Une idéologie particulière a émergé, issue de la bouillabaisse toxique formée à la fois de culture néolibérale « gay » et d’antiféminisme, et elle a pris le contrôle de ce qui est censé être la politique de gauche. (Je ne crois pas que ces gens soient réellement de gauche, mais ils sont souvent considérés comme tels, hélas.) Dans ce blogue, je vais plutôt les appeler des radiqueers, l’abréviation de « radical queers ». Une des choses que les radiqueers adorent faire consiste à afficher leur haine des féministes. Ils et elles se prétendent féministes, mais leurs positions sont parfaitement alignées sur le patriarcat, ce qu’ils et elles ne reconnaissent pas, faute d’écouter les véritables féministes ou d’appliquer la moindre analyse critique à leurs propres positions. Comme le projet d’imposer le silence aux féministes est l’un des objectifs de la culture radiqueer, chaque tweet ou commentaire de leur part intimant aux féministes de se taire sert à confirmer leur appartenance au groupe et à se draper de vertu aux yeux de leurs collègues. Ce n’est pas un désaccord intellectuel avec l’information que présentent les féministes, mais une performance visant à démontrer leur appartenance à un groupe. C’est un peu comme faire attention, à la cafétéria de l’école, à se tenir avec les jeunes branchés plutôt qu’avec les « nuls ».

Je vais illustrer mon propos en parlant d’un des ouvrages que les radiqueers tentent de faire retirer de la Bibliothèque des femmes de Vancouver : L’esclavage sexuel de la femme, de Kathleen Barry (Stock, Paris, 1982), un livre que j’ai moi-même pris le temps de lire, contrairement aux radiqueers.

Pour rédiger cet ouvrage, Kathleen Barry a fait des recherches approfondies sur l’industrie du sexe. Elle a interviewé des survivantes de la prostitution et a vérifié le contenu empirique de leurs récits dans la mesure du possible en interrogeant aussi des juristes, des journalistes, des policières et des policiers, des responsables de poursuites pénales et des organisations de lutte contre l’esclavage. Elle a parcouru le monde, visité des maisons closes et mené des recherches sur les mouvements abolitionnistes du passé. Ce travail l’a conduite à formuler une définition de l’esclavage sexuel féminin, à nommer les méthodes utilisées par les proxénètes et recruteurs, et à indiquer les raisons pour lesquelles le problème de l’esclavage sexuel féminin n’a pas été suffisamment exposé ou combattu.

Voici sa définition de l’esclavage sexuel féminin :

« L’esclavage sexuel féminin est présent dans toutes les situations où les femmes et les jeunes filles ne peuvent changer des conditions d’existence dans l’immédiat ; où, quelle que soit l’origine de leur servitude, elles ne peuvent plus y échapper ; où elles sont soumises à des violences sexuelles et exploitées. » (page 72)

Elle explique en outre :

« L’esclavage sexuel des femmes n’est pas une illusion ni une figure de rhétorique. Il ne s’agit pas des cas où le besoin de tendresse d’une femme ou d’un enfant leur permet psychologiquement d’accepter en même temps les mauvais traitements et l’affection, ou de ressentir de la joie dans la douleur. L’esclavage est une situation sociale d’exploitation et de violence. Les expériences d’esclavage sexuel indiquées dans cet ouvrage démontrent qu’il ne s’agit pas d’une pratique limitée à la traite internationale, mais qu’elle existe dans toutes les sociétés patriarcales. » (p. 72-73)

Barry a constaté que lorsqu’elle a parlé à des policiers et qu’elle décrivait des situations où des femmes étaient exploitées sexuellement et incapables de s’échapper, la police ne voyait toujours pas le problème. Les agents croyaient si fermement la prostitution acceptable et inévitable qu’il ne leur venait pas à l’esprit que c’était une violation des droits de la personne. Ils semblaient penser qu’il existait une classe de femmes dont le rôle était d’être prostituées et que ce n’était pas problématique. Ce blocage persiste aujourd’hui ; des gens pensent encore que l’exploitation sexuelle des femmes et des jeunes filles n’est pas un problème, et les radiqueers perpétuent cette conviction en requalifiant l’exploitation sexuelle comme choix et agentivité des femmes. Ils et elles s’activent à occulter la réalité de la violence masculine, tout comme les misogynes l’ont toujours fait.

La définition de l’esclavage sexuel énoncée par Barry peut aider les gens à voir les conditions objectives de l’esclavage, et ce même si une victime en est venue à la conviction d’avoir choisi sa situation ou si les personnes qui la contrôlent insistent pour dire qu’elle l’a choisie. Certaines femmes et jeunes filles amenées à l’industrie du sexe ont été volontaires au début parce qu’elles croyaient avoir le contrôle de la situation, gagner de l’argent et avoir une vie glamour. Au lieu de cela, elles se sont retrouvées sous le contrôle d’un proxénète, dans l’incapacité de sélectionner leurs clients ou de décider des actes sexuels à accomplir. Étant donné la violence des proxénètes et le stigmate pesant sur les femmes qui sont dans l’industrie du sexe, elles se retrouvent incapables d’y échapper et d’amorcer une autre vie. Si une femme est soumise à l’exploitation sexuelle et qu’elle ne peut changer les conditions de son existence, elle est objectivement en situation d’esclavage. Cette situation se produit dans la traite des personnes, la prostitution de rue et les mariages forcés, partout dans le monde. Sur le plan historique, de nombreuses épouses ont été en situation d’esclavage sexuel, parce que le divorce était illégal, le viol conjugal était autorisé, et que les épouses dépendaient complètement de leur mari et ne pouvaient se refuser à des rapports sexuels.

Barry décrit le rôle des proxénètes et des recruteurs et leurs méthodes pour amener les femmes et les jeunes filles dans l’industrie du sexe et les y maintenir. En résumé, ces méthodes sont les suivantes :

*L’apprivoisement ou l’amour : Les recruteurs trouvent des adolescentes qui sont naïves et en recherche d’amour et d’attention de la part des hommes, et ils se comportent en petits copains envers elles. Ils utilisent particulièrement cette méthode auprès des jeunes filles qui sont en fugue ou qui s’ennuient et sont à la recherche d’adrénaline. Ils créent chez la jeune fille l’impression de partager une relation romantique, même s’il ne s’agit en fait que d’une stratégie commerciale pour l’homme.
*Pratiques de bandes et du crime organisé : Ces organisations amèneront souvent des jeunes filles et des femmes à la prostitution dans le cadre des activités de leur gang.
*Recruter des femmes à l’étranger sous de faux prétextes en leur offrant un emploi comme ceux de danseuse ou de modèle, ou en leur offrant de les épouser, puis les pousser à la prostitution quand elles arrivent à destination.
*Acheter des femmes et des jeunes filles auprès d’autres « propriétaires » masculins.
*Enlèvement pur et simple.

la suite ici : http://tradfem.wordpress.com/2017/04/27/sen-prendre-a-des-feministes-pour-se-draper-de-%E2%80%89vertu%E2%80%89/