’aurait qu’à bloquer une ligne de crédit dans un ordinateur sur un simple coup de fil à la banque. Cell-eux qui seront coupé-es du réseau seront de fait exclu-es de l’économie et de la vie sociale. La mise au ban de pans entiers de la société à portée d’un clic ; quelle clique de gouvernants n’en a jamais rêvé, n’oublions pas que les rêves du pouvoir sont nos cauchemars.

Nous pensons que ces mutations technologiques ne sont pas un processus abstrait sur lequel nous n’avons aucune prise, mais des choses qui nous touchent déjà de manière très concrète dans nos quotidiens. Qu’il existe de nombreuses failles dans ces dispositifs et qu’il nous revient de les trouver et de les exploiter pour s’émanciper. Et que pour faire face à ces transformations il est nécessaire d’envisager de nouvelles formes d’organisations et de résistances qui ne soient pas centrées sur le travail salarié et l’entreprise mais sur la lutte contre la colonisation de la vie quotidienne par l’économie capitaliste.

On peut constater que l’atomisation sociale et l’aliénation qui découlent de l’usage massif des technologies de l’information et de la communication dans la vie quotidienne, poussent nombre d’entre nous à rechercher de nouvelles formes de communication pour sortir de l’isolement dans lequel nous nous retrouvons plongé-es.

Il nous paraît intéressant d’analyser l’émergence de Nuit Debout lors du dernier mouvement social, comme une tentative maladroite de retrouver des formes de communications non médiatisées entre les gens. Si l’échec de Nuit de Debout tient à notre sens, d’une incapacité à transformer ce qui petit à petit est devenu le bureau des pleurs du prolétariat urbain atomisé en espace d’organisation réelle qui aurait permis aux gens d’avoir une prise sur le cours de l’histoire. Il nous semble intéressant d’en tirer les conséquences pour les luttes à venir. Peut-être qu’il serait plus intéressant de faire naître 10/100/1000 Nuits Debout, chacune avec leurs identités propres et qui regrouperaient les gens autour de projet concrets sur la base d’intérêts matériels convergeant, sur des bases territoriales, ou d’affinité politique ; plutôt qu’une grande assemblée qui centralise tout où il est impossible de faire quoi que ce soit concrètement et où les tribuns professionnels rejouent chaque soir le spectacle de la démocratie parlementaire. Il peut être utile de rappeler que le rôle d’une assemblée dans une lutte est de permettre aux gens de se rencontrer pour organiser matériellement la lutte, et qu’une assemblée où les gens qui décident de faire quelque chose en déléguant la réalisation n’est rien d’autre qu’une pâle copie de la farce démocratique.

Nous pensons que nos luttes ont besoin d’espaces permanents pour se développer, qu’occuper une place 6h par jour et tout recommencer le lendemain, c’est réduire l’organisation à une forme de rocher de Sisyphe que nous devons tout les jours remonter en haut de la montagne. A contrario occuper des maisons vides ou des lieux de pouvoir pour ancrer les rapports de lutte dans la vie quotidienne, disposer d’espaces ou l’on peut se rencontrer, conspirer et construire nos révoltes sans avoir a demander quoi que ce soit à personne nous semble une base solide pour constituer une force à même de s’opposer au pouvoir.

Nous sommes nombreu-ses, quelle que soit la fonction que nous occupons au sein de la société, à disposer des compétences techniques nécessaires pour saboter les rapports marchands et mettre en place des formes autonomes de solidarités qui nous permettrons de répondre à nos besoins directs et de renforcer notre assise matérielle pour nos luttes à venir contre l’État et le capitalisme. C’est peut-être dans la prise en charge collective de la vie quotidienne que nous tisserons les liens et les solidarités, les visions du monde partagées qui nous permettrons de nous opposer concrètement à cell-eux qui veulent nous gouverner. D’émettre des propositions à même de rassembler les gens sans leaders ni représentants, et de faire foisonner nos luttes dans de multiples directions que l’État ne pourra ni récupérer ni réprimer.

 

LA VIE QUOTIDIENNE EST LE CHAMP DE BATAILLE DE LA GUERRE SOCIALE, CONTRE L’EXPLOITATION UBERISÉE, L’ALIENATION TECHNOLOGIQUE ET LA DOMINATION SOUS TOUTES SES FORMES.

ORGANISONS NOUS POUR UN MONDE SANS FLICS NI ARGENT, SANS PATRONS NI POLITICIENS.

LA SOLIDARITÉ, LE SABOTAGE, L’ACTION DIRECTE ET L’ORGANISATION SOCIALE SONT NOS ARMES.

NOS IMAGINATIONS NOTRE SEULE LIMITE.

NE LAISSONS PLUS L’ÉTAT ET LE CAPITAL ÉCRIRE NOS HISTOIRES À NOTRE PLACE.

 

TOUT CRAMER POUR TOUT RECONSTRUIRE !