avoir l’envie, très folle, de visiter des amis. économiser beaucoup d’argent (1 dirhams vaut 0.1 euros environs) pour passeport, visa, billet d’avion (un billet au départ du maroc coûte 3 à 4 fois plus qu’au départ de paris), et frais divers.
Pour partir, il faut un visa, via le consulat de france (vive l’indépendance). Pour avoir ce visa, il faut montrer patte blanche, avoir un métier fixe et stable qui vous obligera à revenir, une famille, genre femme et enfants, qui vous obligeront à revenir, des moyens de subsister en france, 120€ par jour, (comme nous?) tous les papiers d’identité nécéssaires remontant jusqu’aux actes de naissance des parents, raisons du voyage, objectifs, hébergements, et beaucoup de patience et de d’espoir.
un ami avait tout ça: l’envie un peu folle, le métier, la femme, les enfants, l’argent économisé, le passeport, et beaucoup d’espoir.
Il obtient son visa à la deuxième tentative. Voyage prévu fin décembre. Visa pour une seule entrée sur le sol français. un seul aller-retour. 
Victoire. 
Billet d’avion réservé. aller pour le 29 décembre. 
Il prépare son départ. On prépare son arrivée.
Valise bouclée, aéroport de Fez. les au-revoir. Le coeur qui bat pour ce premier voyage en dehors de son pays. Premier avion. premier mal brûlant aux oreilles. Le prix à payer pour ce voyage, ce séjour.
Arrivée à nantes à 11h15. Descente d’avion. suivre les pas des expats ou vieux chibanis marocains qui rentrent en france pour noël. 
Au même moment on l’attends en bas, à la sortie des voyageurs. impatience. 
Mustapha suit le mouvement. Contrôle du passeport. bourdonnement encore dans les oreilles. Il a sûrement la tête du provincial qui sort de chez lui pour la première fois, il fait figure de bonne poire. Bonne pioche. 
Arrivée de la Police aux frontières (PAF pour les intimes) pour contrôler notre ami de plus près. « Suivez-nous s’il vous plait ». et le cauchemar commence. Toujours comme ça. « suivez-nous s’il vous plait ». et on se retrouve dans un très mauvais film. Lui qui croyait que le cauchemar était seulement une spécialité marocaine. 
Il suit. Couloir. Bureau. Bureau de la PAF. Interrogatoire musclé. Ou allez-vous? Chez qui? combien de temps, j’en passe. 
re-contrôle des papiers. passeport et visa en règle. Alors on cherche plus loin. Tous les justificatifs qui ont permis la délivrance du visa-sésame sont à nouveau demandés; Il justifie pour la énième fois de tout. il montre son argent. les agents comptent, billet par billet.
Regardent tous les documents qu’il a en sa possession.
Il manque l’attestation d’hébergement. Mais nous sommes en bas. Il dit que son ami qui l’héberge est en bas. il l’attend à l’aéroport. Il suffit de l’appeler tout de suite et il arrive, il justifiera de l’hébergement, il vous dira que c’est mon ami, que je vais chez lui. Voici son numéro, je l’appelle, il arrive. il est en bas. Il m’attend.
Mais l’agent de la PAF ne veut rien savoir, ne veut rien entendre. Ne pas appeler l’ami.
Monsieur n’a pas l’attestation d’hébergement, il ne peut pas rester en france. Monsieur est dans l’illégalité il dit. Mustapha retient ses larmes. 
Mustapha ne maitrise pas les subtilités françaises. Mustapha ne connait pas la france. Il ne connaît que les subtilités marocaines, l’arrogance et le mépris de la police marocaine. il en découvre une autre. identique. 
Il n’en croit pas ses yeux, ses oreilles, qui le font un peu moins souffrir. Un policier dit à son collègue de le laisser tranquille, d’appeler son ami en bas, et ça va, ça suffit, laissez-le partir. 
Non. le petit policier tout jeune, tout frais ne veut pas de Mustapha en france aujourd’hui, 29 décembre. visa ou pas. 
il a sûrement des quotas de retours non respectés. des arrestations aux frontières à justifier avant la fin de l’année.
Il décide que Mustapha repartira au maroc dans le même avion. L’avion décolle à 11h45.
Mustapha n’a pas eu l’autorisation de passer un seul coup de fil. 
Nous attendons en bas. tous les voyageurs sont sortis de l’aéroport maintenant. Pas de Mustapha. 
Mustapha est dans un bureau, un étage au-dessus. avec un tout petit petit policier, qui a envie de sa prime de noël, de son petit étranger refoulé. 
Mustapha n’a pas le droit à un mot de plus, et les mots lui manquent désormais. ils ne les connait plus. Il a tout épuisé.
Mustapha se retrouve dans le même avion qui l’a emmené en france. Il repart au maroc. 
il est 11h45.
Mustapha a passé une demi-heure en france. Il a utilisé son visa. sa seule entrée. son seul aller-retour.
Il reprend sa valise et retourne chez lui.
Son voyage est terminé. 
Mustapha avait un visa. 
Un agent de la police aux frontières l’a remis dans l’avion. 
Avait-il le droit de remettre en cause son visa?
A quoi sert le visa?
Mustapha nous a appelé le soir pour nous raconter son voyage. 
Il dormait avec sa femme, dans son lit, après avoir fait un aller-retour à nantes dans la journée. 
Contrairement à moi, lui n’avait pas même de colère. pas d’indignation. seulement de la déception. l’habitude sûrement…

A.H