Comme toutes les opérations de communication, ce contre-feu focalise le regard sur un point afin de rendre tout le reste imperceptible. Que les cabinets de la Place Beauvau trollent sur twitter pour influencer l’opinion à l’avant-veille du report d’une comparution immédiate, cela en dit long sur ce qui nous attend dans les années à venir, mais ce qui est plus surprenant c’est l’empressement de Libération à jouer les auxiliaires de police et les juges, la veille de ce même procès (non, il ne revient pas à la presse de déterminer si une infraction est matériellement constituée).

« Le policier qui a sorti son arme à Rennes a bien été menacé et agressé » tranche le quotidien en Une de son site internet, sous la plume de l’un de ses désintoxicateur. À quoi devons-nous pareille œuvre de repentance ? Deux mots dans cette fameuse tribune qui semble avoir tant irrité le pouvoir et excité la fachosphère : « nullement menacé ». En effet, sur la vidéo que tout le monde a pu visionner on aperçoit très clairement le policier l’arme au poing menaçant une foule éparse qui lui hurle « baisse ton arme ! » et « casse-toi ! » avant de repartir tranquillement sur sa moto.

Il faut le reconnaître a posteriori, le choix de cet adverbe était une erreur. Oui, ce policier qui semble avoir voulu arrêter une manif à lui tout seul a dans un premier temps été pris à partie par un groupe de manifestants. Non, dans un deuxième temps, après que sa moto a calé et qu’il en est descendu pour braquer son arme, personne ne menaçait son intégrité physique et encore moins sa vie : rien qui justifiât qu’il dégaine et braque son arme sur les manifestants… Donc, si le choix de l’adverbe « nullement » était une erreur, c’est parce qu’il a permis au ministère de l’Intérieur de déclencher ce spectaculaire contre-feu que Libération et Ouest-France ont immédiatement relayé.

En braquant ainsi les projecteurs sur une ambiguïté du récit, on évitera aux lecteurs de s’interroger sur les pratiques répressives ahurissantes de la police et de la justice rennaises. On oublie que ce jour-là, des syndicalistes décrivent un dispositif de maintien de l’ordre « militaire » regroupant la Brigade Anti Criminalité, la Brigade Spécialisée de Terrain, La Section d’Intervention Rapide, une escouade de gendarmes mobiles et un hélicoptère. On oublie que le centre-ville était bouclé et que les forces de l’ordre ont gazé, nassé puis contrôlé les manifestants. Non tout le débat se résume aux fuites organisées par la police qui semblent confirmer que quelques minutes avant qu’il ne dégaine, des manifestants auraient tenté de faire fuir le policier afin de pouvoir rejoindre la gare et que ce dernier aurait été la cible d’un accessoire de salle de bain ; cet événement lui ayant valu une journée d’ITT.

S’il faut savoir reconnaître ses erreurs, en l’espèce un adverbe trop hâtif, il faut aussi être en mesure de saluer les efforts et performances de l’équipe adverse : en faisant dévier le sujet du débat, les services com’ de la police ont parfaitement manoeuvré.