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Conditions de travail.
Pas de miracle pour les saisonniers
Dans l’immense usine touristique qu’est Lourdes, plus de 3 500 salariés viennent  » faire la saison « . Ils travaillent parfois 60 heures mais sont payés pour 39. Syndicats et mouvements de jeunesse se mobilisent pour faire respecter leurs droits.

Lourdes, envoyé spécial.
Au beau milieu de l’après-midi, malgré un soleil de plomb, un petit groupe a pris position sur le Pont-Vieux, des tracts à la main : Laetitia, Hugo, Jean-Baptiste et René-Pierre. Les militants de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) sont à l’éuvre, avec pour but d’aborder les travailleurs saisonniers, d’engager le dialogue, de les informer de leurs droits. Une foule ininterrompue emprunte le pont, au-dessus du Gave. Les jocistes, l’éil exercé, distinguent vite le saisonnier du pèlerin ou du simple badaud. Souvent, le saisonnier est pressé, arpente la chaussée d’un pas rapide. C’est le cas de Sébastien, plongeur dans un hôtel-restaurant curieusement appelé La Solitude et qu’on suppose pourtant bondé en cette saison. Le travail ?  » C’est nickel. Mais il y a beaucoup de monde.  » Et il repart vite reprendre son service, un tract dans la poche. Pour la même raison, une jeune saisonnière n’a pas, elle non plus, le temps de discuter longuement :  » Je travaille dans un magasin d’objets de piété. C’est classique à Lourdes.  » De son côté, Patricia, autre saisonnière furtivement rencontrée, déclare gagner 1 070 euros net et débourser 411 euros pour son loyer.

63 heures

payées 39

Statuette de la Vierge, médaille sainte, eau bénite. Le tourisme lourdais doit tout à une petite bergère appelée Bernadette Soubirous Avec 348 hôtels recensés, la cité mariale est la deuxième ville hôtelière de France, après Paris. Chaque année, trois mille cinq cents personnes viennent  » faire la saison à Lourdes « . Une longue saison, qui débute en avril et s’achève en octobre, avec bien sûr des mois de juillet et d’août où l’activité touristique se fait plus intense. Le paroxysme est atteint le 15 août lors des fêtes de l’Assomption. À Lourdes, la JOC a fait passer cette année un questionnaire auprès des travailleurs saisonniers. Leur revendication prioritaire : un meilleur salaire de base ! Beaucoup se demandent aussi s’ils vont percevoir les allocations de chômage une fois la saison achevée. D’autres encore dénoncent le non-paiement des heures supplémentaires. Dans la permanence de la JOC, rue de l’Arberet, Sylvie semble un peu catastrophée :  » L’employeur doit inscrire les heures effectuées sur un registre, signé par l’employé. Mais le registre ne correspond pas toujours à la réalité. Il n’est pas rare que les saisonniers accomplissent une demi-heure de plus le matin et une demi-heure de plus le soir. En fin de saison, ça fait beaucoup d’heures non payées ! Et ils peuvent rarement les récupérer. Quand arrive le mois d’août, les saisonniers sont très fatigués.  » Sylvie cite le cas d’un ami, Cyril, qui  » fait la saison  » depuis six ans :  » Il est cuisinier dans une brasserie et ne gagne pas plus que le SMIC. Il est seul aux fourneaux et travaille sept jours sur sept en juillet et août. Il ne sait jamais à quelle heure il va sortir du travail.  » À Lourdes, la semaine type du cuisinier ou de la serveuse dans un hôtel-restaurant atteint les 63 heures, alors que la convention collective prévoit une semaine de base de 39 heures. Sylvie cite aussi le cas de Cathy, qui a été licenciée par son patron car elle portait des chaussettes blanches, ce qui ne correspondait pas à la tenue imposée au personnel. En fait, il ne s’agissait que d’un prétexte : Cathy avait eu l’audace de vouloir se faire payer ses heures supplémentaires. Son employeur s’est donc retrouvé devant le tribunal des prud’hommes et il a été condamné à verser des indemnités à Cathy. Toutefois, la jeune femme n’a pu trouver d’autre emploi pour finir la saison, repérée par tous les patrons de la ville. À la permanence de la JOC, Paul confie :  » On se rend compte des réalités quand il y a un moment de crise, quand le saisonnier est à bout.  »

Le SMIC

ou la porte !

Le patron de Kamel, vingt et un ans, possède trois hôtels haut de gamme : l’Éliséo, le Miramont et l’Aneto. Kamel travaille dans ce dernier. Le jeune homme décrit sa saison :  » Je suis commis de cuisine. Je prépare les plats froids, hors-d’éuvre et desserts. J’ai un contrat qui a débuté le 21 avril et s’achèvera le 15 octobre. Mes droits sont respectés, sauf que, parfois, je n’ai pas un jour de repos par semaine mais deux jours toutes les deux semaines. Le travail est difficile, il faut aller vite.  » Il gagne 1 250 euros net par mois pour 63 heures hebdomadaires. Que pense-t-il de ce salaire ?  » Pfff. Ce n’est pas assez.  » Kamel ne veut pas rester saisonnier : à l’automne, il débutera une formation pour devenir chauffeur de bus. En situation précaire, les travailleurs saisonniers ne sont pas toujours en mesure de faire respecter leurs droits, lorsqu’ils les connaissent. Thierry Garrido, du syndicat CFDT services, voit pourtant quelques raisons d’espérer. Il rappelle  » l’affaire des stagiaires polonais « , qui défraya la chronique en 2000 : dans le cadre d’une convention, des élèves d’une école hôtelière polonaise sont venus à Lourdes pour un stage. En fait, les jeunes compatriotes de Jean-Paul II ont trimé quatorze heures par jour pour gagner 1 500 francs à la fin du mois. Sept employeurs ont été condamnés pour travail dissimulé.

Depuis, la situation a un peu changé, aux yeux de Thierry Garrido :  » Une maison des saisonniers, où ils trouveront toutes les informations utiles et que la CFDT revendique depuis cinq ans, verra le jour en 2005. La mairie incite maintenant les hôteliers au dialogue social. Nous demandons aussi la création de groupements d’employeurs : ça assurerait aux salariés de faire la saison d’été à Lourdes et la saison d’hiver dans les stations de ski.  » Y a-t-il ici beaucoup de travail au noir ?  » Plutôt du travail au gris. Les heures supplémentaires pas payées, ou parfois en fin de saison dans une enveloppe.  »

Sur le Pont-Vieux, les militants de la JOC continuent leur distribution de tracts . Voici Cédric, plongeur dans un trois-étoiles, bandana noir sur la tête :  » La saison, c’est l’arnaque. C’est ma dernière ! Nous sommes deux à la plonge pour 360 couverts. Pour le 15 août, on attend entre 500 et 700 couverts.  » Jean-Paul II revient à Lourdes ce jour-là. Trois cents milles fidèles sont annoncés. Le chiffre d’affaires du tourisme lourdais arrive aux portes du paradis. Les saisonniers sont, eux, condamnés, entre purgatoire et enfer, à s’en tenir aux promesses de lendemains meilleurs, plus tard, peut-être, un bon salaire, des conditions de travail normales, le miracle quoi !
Source
http://social-aquitaine.forumactif.com/viewtopic.forum?t=44