Jeudi 20 avril au soir. Une campagne présidentielle marquée par d’innombrables affaires et un discrédit sans précédent de la classe politique s’achève sans passion. Quatre candidats sont au coude à coude, et la situation politique paraît plus incertaine que jamais.
C’est à ce moment précis, à trois jours du scrutin majeur qu’une fusillade éclate sur l’artère la plus célèbre de France. Alors que les candidats se succèdent à la télévision, un homme ouvre le feu sur les Champs Élysées. Un policier tombe blessé, un autre trouve la mort, peu avant son assaillant. Certains candidats blêmissent en direct sur les écrans. D’autres ont un mal fou à cacher leur immense satisfaction. Avec la précipitation de charognards affamés, trois candidats – Macron, Fillon et Marine Le Pen – ne parleront plus que d’antiterrorisme, de « barbares », de guerre et d’Islam lors de ce prime time qui conclut la campagne présidentielle. Coup de théâtre dans la dernière ligne droite avant l’élection.

Quelques réflexions sur l’usage de l’antiterrorisme en politique.

1 – « Il faudrait de nouveaux attentats pour sauver la campagne de Fillon ». C’est l’analyse lucide de Christophe Barbier, patron du journal L’Express, à l’antenne de BFM TV en février dernier, alors que le candidat de droite est au cœur de la tourmente. En grande difficulté, la candidate d’extrême droite a également fait une campagne ratée, dégringolant de façon constante dans les sondages. Le FN, pourtant grand favori, était même menacé de ne pas se qualifier au second tour. Un sondeur explique que l’attentat des Champs Élysées « réactive des thématiques chères à Marine Le Pen » alors qu’un autre ajoute : « s’il y a un effet [à cet attentat] c’est pour Marine Le Pen ». Paradoxalement, ces dernières semaines, la question de l’antiterrorisme n’était pas parvenue à s’imposer comme la thématique unique et centrale des débats de la campagne, et d’autres questions, comme l’écologie ou le partage des richesses, avaient traversé le débat public. L’attaque du 20 avril place finalement au centre du jeu, au moment crucial, les sujets indispensables à l’extrême droite. Et remet en lice ses candidats en grande difficulté à l’instant décisif. Les deux derniers jours de campagne auront la couleur des gyrophares.

2 – Nous apprenons aujourd’hui que les services de renseignement étaient informés depuis quelque temps que le tireur des Champs Élysées cherchait à se procurer des armes pour « tuer des policiers » et qu’il avait fait une demande de permis de chasse. A quelques jours des élections. Le tout sans être sérieusement inquiété. Il ne s’agit pas de verser dans le complotisme. Disons simplement qu’à un tel niveau d’incompétence des agents chargés de l’antiterrorisme, l’attaque illustre, pour le moins, le caractère nuisible et inefficace de l’état d’exception permanent, installé depuis deux ans en France.

3 – « Nous devons chérir les policiers». C’est l’envolée lyrique du candidat socialiste ce 21 avril. Dans le même temps, son gouvernement promet un déploiement sécuritaire massif dans les jours à venir. Au début du mois de février, un jeune homme, Théo, était violé par la police à coup de matraque à Aulnay-sous-Bois. Quelques semaines plus tard, c’est un père de famille chinois qui était abattu par des agents de la BAC devant ses filles à Paris. Malgré les protestations, et même les émeutes, ni Benoît Hamon, ni les autres candidats n’avaient osé s’élever contre ces violences. Lors du débat télévisé du 20 avril, c’est finalement un unanimisme sécuritaire qui règne à l’antenne. Un seul refuse de jouer le jeu, maladroitement : le candidat du NPA. Il est pulvérisé en direct par les journalistes. En sortant de l’émission, il reçoit des menaces et des injures de la part de policiers : « enculé », « ordure ». Dans l’Antiquité Romaine, s’assurer le soutien de l’armée était indispensable pour trôner sur l’Empire. Se plier aux volontés de la police est un préalable indispensable pour acquérir le pouvoir dans une République.

4 – Ceux qui appellent à mener une « guerre totale » au terrorisme sont les mêmes qui signent des contrats d’armement colossaux avec les dictatures du Golfe, Qatar et Arabie Saoudite, qui apportent un soutien logistique aux groupuscules djihadistes. Ce sont les mêmes qui provoquent des guerres au quatre coins du globe. Les mêmes qui font d’obscènes courbettes aux responsables du désastre.

5 – « La guerre contre le terrorisme doit rester la priorité» ose même, sur Twitter, le pitoyable Manuel Valls, qui tente un retour dans la vie publique. Toujours au diapason des candidats les plus réactionnaires. L’antiterrorisme apparaît finalement pour ce qu’il est : une usine de recyclage politique. La « menace terroriste » permet aux menteurs, aux voleurs et aux déchus de la classe dirigeante de prétendre continuer à gouverner sans être contestés. L’antiterrorisme est le joker suprême du jeu démocratique.

6 – « Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État ; elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique. » Guy Debord

Quelle que soit l’issue de ces jours tourmentés, retrouvons nous sur la Place du Bouffay, le soir du premier tour !

Nantes – 23 avril – 1er tour de chauffe