Sorcières…

Ce mot résonne avec Moyen-Âge. Pour la plupart nous avons toutes et tous appris que de nombreuses femmes furent envoyées au bûcher durant la grande inquisition.
Mais il est utile de remonter le temps et d’exposer plus largement ce que représentait l’idée de sorcellerie ou sorcière.

Pour cela il est important de comprendre le contexte social de l’époque qui verra naître en quelques decennies, des milliers de sorcières.
Le féodalisme, va instaurer une nouvelle forme d’esclavage que l’on nommera le servage.De nombreuses rébellions d’esclaves dans l’Antiquité vont naître et vont fortement ébranler le système esclavagiste romain, c’est pourquoi les riches propriétaires/seigneurs craignant de voir leur pouvoir décroître vont instaurer un nouveau rapport de classes et un nouveau système visant à asservir des paysans libres et ruinés… L’ensemble de la population voit dans une certaine mesure sa condition de vie «s’adoucir» (abolition de l’ergastolo, fin du travail enchainé, diminution des châtiments). Ce qui reste inchangé, c’est que ces travailleurs et paysans restent toujours la propriété d’un maître. La nouveauté de ce système c’est qu’il permet l’accession au propre moyen de production. Au fils du temps, leur situation va s’ameliorer, les paysans/nes réclamant de plus en plus de temps à accorder pour leur récolte personnelle, vont aussi négocier leurs conditions de travail. Ils/elles auront accès aux prairies, forêts, pâturages, lacs, forêts pour s’approvisionner en bois, poissons, mener en pâtures leurs bêtes… Ceci va favoriser la vie communautaire et l’union des forces lorsque ce sera necessaire.

La fin du 14ès, verra naître des révoltes éndémiques, massives et armées contre les propriétaires fonciers. Ce qui mettra souvent le feu aux poudres, c’est la création et la hausse arbitraire d’une multitude de taxes (allant de la non-déclaration de sa servitude, jusqu’aux taxes versées au seigneur pour avoir accès au moulin, au four… en passant par la dîme). Après la peste noire qui tua près d’un tiers de la population en Europe, la situation s’améliore pour l’ensemble du peuple qui exige des salaires plus élevés et l’amélioration des conditions de travail. La main d’oeuvre s’amenuise et les seigneurs doivent céder, les paysans doublent leur salaires et leurs tâches s’adoucissent. Grâce à ces innombrables révoltes et après les ravages de la peste noire, le servage a pratiquement disparu.

Cependant un autre fossé se creuse entre les paysans plus pauvres et les plus chanceux qui ont vu leur conditions de vie s’améliorer. Les divisions sociales se créent et se creusent entre les «sans-terres» ou les «gueux» et les paysans disposant d’un lopin de terre. Ces derniers vont accuser les plus pauvres de leur voler leur travail et de le dévaluer car ces «sans-terres» qui ont besoin de louer leur corps comme force de travail sont plus enclin à proposer des prix trop bas et désavantageux pour les paysans.

A la même époque on voit s’institutionnaliser le viol. Le viol pratiqué en bande n’est pas puni et est même permis par les plus aisés des classes pauvres. Une femme violée, est une femme coupable et diabolisée dans la société de l’époque, il ne lui reste que 2 choix : soit quitter son village/ville/bourg, soit se prostituer. C’est ainsi que l’on voit se multiplier les bordels. L’apparition de ces lieux permet l’application d’une politique de la sexualité : on pense notamment que les bordels sont des exutoires pour les hommes favorisant la modération de leurs contestations en tant que travailleurs. De plus, dit-on, que les bordels seraient un efficace remède contre l’homosexualité !

Les femmes travaillent autant sinon plus que les hommes, à tâche égale, elles touchent un salaire 2 fois plus bas (au XVIè, elle ne toucheront plus qu’1/3 du salaire d’un homme). Elles vivent donc toutes dans une immense précarité, et certaines s’orientent vers la prostitution pour survivre.

De son côté, le clergé redouble d’effort pour soumettre le peuple. Epaulée par l’Etat, l’Eglise est en pleine croisade contre toute résistance à son institution… Tout ce qui n’est pas catholique est hérétique : cathares, vaudois et bogomiles vont être exterminés. Cette méthode génocidaire va être exportée vers les Amériques dès l’arrivée des colons, dans une dimension sans précédent, appuyée par des prétextes d’évangélisation.

