1- Les véritables héros de cette soirée électorale ne sont pas les finalistes, Macron et Le Pen. Ce sont les stratèges du Parti Socialiste ! Malgré un score historiquement faible, et un parti à l’agonie, les socialistes ont réussi un incroyable coup politique. Pourtant, jamais un parti n’avait été autant détesté. Au printemps, ses permanences étaient visées dans toute la France, et son université d’été annulée à la rentrée. Après avoir gouverné pendant 5 ans à coups de Flash-Ball et de 49.3, d’état d’urgence et de Loi Travail, après avoir expulsé des réfugiés par dizaines de milliers et fait tirer sur les manifestations, l’ultime héritage du PS aura été d’organiser les conditions pour un duel entre la droite et l’extrême droite. Tel est le rôle historique de la sociale démocratie. Comment ont-ils procédé ? Dans un premier temps, Macron, le ministre de l’économie et conseiller du président, se désolidarise du bilan catastrophique de Hollande. Avec la victoire d’un réactionnaire traditionaliste et autoritaire aux primaires des Républicains, Macron dispose d’un boulevard à droite. Boulevard d’autant plus large que Fillon se révèle être un escroc et un voleur. Dans un second temps, Benoit Hamon joue un rôle déterminant dans le dispositif. Le petit apparatchik insignifiant du PS devra neutraliser Mélenchon. C’est son rôle, auquel il s’attèle avec une efficacité remarquable. Le score pathétique du candidat du PS, lâché par son propre camp, importe peu. Il est suffisant pour empêcher – de justesse – le candidat des Insoumis d’atteindre le second tour, et permettre le triomphe de Macron. Quant au FN, le gouvernement socialiste l’a conforté pendant 5 ans, méthodiquement. En reprenant ses idées sur le plan sécuritaire et identitaire d’une part. En provocant un désarroi social plus profond que jamais d’autre part. En s’attaquant d’avantage à sa gauche qu’à l’extrême droite enfin. Toutes les conditions sont réunies pour que le poulain du président atteigne la magistrature suprême. « Tout changer pour que rien ne change » c’est la maxime cynique du roman Le Guépard, que François Hollande aurait pu faire sienne.

2- Les masques tombent quelques minutes après l’annonce des résultats. Immédiatement, l’ensemble de l’appareil socialiste encense son véritable candidat. De Benoit Hamon à François Hollande en passant par la maire de Nantes, Johanna Rolland, tous appellent sans réserve à élire Macron. Le PS annonce même l’impression de millions de tracts pour le banquier. Le PS mettra plus de ferveur à faire élire Macron qu’à soutenir son propre candidat au premier tour ! D’ors et déjà, des dizaines d’élus socialistes entendent se faire élire sur les listes Macronistes aux législatives, et la volonté de Manuel Valls de créer un pole centriste néo-libéral est en passe de se réaliser.

3- De quoi Macron est-il le nom ? Le candidat des médias et des banques est à mi chemin entre un télévangéliste criard et un manager de fast-food. Il est vide, gris, malléable. Plastique. Il est à l’image du capitalisme contemporain : c’est un produit marketing. Macron incarne la mort de la politique. La victoire au premier tour du seul candidat dont personne ne connaît le programme en dit suffisamment long sur l’état de décomposition avancée de la politique. Macron face à Le Pen, c’est aussi la mort du système des partis. La droite et la gauche classiques sont éliminées. Un séisme bien plus puissant que celui du 21 avril 2002. Du jamais vu sous la Vè République. Macron, reprend les codes, le storytelling, les techniques de communications anglo-saxonnes. Il incarne l’américanisation avancée de la vie politique, et le duel qui l’oppose à Le Pen ressemble bien à celui qui voyait s’affronter Clinton face à Trump il y a quelques mois.

4- En avril 2002, spontanément, à l’annonce du passage du Front National au second tour, des milliers de personnes descendent dans les rues le soir même. Les lycéens se mettent en mouvement. Les manifestations de l’entre deux tours réunissent plusieurs millions de personnes, dont près de 80 000 à Nantes ! La mobilisation est historique. Chirac refuse toute discussion avec l’extrême droite. Cinq ans plus tard, quand Sarkozy gagne l’élection présidentielle suivante, des milliers de personnes descendent à nouveau dans les rues, plusieurs soirs d’affilées, dans la plupart des villes de France. A Nantes, plusieurs nuits d’affrontement ont lieu devant la préfecture. Et en avril 2017 ? Un second tour oppose la droite néo-libérale à l’extrême droite. Quelques maigres cortèges de quelques centaines de personnes défilent péniblement dans une poignée de villes : Paris, Nantes, Rennes, Rouen. Les manifestants sont sévèrement réprimés. Pourtant, la gauche radicale n’a jamais recueilli autant de voix. Que s’est-il passé ? Nous avons changé d’époque. Et le fascisme peut s’installer sans fracas.

5- Et maintenant ? Les partis sont morts, vive la révolte ! Les candidats l’ont compris, en menant campagne sans parti – Macron a crée une start up, Mélenchon un groupe de fans, Le Pen un lobby du fascisme aseptisé – : nous vivons la fin d’un cycle. Sauf surprise – possible, tant la situation politique reste incertaine et l’abstention sera forte –, Macron sera le prochain président français. Sa victoire ouvrira des opportunités révolutionnaires. En digne héritier de Hollande, il est condamné à décevoir. Un produit marketing ne fait jamais illusion indéfiniment. En Marche ! aura toutes les peines du monde à obtenir une majorité législative, et le candidat des banques devra donc gouverner à base de 49.3, d’ordonnances et de procédures accélérées pour mener à bien son programme de cadeaux aux riches. Son « projet » : une somme d’individualismes tristes, un agrégat d’humains précaires et obéissants, «auto-entrepreneurs», est voué à rencontrer des résistances.

C’est dans ce contexte qu’il faudra, dans les jours et les semaines à venir, établir un rapport de force politique dans les têtes et dans la rue avec le prochain pouvoir.