Jamais les anarchistes n’ont été autant décriés, divisés et récupérés. Chez les altermondialistes ou activistes, tout le monde se dit plus ou moins libertaire. Mais l’anarchisme est une idéologie gauchiste, doctrine de cette élite d’illuminés qui prêchent l’unique vérité qu’ils possèdent, pour convaincre, convertir en adeptes de leur révolution, spécialistes éclairés d’une vérité auto-proclamée découpée en petits morceaux.

Les prolétaires n’accepteront jamais d’être représentés par les élites bureaucratiques d’un parti à prétention révolutionnaire qui impose sa dictature sur un peuple qu’il considère ignorant. Tout prolétaire ne combat que pour sa propre abolition en tant qu’esclave, par son émancipation individuelle et collective, contre toute usurpation du pouvoir par une minorité d’accapareurs. Chacun devient son propre pouvoir qu’il coordonne avec les autres, car toute autorité est un abus de pouvoir.

Il n’y a d’anarchisme individualiste ou bien collectiviste seulement pour ces intellos prétentieux, théoriciens révolutionnaires sans révolution, comme les deux faces d’une même pièce, le vrai et le faux d’une seule et même idéologie à laquelle il faut se soumettre. Ces disciples, seuls détenteurs de la vérité universelle, experts de l’apocalypse, sauveurs du désastre, ne savent plus élaborer d’analyses critiques globales cohérentes, mais seulement imaginer des prédictions, porter des jugements de valeur et des procès d’intention.

Les idéologues gauchistes néo-léninistes récupèrent les intuitions et actions des mouvances révolutionnaires en les vidant de leur substance vitale subversive pour qu’elles servent d’arguments conceptuels à la gestion du désastre et à la conservation du système Étatique qu’ils n’envisagent même pas de renverser, si ce n’est qu’avec des notions abstraites qui ont perdus tout leur sens pratique, des représentations qui n’ont plus d’actions réelles pour se concrétiser, et le tout dans un style confusionniste prétentieux.

Les anarchistes se battent contre toute autorité hiérarchique, contre toute uniformisation idéologique, contre toute croyance prédictive, tout modèle à reproduire, toute planification néo-capitaliste à suivre sous prétexte de réalisme. La liberté ça ne s’impose pas, ça se construit collectivement dans l’égalité générale !

L’individualisme se renforce de son opposé collectiviste, et réciproquement. Ce conflit parcellaire est réducteur et aliène la compréhension humaine. L’individu y perd sa personnalité particulière et le collectif sa diversité solidaire. La personne se réalise et s’enrichit de ses libres rapports aux autres au sein d’un collectif égalitaire. La diversité des solidarités ne se construit qu’avec des personnalités et non pas des stéréotypes uniformisés dans l’individualité passive de consommateurs d’idéologies sur mesure et d’identités d’apparence en prêt à porter.
Dans un monde où tout est cloisonné, où l’homme isolé est séparé de lui-même par le travail et les représentations marchandes, les anarchistes expérimentent une approche globale dans tous les cas particuliers. L’appréhension des liens et les interactions humaines au cours des situations est la clé de la compréhension de la complexité d’ensemble et de l’intelligence du moment.

Nous n’avons pas besoin de majorité pour agir. Cette règle simplificatrice, fondement de la pseudo-démocratie bourgeoise, est une fabrique d’opposants et d’exclus. L’action, comme l’expression, n’a pas à restreindre ses libertés de mouvement dans une uniformisation contraignante. Agir et s’exprimer devrait être multiforme pour respecter la liberté de chacun, et s’enrichir en se renforçant de la diversité dans une mouvance complexe coordonnée. Le rassemblement de nos différences qui s’en mêlent et s’entremêlent au coeur des débats et des ébats, a des capacités bien plus grandes que la somme de ses composantes séparées les unes des autres. Lorsque la richesse multiple de ces interactions franchit un certain seuil, le mouvement global produit de façon discontinue de nouveaux comportements d’ensemble tout à fait imprévisibles. Notre éclectisme est notre force vitale.

Passant du désir au plaisir de changer ensemble, le recadrage de nos points de vue, décalés dans l’invention d’un futur désirable, un devenir réalisable, change notre interprétation des situations. En modifiant ainsi les règles du jeu par débordement et détournement, ne respectant plus les codes ni les modes, nous augmentons le nombre des choix possibles, créant de nouveaux espaces de liberté. Cela nous permet d’utiliser les vertus de nos défauts, et ainsi débloquer l’accès à nos ressources en sommeil. Alors le bricolage opératoire se substitue aux croyances réductrices autoritaires, l’agitation contagieuse renverse les situations critiques.

Un anarchiste n’a aucun principe à suivre, aucune ligne de conduite à respecter, aucun mode de vie à adopter, chacun est libre et responsable de ses choix envers les autres, tout est discutable à tout moment. L’amour, le plaisir, la paraisse, le jeu sur les règles du jeu, le détournement, la ridiculisation et le discrédit du spectacle et de la pub, l’irrespect de l’autorité et des interdits… sont autant de pratiques anarchistes nécessaires à un renversement de perspective et indispensables à l’irruption insurrectionnelle d’un mouvement révolutionnaire.

Anarchiste n’est pas une étiquette, une identité, un logo ou un drapeau, mais bien une pratique vivante auto-organisatrice antiautoritaire d’une personne particulière dans ses expérimentations individuelles et collectives, qui la rend autonome, sociale et toujours ingouvernable.