L’Etat prend une série de mesures qui vont empirer les conditions des plus démunis. En Angleterre on promulgue la première loi contre le vagabondage, la sanction en cas de récidive est la mise en esclavage. Les rassemblements entre personnes sont interdits ainsi que les pratiques du sport, de la danse, des jeux, les fêtes populaires et festivals sont prohibés. Tout cela est mis en oeuvre afin de détruire les liens sociaux et effacer la culture populaire.

Côté denier, les riches apprennent à réduire le coût du travail pour grossir leurs bénéfices. Les marchands accumulent des biens et les vendent à prix élevés. Les pauvres, eux, doivent acheter la nourriture qu’ils produisent.
En 1565, à Anvers, alors que les pauvres mourraient de faim dans les rues, un entrepôt s’effondra sous le poids du blé stocké !
La stratégie est de priver le peuple de ses moyens de production pour que les déteneurs du capital imposent leur domination.

En Europe, la peste et les conditions de vies inhumaines provoquent un important déclin démographique. Les plus pauvres s’en trouvent les premiers accusés… ils ne procréent pas. ! Il n’y a pas assez de bras pour travailler et alimenter la machine de production étatique qui engraisse les élites et écrase ceux qui n’ont rien.
S’en suivent des mesures terribles afin de forcer les mariages avec une obligation de procréation… et c’est ainsi que commença la chasse aux sorcières.
A partir de cet instant l’Eglise et le Clergé, ne cesseront de se préocupper de la croissance de la population :
en primant le mariage et pénalisant le célibat (comme dans l’empire romain), en surveillant les femmes par un système de contrôle/delation, sur leur état (grossesse ou non ou possiblité d’interruption de grossesse). Les femmes célibataires et enceintes ou ayant un/des enfant/s étaient privées de tout et ceux qui les aidaient étaient exposés à la vindicte publique. Les sages-femmes (à l’époque seules les femmes s’occupaient de l’accouchement /environ XVè) étaient constamment exposées aux accusations d’infanticide et c’est ainsi qu’elles perdirent peu à peu le contrôle de leur savoir-faire. Les docteurs hommes s’imposèrent pour diriger l’accouchement et devinrent les «donneurs de vie» contrairement aux femmes qui accouchent et auraient, semble-il,un rôle passif ! La femme est donc un ventre, une machine à produire des individus.  Biensur la vie du foetus passe avant la vie de la mère. Les femmes qui assitaient traditionnelement à l’accouchement (notamment pour la transmission du savoir et pour l’entraide ) furent toutes congédiées. Les sages-femmes furent mises sous tutelle des docteurs. Une sage- femme faisait très facilement l’objet d’accusation d’infanticide. En Allemagne, les femmes qui ne «produisaient pas assez d’efforts» durant l’accouchement  ou qui ne montraient pas assez d’enthousiasme envers leur progéniture, étaient châtiées. Les femmes sont donc obligées de procréer contre leur gré et avec le sourire.

La production d’individus est la principale préocupation de l’Etat et de l’Eglise, le corps féminin est transformé en instrument pour la reproduction du travail, en une machine à enfanter sous contrôle des hommes de la classe dominante et du Clergé. L’ère capitaliste a écrasé l’homme en veillant à mettre sous ses pieds la femme, ainsi les dominés sont dominants dans une certaine mesure y trouvant ainsi une façon de décharger leur colère, leur frustration, leur cri de désespoir. D’ailleurs la violence conjuguale ne choque personne à l’époque. Un mari a tous les droits sur sa femme, la battre, l’humilier ou la tuer. Sous prétexte de vouloir se marier avec une autre femme, un homme pouvait en tout impunité tuer son épouse.

Les femmes depuis le début du moyen-âge employaient des moyens de contraception par l’utilisation des plantes, elles pouvaient aussi provoquer un avortement ou même la stérilité. La criminalisation de la contraception a dépossédé les femmes de leur corps mais aussi de leur savoir dans ce domaine et dans celui de la médecine en général. Une fois que l’Etat a remis le contrôle des naissances à l’ordre du jour, ces méthodes naturelles de contraception avaient toutes disparues au profit biensur des déteneurs du capital qui ont règlementé la médecine. Aujourd’hui seuls les industriels pharmaceutiques et les professionnels de la médecine sous couvert de l’Etat ont les moyens d’établir ou non un programme de contrôle des naissances.

Dans ce contexte, les hommes décident que le foyer est la place des femmes. Celles qui travaillent (elles travaillent toutes jusqu’au début du XVè) subissent une dévalorisation de leur labeur, elles sont payées environ le tiers du salaire d’un homme à tâche égale.
Peu à peu, elles sont évincées de tous les corps de métier. Les quelques femmes qui ont réussi à résister et qui continuent à travailler, sont payées par le biais de leur mari.

Les accusations de sorcellerie se multiplient pour toutes sortes de raisons : exercice d’un métier non approprié pour une femme, suspicion d’interruption de grossesse, de stérilité, d’adultère, d’entraide entre femmes, de réunions secrètes, d’être trop vieille aussi (les femmes âgées étaient les premières cibles dans les procès pour sorcellerie). La plupart des femmes accusées étaient pauvres, paysannes, fermières ou travailleuses et les accusations étaient toujours portées par des hommes de pouvoir, agent de l’Etat ou de l’Eglise. 
Il est totalement inconvenant de voir une femme dans la rue ou une femme en train de parler avec une autre femme… Ce fut un motif pour accuser une femme de «comère» et/ou de sorcière. On invente d’ailleurs un masque à museler les femmes. Ce que l’on attend d’une femme, c’est qu’elle soit docile, passive, obeissante, économe, travailleuse et chaste.
Ceci casse les rapports collectifs et creuse les distances sociales. Les persécutions ont brisé la solidarité des classes et le pouvoir du peuple (et ce pendant 2 siècles /XV -XVIIs).
En persécutant les femmes, les classes dominantes ont réussi à mettre l’ensemble du peuple à genou.
Une fois accusée, une femme n’avait aucune chance de s’en sortir… entre le procès fantoche et l’éxecution publique, il y avait la torture pratiquée sur la place publique ou en comité restreint selon les lieux, les circonstances… Parfois les propres enfants de l’accusée devaient assister à la séance de torture et d’exécution. J’épargnerai ici les détails sur les méthodes de tortures employées.

Je ne peux pas parler des femmes et de ces chasses aux sorcières, sans parler de la colonisation qui intervient à la même époque… à la naissance du capitalisme moderne : l‘exploitation des humains jusqu’à la mort pour enrichir les classes dominantes, le crime et le génocide d’Etat orchestré contre les amérindiens/nes et les africains/nes.

De leur côté, les marchands inventent les maisons de travail, pourchassent les vagabonds, s’occupent du transport de criminels vers les Amériques et commencent la traite négrière. Rappelons que près d’un siècle après l’arrivée des colons en Amérique, la population exterminée a baissée de 95% (notamment au Mexique et au Pérou).
Le système colonial, le labeur forcé, le commerce humain, le commerce triangulaire, la colossale production de travail des hommes, femmes et enfants réduits en esclavage, a permis l’enrichissement des colonies et de leur empire, mais a aussi alimenté la «révolution industrielle». Révolution industrielle qui fut un leurre pour tous les afro-descendants et combattants pour la liberté, dans l’épisode de la Guerre de Sécession.

Le capitalisme a commencé par le pillage des ressources, la spoliation des humains et l’accaparemment de l’Amérique par l’Europe. C’est par l’esclavage, que l’Europe s’est enrichie et est devenue opulente, puissante, appuyant son hégémonie sur la sur-production et la sur-exploitation. L’Europe a construit son empire avec le sang des esclaves, des sorcières, des femmes, des pauvres, des travailleurs/euses et paysans/nes, des orphelins, des enfants mais aussi de l’éventrement de la Terre-Mère.

La base de notre système capitalisme est moribonde et monstrueuse… Il est urgent de changer notre façon de vivre et de penser… il est urgent de construire de nouvelles bases, il est urgent d’évincer nos décideurs et dirgeants et de s’unir… Nous avons les solutions… L’histoire a démontré que partout dans le monde, sur les 5 continents, le peuple, les communautés et individus sont capables d’intelligence, de solidarité et d’auto-gestion.

La chasse aux sorcières a permis de détruire l’humanisme et la solidarité, a séparé les hommes et les femmes, a construit une société basée sur la peur et l’extrême violence, a éradiqué la médecine antique et traditionnelle, a violé et profané le corps des femmes, a permis de maintenir l’homme dans la servilité.

Sorciers, sorcières… reprenons le contrôle de nos vies.

Angela Magnatta